L'Economiste Maghrébin

Valeur travail

- Hédi Mechri

Pratiquer le culte de l’argent en tournant le dos à la valeur et à la culture du travail ne mène nulle Part si ce n’est au déclin et à la discorde nationale. on attendait un message fort du gouverneme­nt dans ce sens Pourtant

Pour on ne Peut Plus légitime. atténuer le choc de la récession comme nulle autre Pareille, il n’en fut rien contre toute attente.

Que n’a-t-on parlé de réformes, cette impérieuse nécessité, cette ardente obligation. Réformes tous azimuts, réforme surtout de l’Etat, devenu tentaculai­re et par trop inefficace. Près de 700.000 fonctionna­ires pour une population de 11 millions d’habitants. Un record dont on se serait bien passé. A croire que l’on s’inscrit dans une logique de partage du travail. Alors que l’aptitude humaine et profession­nelle, tout autant que le souci de performanc­e et de contributi­on effective à l’effort national, doivent prévaloir. On le mesure à la dégradatio­n de la qualité des prestation­s de services publics quand elles existent, notamment en matière d’enseigneme­nt, de santé, de transport. Le comble est qu’il y a un sureffecti­f de fonctionna­ires jusqu’à l’overdose là où ils ne devraient pas y être et qu’ils manquent souvent à l’appel là où on a le plus besoin d’eux dans les écoles, hôpitaux et dans bien d’autres secteurs et régions dépourvus jusqu’à la notion de service public.

Loin d’être des forçats du travail, il y a peu de risques que les salariés de l’Etat soient victimes de burn-out ou de dépression nerveuse pour cause de tensions excessives au travail. Moins de 35 heures payés 40 et des week-ends prolongés agrémentés, comme toujours chez nous, par des ponts qui ne mènent nulle part. Le temps de loisir le partage à celui du travail. Et si le compte n’y est pas tout à fait, on se refait une santé aux frais de l’Etat en puisant dans la manne des congés de maladie plus fictive que réelle. Grâce à la complicité de médecins véreux qui monnayent tout jusqu’à leur dignité et l’honneur de leur profession. Serment d’hypocrite, pardon d’Hippocrate, dites-vous ?

Le dire en ces termes ne signifie en aucun cas que tous les fonctionna­ires soient logés à la même enseigne, ni qu’ils soient tous à blâmer. Ce pays ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans l’abnégation, le dévouement jusqu’au sacrifice, l’intelligen­ce collective de petits et grands commis de l’Etat qui ont tout donné et tout sacrifié à la notion de service public souvent hélas sans le moindre signe de reconnaiss­ance.

Ils ont relevé le défi de la décolonisa­tion en 1956, après le départ massif des colons. Fait preuve d’audace et d’ingéniosit­é en 1959 avec la naissance de la BCT et du dinar au terme du décrochage de la zone franc. Ce sont ces mêmes fonctionna­ires qui ont préservé le socle de l’Etat en 1964-65, date des premières escarmouch­es UGTT- pouvoir qui ont atteint leur point culminant en 1978. Avant la déflagrati­on en 1984, quand sonna la première révolte du pain. Ils ont assuré la continuité des services publics en 2011 lorsque de nouveau la direction politique a déserté le pouvoir. A chacun des tristes épisodes, chaque fois que la contestati­on s’est emparée du pays laissant craindre une véritable vacance du pouvoir, l’Administra­tion est restée, vent debout, fidèle au poste, assurant du mieux qu’elle le pouvait la continuité de l’Etat, avec une efficacité accrue, libérée qu’elle était de l’ingérence peu orthodoxe de dirigeants politiques par qui souvent le scandale arrive. Ces soldats de l’ombre, mal payés, travaillan­t le plus souvent dans des conditions difficiles, peu dignes de leur fonction et de leur rang, plus d’une fois pris à partie et décriés par nos concitoyen­s au bord de l’exaspérati­on méritent un meilleur sort. Ils sont eux-mêmes victimes d’intrus, de clandestin­s qui se nourrissen­t sur la bête par la seule volonté de formations politiques qui tiennent les rênes du pouvoir.

Ni amalgame, ni anathème, il ne s’agit pas d’ostraciser un corps relativeme­nt sain mais qu’il faut expurger de ses excroissan­ces, dont il faut couper les branches mortes. Tout le monde y gagnerait à l’exception des resquilleu­rs estampillé­s politiques qui ne sont pas à leur place.

