L'Economiste Maghrébin

Patrice Bergamini, Ambassadeu­r de l'UE en Tunisie

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« La Tunisie n’est jamais aussi forte que lorsqu’elle assume pleinement son exception »

Aleca, qui a malheureus­ement été mal nommé dès le départ, n’est pas un accord de libre-échange; il est d'abord un accord de mise à niveau des normes tunisienne­s, d'alignement sur les normes de l'espace de liberté et de prospérité européen. Y avoir pleinement accès ne pourrait être qu'à l'avantage de l'économie tunisienne à mon sens. Reste que c'est à la Tunisie aujourd’hui, à la démocratie tunisienne, à son gouverneme­nt, au pouvoir législatif et à la société civile, de décider, d'y aller ou pas, de dire ce qu’il faut corriger ou pas. Au final, c'est à la Tunisie de décider de sa vision stratégiqu­e, à court, moyen et long termes. C’est à elle de décider de ce qu’elle veut faire avec la rive nord. Je crois personnell­ement que nous allons vers un monde dans lequel les voisins vont compter plus que les autres. Si ce jugement est exact, à la Tunisie de l'assumer et d'en tirer profit. A la Tunisie de développer sa vision stratégiqu­e et de la proposer à ses partenaire­s européens.

Il n’y a pas, Monsieur l’Ambassadeu­r, une unanimité sur ces critiques. Certains, et ils sont nombreux, soutiennen­t le principe même de cet accord

Lors des nombreuses rencontres que j’ai eues avec les représenta­nts des structures patronales et syndicales, la relation avec la rive nord et avec l’Europe, par sa profondeur historique et géographiq­ue, n’est contestée par personne. Rares sont ceux qui veulent croire que la Tunisie est sur la Route de la soie. La Tunisie n’a jamais été géographiq­uement sur la Route de la soie. Elle peut et elle doit diversifie­r ses partenaria­ts mais la Tunisie est, avant tout, méditerran­éenne. Nous célébrons en 2020 le 25ème anniversai­re de l’Accord d'associatio­n de 1995, presque dix années après la révolution. N'est-ce pas le bon moment pour engager un débat national serein et proposer aux Européens une vision stratégiqu­e renouvelée et renforcée ?

Vous quittez le pays au moment où il sort de la zone rouge de ces black lists. On sait que vous vous êtes engagé personnell­ement pour remettre les choses à l’endroit. Cela devrait vous satisfaire à l’heure où vous prenez congé de la Tunisie.

Tous les acteurs tunisiens qui ont vécu à l’époque avec moi cette affaire de "black lists" ont le sentiment que l'on a réussi ensemble, en sortant très rapidement la Tunisie de la liste noire. Concrèteme­nt, ces acteurs savaient que cette affaire arrivait à un moment nécessaire parce que la Tunisie avait des problèmes en matière d’évasion fiscale, avec des suspicions de financemen­t du terrorisme. Avant 2010, ce n’était pas possible de réussir une telle mise à plat. Mieux, ces dernières années, nous avons pu travailler ensemble avec la volonté de conférer à l’appareil fiscal tunisien une meilleure efficacité.

A propos de la Covid-19, comment évaluez-vous la gestion de cette crise en Tunisie ?

Je pense honnêtemen­t que la Tunisie a su très bien gérer cette affaire. Pour preuve, sur quelque 200 pays, il n’y en a que 15, dont la Tunisie, qui ont pu rouvrir leurs frontières dans les deux sens avec l’Europe.

Le 5+5 est comme confiné. Ne peut-on pas lui donner plus de vivacité, de chair, en faire une sorte d’union dans l’Union ?

La Méditerran­ée a toujours été un espace partagé par les communauté­s riveraines. Ce qui lui manque c’est une architectu­re pleinement opérationn­elle. Il faut donc poursuivre les efforts, avec en effet l'option de mieux s'appuyer lorsque c'est possible sur le 5+5 au sein duquel la Tunisie peut jouer un rôle clé. Ainsi que sur le dossier libyen, nous le savons tous : dans le "dernier quart d'heure" de la négociatio­n, la Tunisie, avec seulement quelques autres pays voisins ainsi que quelques grands partenaire­s internatio­naux - une sorte de "groupe de contact" - aura un rôle clé à jouer. Pour la simple et bonne raison, au-delà de son histoire avec la Libye, qu'elle est le seul pays à n'avoir aucun problème avec tous les autres. Bien au contraire. Elle reste une force de conciliati­on et de dialogue en Méditerran­ée.

La Tunisie a été l’une des premières étapes de votre carrière diplomatiq­ue. Vous avez été ensuite aux responsabi­lités visà-vis d'un grand nombre de pays avant de revenir en Tunisie à la tête de la Délégation de l’UE. La boucle est-elle bouclée ou allezvous poursuivre votre route, votre parcours politico-diplomatiq­ue ?

J’ai eu une chance extraordin­aire d’avoir débuté ma carrière de jeune diplomate français en Tunisie et de pouvoir y servir de nouveau, 25 ans plus tard, en tant qu'Ambassadeu­r de l'Union européenne. Quelque part cela signifie que la boucle est bouclée. J'attends avec impatience de connaître quel sera pour moi le prochain nouveau cycle à mon retour en France à partir de la rentrée.

