Baromètre 2020 des entreprises en Tunisie
« Crise Covid-19, ni pessimisme ni optimisme mais impératif d’action »
Le Baromètre EY de l'entreprise est devenu le rendez-vous annuel de prise de température de la vie de l'entreprise active en Tunisie. Il donne un éclairage qui se veut être à la fois objectif et professionnel sur leur moral, leurs préoccupations et leurs perspectives. Lors de la première édition du Baromètre de l'entreprise, en 2012, 100% des chefs d'entreprise interrogés estimaient que le retour à la normale de leurs activités, post-2011, se ferait en moins de deux années. Certains, ils étaient 70% de l'effectif, avaient même anticipé un rétablissement en une seule année.
Dans cette septième édition 2020, le moins que l'on puisse avancer et que les révélations et constats faits sont des plus préoccupants. Nous sommes loin des déclarations optimistes faites huit années auparavant tellement l'entreprise semble être pleinement impactée par la situation qui prévaut dans le pays.
En effet, cette édition du baromètre est publiée dans un contexte tout à fait inédit de crise sanitaire doublée d'une instabilité économique et sociale aux conséquences économiques avérées, avec un état d'esprit des chefs d'entreprise loin d'être au beau fixe, toujours en attente de plans effectifs de relance qui, s'ils tardaient à être mis oeuvre, coûteraient encore plus cher au pays.
Pour cette édition 2020 du Baromètre, EY a interrogé des chefs et hauts cadres d’entreprise de divers secteurs d’activités, afin d’aborder l’étude sous trois angles d’analyse. D’abord, la perception de la conjoncture et ses perspectives d’évolution ainsi que les attentes pour l’amélioration du climat des affaires.
Ensuite, une évaluation de la situation interne des entreprises, qui se réfère à l’année 2019, sous différents aspects (volume d’affaires, supply chain, trésorerie, climat social, investissement, etc.) et des perspectives de leur évolution au cours de l’année 2020.
Enfin, un focus est fait sur la collaboration des entreprises avec les startups technologiques tunisiennes et leur ouverture aux initiatives d’innovation. (Figure 1).
Noureddine Hajji, Associé Directeur Général EY Tunisie, a bien voulu apporter à l'Économiste Maghrébin un éclairage plus prononcé sur cette édition du Baromètre 2020 des entreprises.
Un éclairage portant sur huit points majeurs de préoccupation de l'entreprise, mis en évidence par le baromètre avec, en conclusion, un message invitant l'entreprise à toujours se réinventer.
Sur la perception de la situation politique du pays
Les dirigeants d’entreprise ne s’attendent toujours pas à une amélioration de la situation politique du pays. Pour l’année 2019, 91% des chefs d’entreprise estiment que la situation politique de la Tunisie est restée mauvaise. Nous demeurons sur les mêmes impressions que 2018 avec 93%. Ceci peut être expliqué, en partie, par la difficulté à former rapidement une majorité parlementaire à la suite des élections, entraînant ainsi un retard dans l’action publique à initier les réformes économiques. (Figure 2).
Le contexte de morosité politique et la conjoncture économique
Les projections sur l’évolution de la situation économique et sociale du pays sont fortement corrélées à l’évolution de la situation politique. 52% des dirigeants d’entreprise pensent que le contexte économique va aller se dégradant au cours de l’année 2020.
Avec ces perspectives pessimistes, quant à la situation politique et économique du pays, une vigilance en matière d’intention d’investissement en a découlé avec uniquement 31% de chefs d’entreprise qui se voient augmenter leur investissement en Tunisie. (Figure 3).
Quelles priorités du plan de relance de l’économie tunisienne post-Covid-19 selon les dirigeants d’entreprise ?
31% des dirigeants priorisent la stimulation de l’offre pour répondre aux répercussions de la crise sanitaire Covid-19 en Tunisie. Sur terrain, le conseil des présidents des fédérations sectorielles a considéré que l’allègement des charges financières des entreprises fait partie de la liste des points importants relatifs au programme de sauvetage économique.
L’augmentation annoncée du déficit budgétaire, en raison de la baisse des recettes fiscales, a fragilisé les finances publiques limitant les capacités de financement de l’État. Néanmoins, 21% des chefs d’entreprise favorisent une stimulation de la demande par le biais de l’investissement public. (Figure 4).
Un point de situation interne des entreprises avant et après Covid-19
Les réponses de l’enquête pré-Covid ont montré une légère amélioration de la performance de nos entreprises en 2019 par rapport à l’année 2018.
En effet, les répondants ont déclaré une croissance de leur chiffre d’affaires. 53% de chefs d’entreprise ont annoncé une croissance de leurs revenus en 2019. Ils étaient 35% à faire ce même constat pour l’année 2018.
L’avènement de la pandémie a impacté négativement la majorité des entreprises implantées en Tunisie. En effet, après la crise, 74% des dirigeants ont estimé que leur chiffre d’affaires subira une baisse supérieure à 10% alors qu’ils étaient seulement 11% à faire cette même prévision au tout début de l’année 2020. (Figure 5).
