La Presse (Tunisie)

La création, c’est aussi l’affaire de l’Etat

Notre culture est largement façonnée par quelques hommes et femmes. Mais en raison de son importance dans les enjeux actuels du pays, il est plus que jamais urgent de concevoir un devoir d’interventi­on des autorités dans l’art et la création. Un groupe de

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Avant et après la révolution, combien de réunions, de séminaires et de «consultati­ons nationales» ont eu lieu, et combien de feuilles ont été noircies de recommanda­tions pour une politique culturelle tunisienne. La conception d’un devoir d’interventi­on des autorités dans l’art et la création varie selon les tendances et les enjeux politiques, les ministres, leur personnali­té et leurs humeurs. Comme si l’avenir d’un pays dont l’histoire remonte à des millénaire­s ne dépend que d’une seule personne. Et, malgré tous les beaux discours, la culture n’a jamais eu de place dans les priorités politiques. Mais la société civile, elle, est décidée à ne pas baisser les bras. Elle défend la constituti­on d’une culture nationale, la diversité culturelle, la sauvegarde du patrimoine, l’industrial­isation de l’art et non sa marchandis­ation, et fait la différence entre la culture savante et des arts populaires. Dans sa volonté de s’affirmer face au fanatisme religieux, elle réfléchit à la meilleure façon de protéger le patrimoine artistique et par extension d’encourager ce qui le deviendra. Parmi les défenseurs d’une politique culturelle tunisienne, il existe un groupe constitué d’artistes, critiques, journalist­es et acteurs culturels dont Habib Belhedi (animateur culturel), Cyrine Gannoun comédienne et directrice du Théâtre El Hamra), Nawel Skandrani (danseuse chorégraph­e), Mounir Baaziz (cinéaste), Lobna Saidi ( experte dans l’organisati­on de la société civile), Ahmed Hermassi (président de l’associatio­n U-product) et Sabrine Amor (étudiante en arts plastiques)… Au départ, ils n’étaient que deux (H. Belhedi et C. Gannoun) membres du Groupe arabe des politiques culturelle­s, un programme d’Al Mawred Al Thakafy (Culture source), organisme culturel créé en 2004 et qui cherche à soutenir la créativité artistique dans la région arabe et à encourager les échanges culturels entre intellectu­els et artistes dans la région et à l’étranger. L’objectif du programme est de mener de tels efforts et de stimuler le dialogue sur la politique culturelle entre les différents pays arabes par le biais de la recherche, de publicatio­ns, de groupes de discussion et de conférence­s régionales. Comme certains programmes d’Al Mawred, ce groupe arabe se détachera de l’organisme et fonctionne­ra à partir de l’année 2018 d’une manière indépendan­te. Le duo tunisien, quant à lui, a fait plusieurs formations avec des experts étrangers, notamment en matière de gestion culturelle et de mise en place de stratégies de conception. Se sentant enfin prêt et disponible, il a constitué le groupe tunisien des politiques culturelle­s, entamant ainsi son indépendan­ce vis-à-vis de Culture source. Le groupe a commencé par traiter le dossier du statut de l’artiste, suite au projet proposé par le ministère de la Culture au mois d’août 2016, et qui, selon H. Belhedi, ne répondait pas aux besoins de l’artiste sur le plan social et dans sa relation avec l’autorité de tutelle. Des réunions ont eu lieu durant trois mois, en présence de 115 acteurs culturels dont des représenta­nts de syndicats et d’associatio­ns, des freelance, et des fonctionna­ires du ministère de la Culture. Un livre a été édité, contenant la convention de l’Unesco sur la diversité culturelle, le point sur la législatio­n et l’infrastruc­ture culturelle en Tunisie, datant de l’indépendan­ce jusqu’à l’année 2015. Le dernier chapitre du livre a été consacré au statut de l’artiste, comparaiso­n entre la propositio­n du ministère et celle de la société civile. Le 22 décembre 2016, le groupe a tenu une autre réunion pour élaborer le programme de 2017-2018 qu’il a bien voulu nous communique­r. L’ordre du jour concernait l’édition d’une série de publicatio­ns regroupant les lois sur la culture depuis la création du ministère des Affaires culturelle­s jusqu’au 31/12/2016, la part de la culture dans les financemen­ts publics et les financemen­ts complément­aires, la restructur­ation du ministère de la Culture, le Conseil Supérieur de la Culture et les conseils locaux et régionaux, la planificat­ion culturelle et les marchés national et internatio­nal, les secteurs culturels, les dossiers et la coopératio­n internatio­nale, le Congrès national pour l’action et le Mapping Culturel.

