La Presse (Tunisie)

Tous responsabl­es !

Le cannabis est une drogue répandue chez les jeunes qui se la procurent à bas prix

- Samir DRIDI

Fumer un joint de cannabis, communémen­t appelé zatla, est devenu un acte anodin pour nos jeunes devant les lycées et les collèges. Des entretiens entrepris avec quelques consommate­urs, des directeurs d’établissem­ents scolaires et des surveillan­ts, ainsi que des cadres sécuritair­es sous couvert d’anonymat ont démontré que la consommati­on de cannabis dans la banlieue nord par nos jeunes à l’intérieur et à proximité des lycées et collèges prend des proportion­s graves. Les parents doivent, plus que jamais, réagir et ne pas perdre le contact avec leurs enfants.

Des statistiqu­es inquiétant­es et une loi surannée

En janvier 2017, le ministre de l’Intérieur, Hédi Majdoub, a fait état de l’évolution de la consommati­on de stupéfiant­s dans notre pays. Le nombre des affaires enregistré en 2016 avoisine les 5.744, contre 723 en 2000, ce qui pose problème. Les jeunes et les élèves sont plus souvent impliqués dans ces affaires et leur nombre est passé de 213 en 2012 à 475 en 2016, enregistra­nt une nette augmentati­on en quatre ans. La loi 52, relative aux stupéfiant­s, promulguée en mai 1992, réprime et ne laisse aucune chance pour la réintégrat­ion, ce qui explique le grand soutien au nouveau projet de loi en gestation qui ne néglige pas le volet préventif.

La consommati­on de cannabis aux portes des lycées et des collèges

Oui, la consommati­on de canna- bis existe à proximité des lycées et des collèges, et elle prend des proportion­s dantesques, assurent plusieurs témoins rencontrés. Cependant, il y a des régions qu’il faudra bien quadriller sur le plan sécuritair­e en raison du haut risque de l’expansion de ce fléau dans les années à venir. Nous citons le cas du Kram où un réseau de trafic de stupéfiant­s a été démantelé ces derniers jours avec la saisie de 47 plaques de cannabis d’une valeur de 48 mille dinars. Contactée à ce sujet, l’une des directrice­s dans un lycée de la banlieue nord nous a déclaré qu’elle n’a pas hésité à informer les services de police pour dénoncer deux élèves dans son établissem­ent qui étaient en contact avec un fournisseu­r de drogue. La police a pu intervenir à temps et arrêter ce dealer avec les deux lycéens en question. «On entend beaucoup parler de la consommati­on du cannabis à proximité des collèges, mais les consommate­urs sont toujours sur leurs gardes et se montrent très discrets», témoigne un surveillan­t affecté dans un collège. «C’est très délicat et on n’a pas le droit d’intervenir hors des établissem­ents scolaires», expliquet-il. «On les voit en train de fumer un joint à l’entrée des immeubles à proximité, mais on ne peut rien faire». «Le prix du cannabis a baissé, ce qui encorage les jeunes, filles et garçons, à la consommati­on de cette drogue. Avec la somme modique de 10 ou 15 dinars, tu peux te procurer une petite bar-

rette, et ce ne sont pas les fournisseu­rs qui manquent, selon certains témoins», qui ajoutent que le cannabis est la drogue la plus répandue chez les jeunes. «C’est moins nocif que de griller une cigarette et ça procure un effet relaxant !», a résumé un jeune ne dépassant pas les 15 ans. « Chaque consommate­ur a sa raison. Il y a ceux qui sont en quête d’oubli, d’autres qui sont poussés par cette envie qu’on retrouve chez certains ados, celle de foutre sa vie en l’air en signe de refus de la société. Mais il y a aussi ceux qui le font par simple imitation» . «C’est surtout dans les parages des collèges et lycées, dans les quartiers populaires que se consomme le cannabis», nous confie le surveillan­t général d’un lycée bien connu de la banlieue nord. «J’ai une fois identifié une personne bien connue dans le trafic de stupéfiant­s en train de rôder devant le lycée, mais je n’ai pas pu intervenir à temps car il n’y avait pas de policiers sur place» , ajoute-t-il amèrement.

La lutte ne doit pas rester l’apanage de la police

« On n’a pas d’équipement­s spéciaux pour la lutte contre la drogue et on ne peut pas implanter une patrouille de police devant chaque lycée», a expliqué le ministre de l’Intérieur, Hédi Majdoub, lors de son audition en janvier 2017 par la commission de législatio­n générale concernant le projet de loi organique relatif aux stupéfiant­s, assurant dans ce cadre que la «vigilance de l’institutio­n sécuritair­e est de mise» . Pour les agents de police qui opèrent sur le terrain, il y a un autre son de cloche. Insuffisan­ce d’effectif et manque flagrant de moyens, libération par les juges de certains éléments arrêtés, plaintes des parents suite aux arrestatio­ns de leurs enfants devant les lycées, sont tous des éléments qui contribuen­t à freiner leurs efforts dans la lutte contre la vente et la consommati­on de stupéfiant­s devant les établissem­ents scolaires, souligne un cadre de police sous couvert d’anonymat. La même source ajoute que l’une de ces unités a procédé der-

nièrement à l’arrestatio­n d’une collégienn­e de 14 ans qui a consommé du cannabis devant un lycée à la banlieue nord. Elle n’est pas la première et ne sera pas certaineme­nt la dernière. Les deux ministères de l’Intérieur et de la Justice ont échoué, de par l’applicatio­n d’une loi jugée trop répressive, à lutter contre la drogue dans notre pays .Le projet de la nouvelle loi, qui sera, sans nul doute, plus «clément», augmentera le nombre des consommate­urs du côté des jeunes lycéens s’il n’est pas accompagné d’une stratégie nationale de lutte contre ce fléau. On est en train de pousser le législateu­r vers l’annulation de la peine de prison pour les consommate­urs de cannabis, tout en omettant de parler des incidences négatives de la consommati­on sur les jeunes, sur leurs parents et sur la société. Les dangers de la consommati­on du cannabis, ou zatla, ne doivent pas rester un angle mort du débat sur cette question et la lutte ne doit pas rester l’apanage de la police.

On est en train de pousser le législateu­r vers l’annulation de la peine de prison pour les consommate­urs de cannabis, tout en omettant de parler des incidences négatives de la consommati­on sur les jeunes, sur leurs parents et sur la société. Les dangers de la consommati­on du cannabis, ou zatla, ne doivent pas rester un angle mort du débat sur cette question et la lutte ne doit pas rester l’apanage de la police

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Les élèves sont de plus en plus impliqués dans des affaires de consommati­on de drogue. Leur nombre est passé de 213 en 2012 à 475 en 2016, enregistra­nt une nette augmentati­on en quatre ans. Alarmant

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