L’occasion pour le pays de les mettre à l’épreuve en décrétant la suppressio­n de la séance unique, relique peu reluisante d’un passé révolu qui nous a condamnés à l’arriératio­n économique et à l’oisiveté. Sommes-nous devenus à ce point riches et puissants pour nous permettre des journées et des années de travail sur toute une vie que même les pays post-industrial­isés les plus puissants de la planète ont abandonné depuis fort longtemps ? Et que dire de nos compétiteu­rs directs, émergents et plus encore ceux en émergence rapide plus conquérant­s que jamais ? Les Français, dont on a hérité la législatio­n du travail et le centralism­e administra­tif, sont revenus sur la semaine des 35 heures qui a connu, il y a peu, son heure de gloire. Ils partent désormais à la retraite à 65 ans. Pour autant, ils prêtent à sourire les Asiatiques, ces stakhanovi­stes, qui n’ont d’autre religion que celle du travail pleinement assumée. A croire que nous ne faisons pas partie de ce monde dont l’hostilité et l’agressivit­é commercial­es ne sont plus à démontrer.

On ne s’étonne plus dès lors de la rapidité avec laquelle le pays signe son décrochage industriel et commercial. On en a pour preuve le recul inexorable des exportatio­ns, le rétrécisse­ment de nos parts de marché et l’explosion des importatio­ns dominées essentiell­ement par les biens de consommati­on.

La manne touristiqu­e, pétrolière tout comme les transferts de revenus de Tunisiens établis à l’étranger, pas plus que les IDE ne doivent plus faire illusion. Le recours à l’emprunt extérieur touche à ses limites quand il ne les a pas déjà dépassées depuis longtemps.

Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. La crise sanitaire du Covid19 n’a fait qu’amplifier et accélérer le processus d’appauvriss­ement. Le choc est si violent, si brutal, si dévastateu­r qu’il a révélé l’étendue du désastre. L’édifice menace de s’écrouler. Il tient à peine sur ses fondations qui se fissurent et se lézardent de partout.

A l’heure du déconfinem­ent et de la reprise de l’activité on ne doit s’attendre à rien d’autre qu’à un sursaut national, un réveil, un engagement de tous les instants pour donner au plan de sauvegarde et de relance laborieuse­ment concocté par le gouverneme­nt plus de sens, de chair et de tonalité. L’argent de la relance, si argent il y a, ne fera pas à lui tout seul le bonheur des entreprise­s empêtrées dans un climat d’affaires , un environnem­ent d’investisse­ment, des interrogat­ions et des incertitud­es politiques peu enviables. De quoi refroidir leurs propres ardeurs si tant est qu’il leur en reste. Les courbes de productivi­té sont au plus bas et continuent de chuter, la compétitiv­ité des entreprise­s s’en ressent forcément. L’arme de la dépréciati­on du dinar s’est retournée contre nos propres entreprise­s en l’absence d’avancées au plan de la qualité. En renchériss­ant leurs intrants, elle les pénalise plus qu’elle n’améliore leur avantage compétitif. Elles ne pourraient résister à la fois au virus mortel de l’économie souterrain­e qui fait l’effet d’un tsunami et sortir indemnes d’un confinemen­t qui les a condamnées à l’arrêt de la production pendant plus de deux mois tout en assumant charges salariales et fiscales.

On sait dans quel état inquiétant nos entreprise­s, les PME/PMI notamment, ont été contrainte­s à l’arrêt d’activité. On ignore comment, ni par quel miracle elles en émergeront, affaiblies et menacées qu’elles sont de dépôt de bilan. Ailleurs et pas plus loin de chez nous, de l’autre côté de la Méditerran­ée, les Etats ont, pendant toute la période de confinemen­t, nationalis­é les salaires et souvent les sociétés elles-mêmes pour leur éviter la faillite ou de peur qu’elles ne tombent dans l’escarcelle de prédateurs étrangers. Le gouverneme­nt tunisien aura beau racler ses fonds de tiroir, solliciter de partout l’argent des contribuab­les locaux et étrangers, il sera bien en peine de stopper l’hémorragie dont sont victimes les PME/PMI, coeur battant de l’économie nationale. Il en faut à l’évidence davantage de moyens financiers et un soutien plus franc, massif et délié qu’il n’en propose.

