Kais Saied charge Hichem Mechichi de constituer le gouvernement
Ennahdha sait qu’il joue gros
La décision du chef de l’Etat de charger Hichem Mechichi de constituer un nouveau gouvernement n’a sans doute pas été accueillie de gaieté de coeur par le parti islamiste. Devant le fait accompli, comment se comportera-t-il dans les jours à venir face à cette décision ? Cela va dépendre beaucoup de la forme que Hichem Mechichi va donner à son équipe. Ennahdha refusera-t-il cependant de ne pas obtempérer aux desseins présidentiels si ceux-ci ne vont pas dans son intérêt, habitué qu’il est d’avoir gain de cause lorsqu’il s’agit d’exercer son influence ? La question mérite d’être posée.
Le président Kais Saied a, en définitive, choisi le ministre de l’Intérieur du gouvernement démissionnaire d’Elyès Fakhfakh, Hichem Mechichi, pour constituer un nouveau gouvernement. Il a un mois, à partir du dimanche 26 juillet 2020, pour constituer une équipe gouvernementale.
Une décision qui a encore une fois surpris. Le nom de Hichem Mechichi n’avait pas été cité par les multiples « parieurs » qui se sont relayés durant toute la journée du 25 juillet sur Facebook pour donner pour argent comptant la nomination de tel ou tel au palais de La Kasbah.
Une surprise de taille dans la mesure où l’homme ne figurait même pas sur la liste proposée par les différentes composantes de ARP. Et ce, contrairement à Elyès Fakhfakh qui a été proposé par Tahya Tounes.
Mais pourquoi avoir demandé aux partis et mouvement de l’Assemblée de proposer
des noms à partir du moment où le chef de l’Etat avait l’intention de nommer une personnalité dont le nom ne figurait pas sur la liste qui pouvait lui être proposée ?
La question a taraudé nombre d’acteurs et d’observateurs de la scène politique. Gageons qu’elle continuera à les travailler, conscients qu’il y a quelque chose qui n’est pas, selon eux, dans l’ordre normal des choses.
Un message à l’ARP ?
Le président Kais Saied a-t-il voulu à travers cette désignation adresser un message à l’ARP pour manifester son mécontentement de la manière dont elle fonctionne ? Il l’a dit du reste clairement en recevant, le 20 juillet dernier, le président de cette institution et ses deux vice-présidents : « La Tunisie connaît la situation la plus dangereuse et la plus critique de son histoire depuis l’indépendance ».
Saura-t-il faire redémarrer le pays ? Mais avant sans doute de se poser cette question, il est plus urgent de se demander s’il pourra constituer une équipe et obtenir l’approbation d’une ARP où tout, comme dit précédemment, ne tourne pas toujours rond ?
Origine de cette interrogation : les relations de plus en plus tendues entre les Palais de Carthage de du Bardo. Et signe sans doute évident de cette tension, Kais Saied a décliné l’invitation du président du Parlement à assister, le 25 juillet 2020, à la cérémonie de la fête de la République, ce qui aurait eu pour conséquence son annulation.
D’où du reste la réaction d’un des ténors d’Ennahdha, Ali Laarayedh, qui a écrit dans sa page Facebook que le chef de l’Etat gagnerait à préciser les raisons de son refus afin que l’opinion publique ne le prenne pas pour une position à l’égard de l’ARP.
Le passage du gouvernement Mechichi va-t-il, dans ce cadre, beaucoup dépendre des relations entre les deux présidents de la République et de l’ARP ? On note, dans ce même ordre d’idées, que cela pourrait beaucoup dépendre de la composition du prochain gouvernement.
On attendra cela dit les premiers instants des consultations pour la constitution du gouvernement pour savoir la forme que ce gouvernement pourrait prendre. Et cette question toujours lancinante : quelle place pourraient avoir les partis majoritaires dans ce gouvernement ? Comprenez les trois partis qui donnent l’impression depuis quelques jours d’être sur une même longueur d’onde : Ennahdha, Qalb Tounes et la coalition Al Karama (près de 100 sièges au total).
Il va sans dire que ces trois formations ne pourront pas manoeuvrer en vue de donner au gouvernement une certaine forme et une certaine couleur. Elles sont conscientes de leur poids politique et qu’elles détiennent une carte qu’elles peuvent jouer. Comment agiront-elles face aux messages délivrés par le chef de l’Etat au cours du 25 juillet 2020, de la cérémonie chargeant Hichem Mechichi de constituer le gouvernement, notamment que rien n’empêchera « la révision de la légitimité » du système politique tel qu’il est aujourd’hui ?
Quoique rien n’est moins sûr. Que penser dans ce contexte de la déclaration d’Oussama Khelifi, un des pontes de Qalb Tounes, qui a dit que son mouvement n’a pas de « réserves » contre Hichem Mechichi ? On sait qu’Ennahdha est capable de la chose et de son contraire !
Voteront-ils la confiance ?
Il va sans dire également qu’Ennahdha et tous ceux qui mettront éventuellement leur main dans sa main, pour perturber les desseins présidentiels, savent pertinemment qu’ils jouent là gros. Qu’adviendrait-il si le gouvernement Mechichi, une fois constitué sans l’approbation du parti islamiste et de ses alliés, décidait de franchir pour ainsi dire le Rubicon ? Voteront-ils la confiance ? Dans le cas où ils tiendraient tête, la solution s’imposera d’elle-même : il y aura dissolution de l’ARP.
Est-ce dans l’intérêt du parti islamiste que ce scénario voie le jour ? Evidemment, personne ne peut prédire l’avenir. Mais une chose est certaine : le climat politique ne semble pas très favorable, ces jours-ci, à Ennahdha qui fait l’objet d’une large contestation dans les rangs de l’establishment tunisien.
Un sondage publié le 14 juillet 2020 de Sigma Conseil place le Parti Destourien Libre (PDL), principal acteur politique et farouche adversaire du parti islamiste, premier dans les intentions de vote aux élections législatives en obtenant 29% des voix. Ennahdha arriverait en seconde position avec 24,1%.
Nous aurons du reste sans doute un premier signe de comment se comportera le parti islamiste face aux intentions de Hichem Mechichi à travers le vote, le 30 juillet, des députés concernant le retrait de confiance du président de l’ARP et d’Ennahdha, Rached Ghannouchi n