«La sortie de la situation insupportable ne sera ni rapide ni aisée»
L’alourdissement de la fiscalité sur ceux qui paient, sans action forte à l’encontre de ceux qui y échappent, renforce le sentiment d’injustice fiscale et favorise l’évasion
La dette publique continue de s’alourdir, dépassant 60% du PIB en 2016. Les mesures adoptées par le gouvernement dans le cadre de la loi de finances 2017 réduiront le déficit budgétaire à 5,6% du PIB. La masse salariale de la fonction publique est parmi les plus élevées au monde. A votre avis, quelles seront les actions urgentes qui doivent être opérées pour protéger les finances publiques ? Et comment peut-on endiguer la dette publique ?
La situation des finances publiques est très difficile. Des années de gestion brouillonne de recrutements massifs et indus ont plombé structurellement et durablement les finances publiques. Avant 2011, la gestion des affaires publiques était démesurément précautionneuse, soucieuse des seuls équilibres macroéconomiques mais insuffisamment sensible aux exigences de l’inclusion, de la solidarité et de l’investissement dans la modernité et la compétitivité. Depuis la révolution, le pays a perdu le cap, passant à une gestion débridée, acquiesçant sans discernement à toutes les demandes. Les trésors de guerre et les cagnottes héritées ont été généreusement distribués au nom de l’investissement dans la paix sociale, mais aussi des réparations partisanes. En l’absence de croissance forte, cela n’a été possible qu’à travers un approfondissement considérable des déficits budgétaire et courant et une accélération de l’endettement public. La sortie de cette situation insupportable ne sera ni rapide ni aisée. Il n’y a pas de miracle. Les finances publiques ont leur inertie, leur rythme. Elles ne se gèrent pas à la hussarde. Les inflexions seront longues à mettre en oeuvre, encore plus longues à produire leurs effets, si nous voulons éviter les soubresauts politiques et sociaux dont le pays n’a nul besoin. Le gouvernement d’union nationale, arrivé aux affaires fin août dernier, a vite pris la mesure de l’état dégradé des finances publiques. Le premier projet de loi de finances 2017 a esquissé un certain nombre de mesures pour tenter de redresser la situation. L’absence de concertations et plus généralement de méthode a abouti à en abandonner l’essentiel. Celles retenues relèvent plus de l’approche comptable qu’économique. Leur effet sera homéopathique, là où le traitement aurait dû être de choc. L’expansion budgétaire de plus de 10% est un mauvais signal dans la conjoncture actuelle. La tentative de relance par les programmes du premier logement ou encore de micro-crédits aurait pu être bien utile si la mise en oeuvre de ces programmes n’a pas été pervertie par de mauvaises gouvernances. L’alourdissement de la fiscalité sur ceux qui paient, sans action forte à l’encontre de ceux qui y échappent, renforce le sentiment d’injustice fiscale et favorise l’évasion. Il est urgent pour le gouvernement de revoir sa copie. Sur le court terme, cinq axes au moins doivent être explorés simultanément : une forte rationalisation des dépenses publiques, à travers la réforme de la Caisse générale de compensation, dont le déficit risque de se creuser davantage si la tendance actuelle de relèvement des prix internationaux des hydrocarbures venait à se confirmer. Le deuxième axe consiste en un meilleur ciblage des subventions en direction de ceux qui en ont réellement besoin, l’adaptation régulière des prix des carburants à la pompe aux évolutions du prix international du baril de pétrole, avec une attention permanente à la préservation du pouvoir d’achat des catégories faibles et vulnérables, outre la recherche d’une plus grande efficience économique et sociale des interventions de l’Etat, y compris des investissements publics. La lutte sans merci contre la fraude fiscale et la contrebande en est le troisième axe. Les gisements sont immenses. Les résistances le seront tout autant. Seule une volonté politique inébranlable pourrait les affronter dans un combat de longue durée. A ceci s’ajoute un désengagement rapide et ordonné du périmètre des biens confisqués, la privatisation des entreprises publiques opérant dans le secteur concurrentiel dont le déficit continue à peser sur les finances publiques et enfin la cession des participations publiques non stratégiques, y compris de nombreux actifs fonciers, aujourd’hui à l’abandon. Aussi, une modernisation accélérée de l’État est impérative avec un plan quinquennal pour l’informatisation des services, l’identification des doublons et l’encouragement des départs à la retraite, avec un gel concomitant des salaires. Enfin, une profonde réforme fiscale permettra d’élargir l’assiette en réduisant davantage les transactions en espèces et en supprimant progressivement, sur une période raisonnable, les régimes forfaitaires. Ces mesures sont de nature à alléger le déficit budgétaire. Elles doivent être complétées par une approche économique qui favorise l’inclusion, l’investissement productif et l’élargissement de l’assiette fiscale. L’inclusion pourrait être un facteur parmi d’autres de sortie de la crise par le haut. A titre d’exemple, la situation des caisses sociales et de retraite est profondément dégradée. L’Etat vole à leur secours. Les montants prévus dans le budget 2017 sont importants, tout en restant insuffisants et sans effet sur les causes structurelles de leurs déficits. Les solutions envisagées, allant de l’allongement de l’âge de départ à la retraite à l’augmentation des cotisations sociales patronales ou salariales ou encore la révision à la baisse des prestations, sont douloureuses mais inéluctables. Elles pourraient être favorablement complétées par une forte intégration dans le système de couverture sociale d’une part importante des travailleurs précaires ou informels. Rien de tout cela n’arrêtera la dégradation de l’endettement public, au moins sur les deux prochaines années. La sortie récente sur les marchés des capitaux privés pour 850 millions d’euros sur une durée courte et à un taux élevé, celles inéluctables à venir, la structure de la dette publique, à plus de ses deux tiers contractée en devises, le glissement permanent du dinar sont autant de facteurs qui tireront encore plus l’endettement vers de nouveaux records et réduiront d’autant les marges de manoeuvre de l’action gouvernementale.
