La Presse (Tunisie)

Souk Al Asr, le paradis des fouineurs

La profession de brocanteur a encore de beaux jours devant elle. Les clients? Des chineurs et des passionnés d’objets anciens et de valeur. Visite à Souk Al Asr

- Neila GHARBI

Aux alentours de Tunis, Souk Al Asr, vieux de plus d’un siècle, est le paradis des chineurs avertis et aussi des gens sans ressources à la recherche d’objets pas chers. Contrairem­ent à son nom, Souk Al Asr ne vend que des vieillerie­s. Mardi, 13h00, le soleil de ce mois de janvier réchauffe la place de Souk Al Asr. Devant les devantures des magasins, c’est un véritable bric-à-brac. Literies, baskets, lustres et autres ustensiles usagés bons pour la décharge sont exposés à la vente. «Rien ne se jette, tout se vend» selon un vieux commerçant qui officie sur la place depuis 45 ans. A l’instar de ce vieux commerçant, plusieurs vendeurs squattent la place et écoulent diverses bricoles qu’ils se procurent grâce à des gens qui veulent changer leur vaisselle ou leur literie. «Ils nous lèguent leurs objets sans contrepart­ie», confie un des vendeurs. «Mais pas tout. Les objets de valeur sont vendus aux plus offrants», corrige un jeune vendeur qui s’est joint à la corporatio­n depuis peu de temps. Souk Al Rahma A cette heure de la journée, les passants et éventuels chineurs se font plus nombreux. «Mais c’est surtout les week-ends qu’on fait de bonnes affaires», explique le vendeur ambulant. Souk Al Asr est l’un des marchés les plus prisés par les amateurs de brocante, à l’instar de celui de Mellassine. Sur un bout de tissu étalé à même le sol, le vieux vendeur a disposé quelques articles hétéroclit­es qu’il tente de liquider à prix bas et «parfois à la tête du client», confie-t-il. Autrefois, il parcourait les rues de Tunis en criant «Robaveccia» à ceux qui désiraient vendre leur «khorda» (vieillerie­s) qu’il revendait, lui, aux plus démunis. Il pratique cette activité depuis toujours. C’est son unique gagne-pain. En cette période de grands froids, les chauffages et les bains d’huile se vendent bien. «Ils sont plus costauds que ceux qu’on trouve sur le marché et en plus à bon prix», affirme une cliente qui dit avoir acheté un chauffage à 15 dinars il y a deux ans et qui continue à fonctionne­r. «Souk Al Asr est une rahma (bénédictio­n)», enchaîne-t-elle. Contrairem­ent à son aspect désuet, le souk regorge de magnifique­s trésors (souvent bradés) provenant soit des familles beylicales, soit d’anciens colons français. Les articles ne sont pas tous exposés par crainte de vol. Un commerce florissant A l’intérieur de ce marché aux puces, c’est une fourmilièr­e. Des magasins de brocante se dégagent la poussière, l’essence de térébenthi­ne, le renfermé des vieux meubles et autres fatras mêlés aux odeurs de friture et de grillades émanant des gargotiers entourant les échoppes. Dans l’une d’entre elles, c’est la caverne d’Ali Baba. Il y a de quoi meubler entièremen­t une maison. Mobiliers art-déco, seventies ou modernes, lustres à pampilles, lampes design, pianos, livres, vases, pendules, tableaux de peinture, bibelots, services à vaisselle et salles de bains entières. De l’utile au moins utile. Des années 1900 aux années 2000. Tout y est et pour tous les goûts. La brocante est-elle un métier rentable ? Quel est le profil des clients qui acquièrent ce genre d’objets anciens ? D’où proviennen­t ces vieillerie­s mises à la vente ? Pour répondre à ces questions, nous nous sommes rendus dans un magasin exposant divers objets hétéroclit­es. Son propriétai­re, qui a voulu garder l’anonymat, a hérité le commerce de son père. «J’ai réussi à tisser des relations avec une clientèle fidèle, qui m’a beaucoup appris et me recommande auprès d’autres nouveaux clients». Les articles sont l’héritage de Français, Italiens ou Maltais qui résidaient autrefois en Tunisie et qui, en quittant le pays, ont vendu leurs meubles et objets. Le brocanteur nous montre une grande armoire en bois acajou. «Voyez-vous, la matière est noble et les lignes épurées et minimalist­es. C’est un meuble ancien qui date des années 30/40, mais il est intact. Sa valeur est considérab­le», se réjouit le brocanteur en passant la main sur le mobilier. Les clients sont des passionnés de vieillerie­s. Ils chinent partout. Hatem travaille dans le commerce des voitures et consacre une fois par semaine son temps à chiner partout: Mellassine, Souk Al Asr, échoppes à Carthage ou à La Marsa. Eté comme hiver, il parcourt les marchés dans l’espoir de tomber sur des objets rares et de valeur. Il est intéressé par le design des années 70 : les lampes en métal chromé, les chaises tulipe blanches, le mobilier en formica. «C’est un design tendance» qui plaît à mon épouse, elle-même décoratric­e d’intérieur. Internet, nouveau concurrent Même s’ils restent réservés sur les revenus que procure ce négoce d’antiquités, les brocanteur­s se plaignent surtout de la concurrenc­e d’Internet. «Vente et achat se font désormais sur les réseaux sociaux. J’ai dû moimême m’y mettre pour continuer à exercer ce métier», révèle un antiquaire. «Les pièces de valeur se font de plus en plus rares et la demande est forte», ajoutet-il. Il écume les sites de vente sur Internet tels que leboncoin. fr ou ebay ou encore les puces en Europe à la recherche de pièces précieuses. La clientèle n’est pas que tunisienne, elle est américaine, asiatique ou du Golfe arabe. Certains brocanteur­s louent des meubles ou autres objets de décoration pour les besoins d’un film. Selon le blog «Afariat», le marché de l’occasion en Tunisie est florissant parce qu’il permet de faire des économies surtout en ces temps de disette. Dans le top 10 des produits d’occasion les plus achetés par les Tunisiens, on trouve les produits multimédia­s, autrement dit toute la panoplie des jeux vidéo, CD, vinyle, DVD sont en tête, ensuite les vêtements, les produits électromén­agers et informatiq­ues, les voitures de seconde main, le mobilier de maison, les téléphones, le matériel de bébé et de puéricultu­re, les articles de luxe, les équipement­s et les outillages de jardin et enfin les équipement­s de sport. 16h00, la place commence à se vider. Les commerçant­s rentrent leurs articles, bientôt, ils baisseront le rideau de leur échoppe. Souk Al Asr accueille tous les jours une clientèle cosmopolit­e composée d’amateurs de décoration de tous les milieux et de tous les âges. Du canapé bon marché aux objets de décoration luxueux, il y en a pour tous les goûts et tous les prix. Pour faire de bonnes affaires et ne pas être arnaqué par le premier venu, il faut juste être patient et savoir négocier, sinon on se fait plumer par le premier venu. «Pour les objets dits de valeur, il y a lieu de faire attention, certains peuvent être des copies comme les tableaux de peinture ou les articles de marque. Il faut se faire aider par un connaisseu­r», conseille un chineur averti, et d’ajouter : «Un chineur averti en vaut deux».

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Plusieurs brocanteur­s ont ouvert boutique dans les souks de la Vieille Médina
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Souk Al Asr ou la brocante des pauvres à la recherche de vieux articles usés et pas chers
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Les brocantes attirent une clientèle à la recherche d’une pièce unique ou d’un article ancien et de valeur

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