En termes de liquidités, 32% de chefs d’entreprise perçoivent une amélioration en 2019 contre 30% en 2018, tandis que seulement 26% des dirigeants estiment que leur liquidité est en déclin en 2019 contre 38% en 2018.
Toutefois, au premier semestre de l’année 2020, la pandémie Covid-19 semble avoir sérieusement impacté la situation des liquidités de la majorité des entreprises implantées en Tunisie. En effet, 63% des chefs d’entreprise ont fait part d’une baisse supérieure à 10% de leurs liquidités.
Cette baisse générale des liquidités est liée aux conséquences de la Covid-19, du confinement ainsi que des mesures de prévention sur l’économie. En effet, les ventes ont chuté, exposant de nombreuses entreprises aux risques d’allongement des délais de paiement voire des défauts de paiement. (Figure 6).
Quelle capacité de résilience des entreprises tunisiennes face à cette crise sanitaire
Alors que les réponses recueillies avant le début de la crise Covid -19 laissaient entrevoir un certain regain de confiance des dirigeants concernant surtout la situation interne de leurs firmes, la crise économique que nous traversons vient, indiscutablement, leur poser une nouvelle menace s’ajoutant à la longue série qu’a connue le monde de l’entreprise sur les dix dernières années.
En effet, post-Covid, 69% des chefs d’entreprise estiment menacée la continuité de leur activité en l’espace de moins de deux ans alors qu’ils n’étaient que 55% à faire ce constat avant la crise. Ce chiffre, particulièrement élevé, est à mettre en perspective avec seulement 10% des répondants qui déclarent avoir bénéficié des aides de l’État dans le cadre du dispositif de soutien et 23% dont les dossiers sont encore en cours d’instruction. À ce stade, on ne peut pas affirmer que l’attribution des aides se fait avec la rapidité et l’ampleur commandées par la situation. (Figure 7).
Des opportunités identifiées par les entreprises tunisiennes face à la Covid-19?
Les entreprises tunisiennes priorisent l’évolution des modes de travail et notamment en préconisant la diversification vers le mode « work from home ». La crise Covid-19 a montré que les entreprises les plus agiles à basculer en télétravail sont celles qui ont pu diminuer l’impact sur leur activité.
En période post-Covid-19, nous avons noté la sortie de l’option « diversification vers de nouveaux secteurs ». C’est sans doute un changement de priorité vers la pérennisation des activités actuelles en temps de crise. (Figure 8).
L’entreprise tunisienne et l’écosystème de l’innovation: un état des lieux et des perspectives de développement.
Pour cette partie, il convient de signaler qu’ EY a pour tradition, pour chaque Baromètre, de faire un focus particulier sur un sujet donné. L'année précédente le contenu portait sur la succession et la transmission des entreprises familiales.
Pour cette édition, le nouveau cadre réglementaire, visant à faire de la Tunisie une « Startup-Nation », semble avoir un effet positif sur la relation des entreprises tunisiennes avec les startups technologiques.
En effet, près de la moitié des entreprises sondées ont confirmé l’existence d’une relation d’affaires avec les Startups et plus de 33% de ces entreprises voient du potentiel de développement de leur "business model" à travers des partenariats de développement et d’optimisation de l’expérience client.
Les résultats de l’enquête confirment la prise de conscience de 79% des entreprises par rapport à l’importance de la data, à savoir la nécessité d’accroître la connaissance de leurs clients et de leurs prospects via l’infusion de l’intelligence.
Notons qu’aujourd’hui la relation entre grandes entreprises et startups n’est pas une relation spontanée. S’il n’y a pas un accompagnement, un espace dédié et des incitations ciblées, la relation ne se fera pas naturellement et à grande échelle. (Figure 9).
Finalement quel message adresser aux entreprises
Mon message s’adresse aux chefs d’entreprise, parce que leur destin est de remettre notre pays sur la bonne orbite de la relance économique et de rayonnement au niveau régional et international. Leur destin est de devoir le faire dans un environnement hostile, sans attendre, hélas, d’appui fort des pouvoirs publics.
Vous avez sans doute gagné le pari de la croissance et de la compétitivité tout au long des dernières décennies, mais cela ne suffit plus aujourd’hui pour défendre votre positionnement. Vous devez non seulement prendre conscience que vous êtes tenus de transformer vos entreprises, mais vous devez le faire pour de vrai et en profondeur : modernisation à tous les niveaux (outil de production, innovation technologique, ….), nouvelles politiques de développement du capital humain et de rétention des talents, stratégie d’internationalisation plus osée (croissance externe, nouvelles alliances stratégiques et partenariats, …). Vous devez croire en vos capacités, faire le jeu -plutôt que de le subir- et être encore plus conquérants pour aller jusqu’au bout de votre potentiel n