Que peut-on dire de nos engagements financiers auprès des instances monétaires internationales ?
La Tunisie a toujours respecté ses engagements financiers auprès de tous les bailleurs de fonds extérieurs. Il est fondamental que cela continue. Il est tout aussi important que la Tunisie respecte ses engage- ments en matière de mise en oeuvre et de respect du calendrier des réformes. Nos gouvernements successifs ont pris l’habitude au cours de ces dernières années d’avaliser facilement toutes les exigences de nos bailleurs de fonds institutionnels : FMI, Banque mondiale, UE..., sans jamais respecter leur mise en oeuvre, dans les délais convenus. Ils ont évoqué systématiquement les difficultés de la transition politique et son nécessaire accompagnement financier. En réalité, ils ont, et les uns et les autres, sous-estimé les réticences à chaque réforme et l’affaiblissement de l’Etat face aux oppositions des multiples groupes d’intérêt. L’élargissement des coa- litions politiques, conjugué à la faiblesse des programmes économiques des différents partis, aboutit à l’absence de vision et de programmes. Les engagements pris en mai 2016 par la Tunisie avec le Fonds monétaire international étaient tout simplement surréalistes ; impossibles à mettre en oeuvre en l’absence d’un nouveau contrat social, construit à partir de diagnostics partagés, d’objectifs communs et d’engagements solidaires. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’autre choix que d’emprunter la voie de la responsabilité pour que les partenaires sociaux et plus généralement toutes les parties prenantes, ensemble, puissent partager les contraintes qui s’imposent à nous et esquisser le champ du possible. Les contraintes financières sont sévères. Nous avons encore le choix de les desserrer par nousmêmes et sans intervention extérieure, en acceptant des sacrifices mais aussi en favorisant l’inclusion tous azimuts. Cette fenêtre de tir dont nous disposons encore ne nous restera pas disponible indéfiniment. Nous avons besoin de nos partenaires financiers institutionnels. Rien ne pourra être fait sans leur appui, mais nous devons les convaincre que nous avons un projet viable, lisible et possible.
Peut-on sortir de l’impasse financière avec une dette contractée à 60% qui pourra atteindre 70% en 2017?
Tous les ingrédients sont réunis pour que la dette publique dépasse 70% du PIB avant la fin de 2017 et aille au-delà en 2018. Il est nécessaire de préparer sereinement, mais sans plus tarder, les conditions d’inversion de ce processus qui nous appauvrit et nous asservit. Seule une croissance économique forte pourrait nous y aider. Or, la croissance ne pourra s’installer et s’accélérer sans de multiples réformes, structurelles et profondes. Nous n’y échapperons pas. Pour être acceptables, ces réformes devront identifier et mobiliser tous leurs bénéficiaires potentiels pour faire front aux violentes oppositions auxquelles nous devons nous attendre. Deux lignes de force devraient être derrière toutes les réformes et charpenter plus généralement toutes les politiques publiques : l’inclusion, dans ses multiples dimensions, et l’adoption volontaire des meilleures pratiques internationales.
L’inclusion pourrait être un facteur parmi d’autres de sortie de la crise par le haut
L’alourdissement de la fiscalité sur ceux qui paient, sans action forte à l’encontre de ceux qui y échappent, renforce le sentiment d’injustice fiscale et favorise l’évasion