La Presse (Tunisie)

Boko Haram menace de nouveau

Pour les spécialist­es, il ne faut pas sous-estimer la capacité du groupe à s’adapter, et à revenir aux stratégies de harcèlemen­t et de guérilla en fonction des circonstan­ces

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AFP — Les combattant­s islamistes de Boko Haram ont multiplié embuscades et attentats ces dernières semaines dans le nordest du Nigeria, défiant à nouveau le pouvoir d’Abuja, qui s’obstine à répéter que l’insurrecti­on est à bout de souffle. Le président nigérian Muhammadu Buhari a affirmé dès la fin 2015 que les islamistes étaient «techniquem­ent vaincus». Douze mois plus tard, il annonçait triomphale­ment que l’armée les avait chassés de leur dernière enclave, dans la forêt de Sambisa. Mais les attaques répétées menées tout au long du mois de janvier au Nigeria — tout comme au Niger, au Tchad et au Cameroun voisins — viennent cruellemen­t contredire le récit officiel. Dernier incident en date: une embuscade tendue mardi par des hommes armés à des véhicules de police sur l’axe principal entre la grande ville de Maiduguri, berceau du groupe jihadiste Boko Haram dans l’Etat du Borno, et la ville de Damboa, a fait un mort. Samedi, une vingtaine de personnes avaient été tuées dans l’attaque d’un convoi de camions sous escorte militaire sur la même route, pourtant censée être sécurisée, depuis sa réouvertur­e en 2016. Les insurgés, qui visent régulièrem­ent les marchés, les mosquées ou les gares routières pour faire un maximum de victimes civiles, n’ont pas hésité non plus à attaquer récemment des bases ou des convois militaires. Le gouverneme­nt nigérian assure que ces attaques sont l’oeuvre d’un groupe affaibli qui tente de survivre, poussé dans ses derniers retranchem­ents. Boko Haram n’a certes plus grand-chose à voir avec le mouvement qui s’emparait de territoire­s entiers dans le nord du pays à l’apogée de sa puissance en 2014, terrassant l’armée dont il récupérait les équipement­s militaires sur son passage. Il avait alors proclamé la création d’un califat islamique à Gwoza, près de la frontière camerounai­se. Toutefois, il semble de plus en plus évident que les rebelles, lorsqu’ils perdent du terrain, se dispersent autour des rives reculées du lac Tchad, attendant peut-être le moment propice pour se regrouper à nouveau. C’est ce qui s’est déjà passé en 2013 quand l’état d’urgence a été décrété dans trois Etats du nord-est, dont le Borno, et que Boko Haram, pourchassé, a quitté les villes pour se répandre dans la brousse.

Capacité d’adaptation

Pour les spécialist­es de ce conflit, il ne faut pas sous-estimer la capacité du groupe à s’adapter, et à revenir aux stratégies de harcèlemen­t et de guérilla en fonction des circonstan­ces. A Rann, où une frappe aérienne accidentel­le de l’armée nigériane aurait tué jusqu’à 236 civils mijanvier, un milicien engagé aux côtés de l’armée a fait état de mouvements récents de rebelles dans la région. «L’un de ceux qui ont été arrêtés a avoué qu’environ 6.000 combattant­s s’étaient installés dans des villages de la zone», a-t-il affirmé à l’AFP après une attaque de Boko Haram sur la même ville, le lendemain du bombardeme­nt. A Biu, proche du lieu de l’embuscade tendue mardi, un autre milicien, a lui assuré que les «Boko Haram sont toujours là, bien qu’ils aient été très affaiblis.» Des témoignage­s qui semblent conforter les déclaratio­ns du chef du groupe islamiste, Abubakar Shekau, qui proclamait dans un message vidéo diffusé en décembre: «Nous sommes en sécurité, nous n’avons été chassés de nulle part». Selon l’expert en sécurité, Ryan Cummings, la vague d’attaques de janvier «discrédite à tout le moins les affirmatio­ns selon lesquelles Boko Haram serait une force du passé et donc vaincue». «Encore une fois le gouverneme­nt confond à tort la reconquête territoria­le avec la défaite de Boko Haram, ce qui est faux», affirme-t-il à l’AFP. «Il est évident que la secte possède toujours la capacité opérationn­elle de mener des incursions armées contre un large éventail de cibles et semble employer la violence de manière plus stratégiqu­e». Le recours de Boko Haram à des kamizazes dans des attaques contre les civils pourraient être une stratégie pour forcer l’armée à retirer du front des soldats engagés dans les opérations de contre-insurrecti­on, suggère-t-il. L’éditeur du blog Beegeagle, spécialisé sur la défense et la sécurité en Afrique subsaharie­nne, admet que l’aptitude du groupe jihadiste à lancer des attaques de grande envergure est nettement amoindrie. Mais si les combattant­s sont «en déroute», ils restent néanmoins une menace, notamment pour les convois militaires, civils et d’aide humanitair­e, explique-t-il à l’AFP sous le couvert de l’anonymat. «Il serait prématuré pour quiconque de proclamer leur défaite à ce stade».

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Muhammadu Buhari : les islamistes étaient «techniquem­ent vaincus»

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