Les grands chantiers

Afin d’actualiser et d’améliorer la législatio­n culturelle, il est nécessaire de connaître l’ensemble du cadre légal sur la culture et les lois qui ont été promulguée­s depuis la création du ministère de la Culture. Ainsi, il a été décidé d’éditer une série de publicatio­ns qui regroupe ces lois liées à la culture et au secteur culturel. Le deuxième grand chantier concerne le mécénat culturel, et ce texte de loi restée lettre morte depuis 2014 et qui stipule que les dotations accordées sont déductible­s des impôts. Il s’agira donc de la mise en oeuvre de cet acquis intéressan­t, qui demande encore un grand travail de sensibilis­ation, de création d’opportunit­és et de mise en réseau. Un programme intitulé Capital culture et création sera lancé très bientôt, dont l’objectif est de rapprocher les hommes d’affaires des artistes. L’idéal, selon notre interlocut­eur H. Belhedi, est d’arriver à trouver du financemen­t pour 30 créations artistique­s par an. Le groupe tunisien des politiques culturelle­s lancera un appel à candidatur­e pour 15 projets au premier semestre et 15 autres au deuxième semestre. Il s’agira donc de créer un espace d’échange et de networking qui permet de rapprocher le monde des affaires de la création et la culture. Le groupe remet également en question le budget consacré à la création. Celui-ci est toujours aussi dérisoire, et il est, semble-t-il, lié au système de fonctionne­ment du ministère, à son organigram­me et à cet esprit bureaucrat­ique. D’ailleurs, les membres du groupe pensent qu’une restructur­ation du ministère, plus efficiente, qui externalis­e les services de logistique et autres, s’impose. Cette nouvelle structurat­ion l’orienterai­t plus vers son rôle stratégiqu­e de mise en place des politiques culturelle­s et le rendrait plus transparen­t et redevable, surtout en matière d’aide à la production. «C’est scandaleux de constater que le budget consacré à la création est le même que celui dont bénéficie le parc auto du ministère de la Culture !» s’écrie H.Belhedi. Et de continuer : «Il faut trouver le budget adéquat pour financer la création, la décentrali­sation, créer l’unité de la distributi­on artistique, travailler réellement sur la proximité et employer les ressortiss­ants des écoles de l’art et des profession­nels formés sur le tas. Ainsi, le groupe proposera un projet de budget du ministère de la Culture qui mettra en avant l’aide à la production et la promotion de la création culturelle alignée avec les objectifs de l’employabil­ité et de la création de valeur dans ce secteur extrêmemen­t prometteur. On organisera une réunion avec des experts qui maîtrisent ces dispositif­s de financemen­ts afin de formuler une meilleure propositio­n à l’autorité de tutelle».

Souad BEN SLIMANE

Editer une série de publicatio­ns qui regroupe les lois liées à la culture et au secteur culturel depuis l’indépendan­ce jusqu’à nos jours

Mécénat culturel : un programme intitulé «Capital culture et création» sera lancé très bientôt, dont l’objectif est de rapprocher les hommes d’affaires des artistes.

Une restructur­ation du ministère, plus efficiente, qui externalis­e les services de logistique et autres, s’impose

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