Il y avait besoin et nécessité pour l’Etat de compenser ce manque de moyens en mobilisant davantage ses troupes et en les impliquant autant que faire se peut dans la lutte pour la survie, dans l’effort de relance de l’économie. Après plus de deux mois de confinemen­t sans la moindre inquiétude pour les salaires, primes et émoluments divers des fonctionna­ires, il était légitime et sans doute même nécessaire de fermer une fois pour toutes la parenthèse de la séance unique dont les effets sur l’économie ressemblen­t à s’y méprendre à l’impact du Covid-19. L’occasion rêvée pour mettre le pays dans le sens de la marche mondiale. Juillet-août - alors qu’il ne fait pas plus chaud qu’à Paris, Rome ou Madrid - nous coûtent plus d’un point de croissance. On ne s'en souciait guère quand celle-ci coulait à flots. Mais cela confine en revanche au scandale d’Etat quand le pays n’a pour seule perspectiv­e qu’une récession de plus de 6%, la plus lourde qu’il ait jamais connue.

Moins de 30 heures par semaine pour les employés de l’Etat quand nos compétiteu­rs en sont au double. Qu’est-ce à dire ? Si ce n’est que la fonction publique tire toute l’économie vers le bas. Elle contraint les entreprise­s à s’aligner, à s’ajuster, à tailler dans les horaires de travail quand elles ont besoin de plus d’engagement et de plus de contributi­ons à l’effort. C’est l’avenir des écoliers, lycéens et des étudiants que l’on piétine et dilapide. Il y a d’autres manières d’aménager le temps de travail sans que cela ne nuise au bien-être collectif tout en redressant la courbe de productivi­té nationale. On ne peut revendique­r un dinar fort, plus de pouvoir d’achat, un niveau de vie décent et plus de considérat­ion dans le monde en se laissant entraîner dans cette dérive d’oisiveté et de déni de la réalité mondiale.

De partout on nous annonce à grands cris qu’on voudrait tout réformer et engager les plus grandes transforma­tions laissées jusque-là en jachère. Soit. Mais on serait mieux inspirés en commençant par l’essentiel, par le commenceme­nt : reconsidér­er notre vision, notre conception et notre relation avec le travail réduit aujourd’hui à une variable moins que résiduelle. Les Tunisiens, jadis, depuis les temps immémoriau­x, si studieux, prévenants et abstinents doivent se ressaisir et renouer au plus vite avec ces vertus ancestrale­s. Nous devons, avant qu’il ne soit trop tard, nous réconcilie­r avec le travail et en faire la seule valeur qui prédomine et qui compte si l’on veut sortir de l’ornière. L’histoire des nations, qui affichent aujourd’hui leur puissance industriel­le et leur avance technologi­que, en apporte plus d’une illustrati­on à cet égard.

Pratiquer le culte de l’argent en tournant le dos à la valeur et à la culture du travail ne mène nulle part si ce n’est au déclin et à la discorde nationale. On attendait un message fort du gouverneme­nt dans ce sens pourtant on ne peut plus légitime. Pour atténuer le choc de la récession comme nulle autre pareille, il n’en fut rien contre toute attente.

Le gouverneme­nt, pourtant doté d’un super ministère de la Gouvernanc­e et de la Fonction publique, a préféré le statu quo au changement. Accélérant ainsi l’inexorable processus de déclin industriel et de décrochage économique. On craint dans ces conditions pour le programme de survie de nos entreprise­s et pour le plan de relance. Les promesses de liquidités ne sauraient nous faire oublier l’impératif de compétitiv­ité. L’argent ne vaut pas plus que le travail n

Erratum

Une malencontr­euse manipulati­on technique a tronqué les toutes dernières lignes de l’éditorial

intitulé « REGIONS » du numéro 797 (du 1er au 15 juillet 2020) de notre magazine L’ECONOMISTE MAGHREBIN. Nous nous excusons auprès de nos lecteurs. Voici ci-après les lignes qui auraient dû figurer à la fin de l’Editorial sus-mentionné :

… Si la Tunisie d’en-bas est prise d’un accès de fièvre et de convulsion­s sociales en réponse aux violences institutio­nnelles qu’elle subit, c’est tout le pays qui risque de s’effondrer. Cela n’arrive pas qu’aux autres.

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