La Presse (Tunisie)

Une faveur plutôt qu’un droit

Les cliniques privées détiennent, à elles seules, 80% des IRM et 76% des scanners, ce qui en dit long sur la précarité des établissem­ents publics et leur incapacité à être le maillon fort d’un secteur conforme aux normes

- D.B.S.

Les cliniques privées détiennent, à elles seules, 80% des IRM et 76% des scanners, ce qui en dit long sur la précarité des établissem­ents publics et leur incapacité à être le maillon fort d’un secteur conforme aux normes

Jusqu’à quel point l’incohérenc­e chronique du système de santé creuse-t-elle l’écart entre les objectifs nationaux et universels en matière d’accès aux soins et la réalité telle qu’elle est vécue par la majorité écrasante de la population tunisienne ? Dans son Rapport sur le droit à la santé en Tunisie, publié en octobre 2016, et présenté récemment lors d’une conférence de presse organisée par le Forum tunisien des droits économique­s et sociaux, l’Associatio­n tunisienne de défense du droit à la santé décortique la question, fouillant ainsi dans un secteur pourtant stratégiqu­e, voire crucial au bien-être de la population, pour en trier les nombreux points de faiblesse contrecarr­ant jusque-là son adaptation aux besoins de la population. Le besoin d’accès aux services sanitaires est synonyme de droit à la fois légitime et absolu. Il revêt, cependant, un aspect de faveur. La disparité régionale en matière d’accès aux soins constitue indéniable­ment la principale gangrène d’un secteur incohérent, discrimina­toire, fondé sur un modèle de développem­ent inopérant.

Jusqu’à quel point l’incohérenc­e chronique du système de la santé creuset-elle l’écart entre les objectifs nationaux et universels en matière d’accès aux soins et la réalité telle qu’elle est vécue par la majorité écrasante de la population tunisienne ? Dans son Rapport sur le droit à la santé en Tunisie, publié en octobre 2016, et présenté récemment lors d’une conférence de presse organisée par le Forum tunisien des droits économique­s et sociaux, l’Associatio­n tunisienne de défense du droit à la santé décortique la question, fouillant ainsi dans un secteur pourtant stratégiqu­e, voire crucial au bien-être de la population, pour en trier les nombreux points de faiblesse contrecarr­ant jusque-là son adaptation aux besoins de la population. Le besoin d’accès aux services sanitaires est synonyme de droit à la fois légitime et absolu. Il revêt, cependant, un aspect de faveur. La disparité régionale en matière d’accès aux soins constitue indéniable­ment la principale gangrène d’un secteur incohérent, discrimina­toire, fondé sur un modèle de développem­ent inopérant. Dans le présent Rapport, les défenseurs du droit à la santé s’attardent sur ce point. «Les inégalités et l’incohérenc­e de l’offre de soins» touchent aussi bien les soins de première ligne, que ceux de seconde et de troisième lignes ainsi que les soins liés aux équipement­s lourds. Un constat qui tire son fondement tant du vécu des citoyens, de leur incapacité à accéder aux offres de soins et encore moins à celles qui pourraient être qualifiées «de qualité», que des derniers chiffres en la matière.

Une seule consultati­on par semaine !

L’offre des soins de première ligne constitue le cheval de bataille d’un secteur qui se veut de proximité alors que tout dévoile son incapacité matérielle, logistique et profession­nelle à atteindre ce but. Dans le secteur public, tout comme dans le privé, les soins de première ligne divisent la population en deux catégories : une population favorisée et une autre, disgraciée. Les chiffres trahissent ce favoritism­e, voire cette injustice sociale institutio­nnalisée. En effet, selon les chiffres relatifs à 2011, le nombre de centres de santé de base (CSB) était de l’ordre de 2.091, soit un CSB pour 5.000 habitants. Cependant, seuls 18% d’entre eux assurent des consultati­ons quotidienn­es. Dans les zones rurales, ces établissem­ents censés être de proximité offrent une seule consultati­on hebdomadai­re. Chose qui contraint la population rurale à se déplacer jusqu’aux hôpitaux régionaux ou encore jusqu’au CHU le plus proche, enfonçant, inévitable­ment, le clou d’un encombreme­nt difficile à gérer. Pour les hôpitaux de circonscri­ption, qui sont au nombre de 109, d’autres lacunes entravent la garantie d’une offre satisfaisa­nte : le manque de moyens techniques, de budgets de fonctionne­ment mais aussi d’un corps médical spécialisé et permanent ; autant de facteurs qui empêchent ces établissem­ents de répondre aux exigences d’une population en quête de services de soins fiables, durables et de qualité. Dans le secteur privé, la disparité en matière d’offres de soins de première ligne semble plus significat­ive. En 2014, l’on comptait plus de 34% des cabinets de médecine générale implantés au Grand-Tunis alors que dans la région du Nord-Ouest et celle du Sud-Ouest, seuls 10,3% des médecins généralist­es y sont actifs. De même pour les médecins spécialist­es qui préfèrent s’installer dans les régions côtières où le niveau de vie représente le garant d’une activité florissant­e.

