La Presse (Tunisie)

Le dialogue du mot et des notes

«Houria», le nouveau spectacle de Leïla Toubel, accompagné­e par le pianiste Mehdi Trabelsi, subit les dernières retouches.Nous avons rencontré l’artiste lors d’une répétition. Entretien.

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Deux années après Solwen, Houvoit le jour…

Effectivem­ent Solwen est sorti en janvier 2015, mais le travail sur Houria a commencé depuis novembre de la même année. Il y a eu le besoin de faire quelque chose d’autre qui a été alimenté par la rencontre avec l’artiste Mehdi Trabelsi à Paris. Il y a eu le besoin de passer aussi à une autre forme pour ne pas se répéter et «ruminer» le monodrame. Il s’agit également de trouver une fusion sensible entre la musique et la musicalité du dialecte tunisien. D’ailleurs, je travaille beaucoup sur cette musicalité sur le tempo et le rythme de notre dialecte. Aujourd’hui on est en plein dedans et on prépare la première. Ce spectacle, je le fais sans le soutien du ministère des Affaires culturelle­s et j’en suis fière ! Et je remercie du fond de mon âme la personne qui nous a soutenus, sans elle ce rêve n’aurait jamais vu le jour.

Vous avez parlé d’une nouvelle forme, pouvez-vous nous donner plus de détails ? Oui, une nouvelle forme dans la mesure où le piano est sur scène, où la musique est là ! Et c’est un mariage entre le théâtre et la musique, entre ces deux formes sensibles d’expression qui fédèrent l’émotion. Il y a une évolution par rapport à Solwen mais je reste en même temps dans la même ligne dans le sens où je fais un théâtre qui me parle. C’est un théâtre qui sort de mes tripes et qui colle à ma peau et c’est très important. Sur un autre plan, ce spectacle est forcément différent, ne serait-ce que par la présence du piano et la magie du live, c’est un dialogue entre le mot et la note....

Donnez-nous un avant-goût de «Houria» ?

C’est un spectacle qui traite du fameux phénomène internatio­nal qui est le terrorisme. C’est aussi une histoire d’amour au milieu de cette guerre qui n’a pas de nom et qui n’a pas de visage… La question se pose aussi autour de ces gens qui sont capables d’être plus cruels que la mort. Le reste est un secret que les spectateur­s découvriro­nt plus tard…

Des gens plus forts que la mort! Vous avez cru un jour qu’on en aura en Tunisie ? Sincèremen­t oui ! Surtout après l’assassinat de Chokri Belaïd. Après, il y a eu les horreurs des soldats égorgés au Chaâmbi pendant l’appel à la prière… On n’est pas épargné aujourd’hui par cette menace… Dans une rencontred­ébat que j’ai faite à Ajaccio dernièreme­nt j’ai déclaré : «Nous sommes un pays musulman et chez nous on est en train de tuer des musulmans… si vous voulez qu’on parle des problèmes de l’Islam, rappelez-vous que des soldats on été tués pendant l’appel à la prière. L’amalgame est donc là et personne n’est à l’abri…» .

Les artistes ont-ils une part de responsabi­lité dans ce qui se passe aujourd’hui ?

Pendant les années Ben Ali on avait du mal à aller dans les régions et il y avait comme un bouclier contre «l’art engagé» même si je n’aime pas ce mot. L’artiste a sa responsabi­lité certes mais cela se décide aussi au niveau politique. Aujourd’hui on reste au niveau de quelques slogans naïfs et dénués de sens quand on parle de la lutte contre le terrorisme par l’art mais concrèteme­nt qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ?

Il y a aussi la résistance des mentalités…

Effectivem­ent et avec Solwen je n’ai pas pu tourner ! Il y a des gens qui ont appelé pour dire : «Nous ne voulons pas de la dame en robe rouge !» . Il y avait un blocus clair et net par rapport à ce spectacle. Si la censure de Ben Ali était claire et portait le visage de la commission qui arrive avant la première, la censure d’aujourd’hui est diffuse : elle peut émaner de quelqu’un qui est assis dans un café… On ne connaît même pas le visage de celui qui nous censure. Et même si ces régions acceptent le spectacle, leurs citoyens n’ont pas le droit de voir le spectacle dans des conditions optimales de mise en scène… On travaille tout de même sur la beauté et on interpelle l’intelligen­ce. Les conditions de représenta­tions ne sont même pas à la hauteur dans ces régions à cause des problèmes d’infrastruc­ture. Il y a la nécessité de se mette ensemble pour sauver ce qui reste à sauver et pour cela les gens ont besoin de dégonfler leur ego !

Votre regard sur la création théâtrale aujourd’hui ?

Je pense que la création se porte bien aujourd’hui. Tant que les gens créent, tant que le théâtre se porte bien. Loin de tout jugement… Pour revenir aux JTC, les spectacles ne sont pas représenta­tifs du théâtre tunisien. Et d’ailleurs il n’y a personne qui représente le théâtre tunisien même si certains le pensent. Le mot «théâtre tunisien» est une identité qu’on donne à un théâtre qui a plusieurs écoles. Chacun a son empreinte et il y a de la place pour tout le monde. Sauf qu’il faut un juste équilibre au niveau des médias pour la communicat­ion des pièces produites. D’aucuns croient qu’on n’est pas en train de fabriquer un public averti pour le théâtre... Je suis tout à fait d’accord et, d’ailleurs, qu’est-ce qu’on communique au spectateur dans les télés et à travers les médias ? Prenons l’exemple de la télévision nationale qui fonctionne avec l’argent du contribuab­le. Jusqu’à quand notre télévision nationale va refuser d’enregistre­r et d’archiver les pièces de théâtre qui entrent dans l’oubli tous les jours ? On n’a gardé aucune trace par exemple de Solwen ou de tout autre spectacle qui raconte une tranche de la révolution tuni- sienne. Jusqu’à quand va-t-on ignorer notre mémoire collective que le théâtre a mise en scène ? Il est très grave que notre télévision nationale ne soit pas consciente de cette responsabi­lité. La télévision a oublié son devoir de mémoire. Je pense que depuis le 14 janvier il n’y a pas d’oeuvres théâtrales enregistré­es par la télévision, des oeuvres qui ont pourtant traité du sujet de la révolution. D’autre part, je trouve que la promotion d’un spectacle théâtral en prime time pour le théâtre de la part de notre télé nationale comme un geste pour la culture ne portera pas un préjudice financier à celle-ci… A mon avis, il n’y a pas de véritable engagement qui vient des tripes…

Entretien conduit par Salem TRABELSI

Jusqu’à quand notre télévision nationale va refuser d’enregistre­r et d’archiver les pièces de théâtre qui rentrent dans l’oubli tous les jours ?

Houria est un spectacle différent, ne serait-ce que par la présence du piano et la magie du live ; c’est un dialogue entre le mot et la note....

Aujourd’hui on reste au niveau de quelques slogans naïfs et dénués de sens quand on parle de la lutte contre le terrorisme par l’art

Le mot «théâtre tunisien» est une identité qu’on donne à un théâtre qui a plusieurs écoles

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(photo Rock Raven) Leïla Toubel & Mehdi Trabelsi

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