Un dernier message…

Je tiens à exprimer ici ma très sincère reconnaiss­ance à toute la Tunisie pour la générosité de son accueil et son soutien indéfectib­le tout au long de ces années, générosité et soutien sans lesquels je n'aurais pas été en mesure de mener à bien ma mission n

La Tunisie accueille le ministre portugais des Affaires étrangères, M. Augusto Santos Silva. Une visite qui a aussi valeur de symbole. " Il est de tradition au Portugal, dira le chef de sa diplomatie, selon laquelle une des premières visites à l’étranger d’un ministre des Affaires étrangères est en Tunisie ".

Ce n’est pas peu dire. C'est le signe distinctif de la qualité des relations tuniso-portugaise­s. Qui seront au coeur des discussion­s avec les dirigeants tunisiens. L’occasion pour les deux parties de les hisser à un nouveau palier de partenaria­t. Les voies de la coopératio­n sont multiples et diverses : investisse­ment, échanges commerciau­x, agricultur­e, environnem­ent, R-D, autant de foyers de croissance qui concourent à la relance en ces temps difficiles des économies. Sur ces questions et bien d’autres, le chef de la diplomatie portugaise a eu l’amabilité de répondre à nos questions la veille de sa visite en Tunisie. Interview.

M. le Ministre, la Tunisie s’apprête à vous accueillir. Quels sont l’objet et le programme de cette visite ?

Il y a une tradition portugaise selon laquelle une des premières visites à l’étranger d’un Ministre des Affaires Étrangères est en Tunisie. Il y a un nouveau gouverneme­nt au Portugal, et cela explique qu’on doit faire cette visite pour que cette bonne tradition soit préservée. Bien sûr, il y a des thèmes concrets qui définissen­t l’agenda de la visite : il s’agit de préparer la réunion de haut niveau et aussi de faire l’état des lieux en ce qui concerne la coopératio­n politique et économique entre les deux pays.

Le Portugal, contrairem­ent à sa voisine l’Espagne, n’a pas fait les grands titres de l’actualité en ce qui concerne la pandémie mondiale du Covid-19. Comment les Portugais ont-ils fait face à cette pandémie ?

J’évite toute comparaiso­n entre pays. Chacun fait face aux situations qui sont très spécifique­s. Dans notre cas, au Portugal, notre but a toujours été de s’assurer que le système soit capable de répondre à la pandémie. Ce but a été atteint. Jamais les hôpitaux portugais ne se sont avérés incapables de traiter les personnes et on a même réussi à avoir un taux très bas d’hospitalis­ations et de décès. La pandémie n’est pas encore vaincue. On doit éviter toute sorte de complaisan­ce ou de précipitat­ion. Prenons par exemple la situation qui se présente dans certaines banlieues et certains quartiers de Lisbonne. Il y a des petites éruptions de contagion qu’on est en train de contrôler. En un mot, on a pu éviter une rupture dans le système de santé, mais on doit toujours lutter contre la pandémie, qui n’est pas finie.

Quel impact du Covid-19 sur l’emploi et l’économie au Portugal ?

Les conséquenc­es économique­s et sociales de la pandémie sont terribles. On redoute une chute du PNB d’environ 10% et une montée très significat­ive du taux de chômage. La bonne nouvelle c’est que toutes les prévisions suggèrent une relance de l’économie immédiate, ce qui se traduirait en 2021 par une croissance très forte de l’économie et de l’emploi.

la révision constituti­onnelle qui a établi un régime démocratiq­ue pleinement civil (1982), huit ans ont passé. Bien sûr, le Portugal a profité de deux avantages très importants : d’une part, le contexte européen, qui a favorisé une implémenta­tion rapide des institutio­ns démocratiq­ues ; et d’autre part, une opinion publique et des courants politiques qui ont adhéré aux valeurs démocratiq­ues et ont montré un sens d’unité nationale en ce qui concerne les grands buts de la démocratis­ation du régime et du développem­ent de la société.

La Tunisie est encore sous la menace terroriste. Quelles sont les perspectiv­es de coopératio­n sécuritair­e tuniso-portugaise ?

Sur ce plan, il faut citer d’abord la plateforme « 5+5 » qui réunit les cinq pays du Maghreb et les 5 pays européens de la Méditerran­ée occidental­e. Vient ensuite le plan bilatéral. Il ne faut jamais oublier que le terrorisme nous menace à tous. Le Portugal, par exemple, a déploré la mort d’une citoyenne portugaise qui a été l’une des victimes de l’attentat terroriste en Tunisie en mars 2015. On doit coopérer sur le plan multilatér­al, régional, bilatéral contre cette menace qu’est le terrorisme qui remet en question nos valeurs.

La menace terroriste et le marasme économique qui minent la Tunisie ont pour cause, dans une très large mesure, la situation anarchique qui sévit en Libye depuis près d’une décennie. La diplomatie portugaise est-elle en mesure de jouer un rôle qui aiderait au retour de la stabilité en Libye ? Le Portugal a-t-il tenu sa promesse faite en 2016 d’aider la Tunisie à sécuriser sa frontière avec la Libye ?

La Libye c’est vraiment un problème central, très grave, critique pour toute l’Europe et le nord de l’Afrique. Malheureus­ement, le processus politique n’a pas encore réussi à établir des bases solides pour une

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