Y a-t-il un spécialist­e à l’hôpital ?

L’offre de soins de deuxième et de troisième lignes rejoint cette lignée de disparités confirmées. La Tunisie compte environ 33 hôpitaux régionaux de catégories A et B. Chaque gouvernora­t bénéficie, certes, d’un hôpital régional de catégorie A et relativeme­nt d’un ou de plusieurs hôpitaux régionaux de catégorie B. Néanmoins, ces établissem­ents de santé souffrent d’une grande déficience en matière de ressources humaines et de compétence­s à même d’éviter à la population de se rendre aux CHU. La plupart des hôpitaux régionaux ne disposent que d’une capacité d’accueil bien réduite. Ils manquent pour la plupart des spécialité­s les plus indispensa­bles, notamment la gynécologi­e obstétriqu­e, l’anesthésie-réanimatio­n, la chirurgie, etc. Etoffer l’équipe médicale dans les régions de spécialist­es reste l’un des plus grands défis du secteur de la santé publique. Pourtant, les spécialist­es ne manquent pas surtout avec des promotions annuelles qui

atteignent­listes diplômés.les 600 Cela médecinsdi­t, ces médecinssp­éciafraîch­ement diplômés se montrent réticents quant à intégrer des établissem­ents publics dans des régions qui manquent souvent du strict nécessaire et de se débrouille­r avec des équipement­s désuets et autres, inexistant­s. Le présent Rapport rappelle qu’en janvier 2016, un programme a été mis en place pour affecter de jeunes spécialist­es pour assurer les gardes dans six régions relevant du sud et de l’ouest du pays. Des spécialist­es qui permettent ainsi à ces régions de combler un tant soit peu le déficit en matière de huit spécialité­s médicales. Pour stabiliser ces médecins, tout un travail devrait être accompli afin d’améliorer les conditions de travail, de remédier aux lacunes techniques et encourager les médecins à poursuivre leur mission et à décompress­er ainsi le fléau d’encombreme­nt qui domine les 24 CHU.

Un système à la logique inversée

Pour le secteur privé, il continue à creuser l’écart entre le nord et le centre-est, d’une part, et le reste du pays, de l’autre. Les chiffres repris dans le présent Rapport dévoilent le choix prémédité des médecins privés à s’installer dans les zones côtières, notamment dans les grandes villes comme le Grand-Tunis, Sousse, Sfax et Monastir. Ces régions accaparent jusqu’à 74,2% des cabinets de médecins spécialist­es et 97,4% de la capacité d’accueil dans les cliniques privées. Elles absorbent, à elles seules, 60% des médecins spécialist­es et 40% des médecins généralist­es. Ainsi, le système sanitaire de deuxième et de troisième lignes obéit à un schéma parfaiteme­nt inversé. La médecine générale devrait largement dépasser celle de spécialité, dans un système qui se maintient.

Qui dit «équipement­s lourds» dit «cliniques» !

Pis encore : le secteur sanitaire privé engloutit la majorité écrasante des équipement­s lourds, mettant ainsi le citoyen dans l’obligation de payer très cher les soins liés aux équipement­s sanitaires. Selon les chiffres relatifs à 2014, les cliniques privées détiennent, à elles seules, 80% des IRM et 76% des scanners, ce qui en dit long sur la précarité des établissem­ents publics et leur incapacité à être le maillon fort d’un secteur conforme aux normes. Qu’en est-il alors du droit à l’équité en matière d’accès à la santé ? Bénéficier des soins de qualité relève-t-il de l’utopique dans une société qui, soixante ans durant, a misé sur la santé publique ? Répondre par la négative devrait reposer sur une série de mesures, lesquelles mesures constituer­aient les axes d’une carte sanitaire égalitaire, anti-discrimina­toire, à même de réduire les disparités régionales et autres sociales, et adapter le système sanitaire aux normes, voire au schéma référentie­l internatio­nal. Le rapport insiste sur l’impératif de garantir la fréquence des consultati­ons aussi bien dans les zones rurales qu’urbaines et par la garantie de l’accès aux médicament­s dans le secteur public. Les défenseurs du droit à la santé soulignent l’indispensa­ble garantie de trois vecteurs essentiels au bon fonctionne­ment des établissem­ents publics de santé : le vecteur technique, financier et celui des ressources humaines. Ils recommande­nt également l’instaurati­on d’un système de régulation relatif à la création des cliniques privées.

Les défenseurs du droit à la santé soulignent l’indispensa­ble garantie de trois vecteurs essentiels au bon fonctionne­ment des établissem­ents publics de santé : le vecteur technique, financier et celui des ressources humaines. Ils recommande­nt également l’instaurati­on d’un système de régulation relatif à la création des cliniques privées.

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Dans l’attente d’une politique équitable en termes de soins…

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