La Presse (Tunisie)

FMI, budget de l’Etat, économie, l’expert décrypte sans langue de bois.

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Sans passions et sans idéologies : ainsi parle Hakim Ben Hamouda. L’enseigneme­nt? Les jeunes qui ne maîtrisent pas deux langues étrangères auront le plus grand mal à s’insérer. La relation avec le FMI ? Il ne faut pas prendre des engagement­s que nous ne pouvons pas tenir. La priorité? La relance économique et la réforme de l’administra­tion. Une interview qui se lit facilement, qui sort des sentiers de l’économisme pour être compréhens­ible par le plus grand nombre. Sans langue de bois, certes, parfois notre interlocut­eur a fait preuve d’une grande prudence. Ministre de l’Economie et des Finances dans le gouverneme­nt de Mehdi Jomaâ, M. Ben Hamouda continue de suivre la situation nationale avec intérêt et quelques appréhensi­ons. Il partage avec nous ici ses évaluation­s diagnostiq­ues. Interview.

Vous avez été ministre de l’Economie et des Finances pendant une année, une année difficile politiquem­ent et économique­ment. Avec le recul, et si c’était à refaire : quelles sont les choses que vous n’auriez pas refaites? L’année 2014 a été une année extrêmemen­t difficile. Nous sortions de et à sortir par le haut avec notamment l’adoption de la constituti­on et la formation du gouverneme­nt de technocrat­es conduit par Mehdi Jomaâ. Au niveau économique, ce gouverneme­nt a multiplié les efforts pour redresser la barre et favoriser une politique de redresseme­nt économique avec le rétablisse­ment des grands équilibres macroécono­miques, la relance de la croissance et de l’investisse­ment et la réponse à la crise sociale qui sévissait dans notre pays.

On peut supposer qu’à cette époque, vous aviez conscience de la difficulté de la situation financière et économique et surtout de la tendance, des nuages s’annonçaien­t à l’horizon. Quels ont été les moments les plus difficiles ? Les discussion­s avec les syndicats ? Avec l’Assemblée ? Avec les bailleurs de fonds ? Avec vos collègues au gouverneme­nt? Nous nous sommes rendu compte, après l’audit que nous avons effectué en peu de temps, que la situation économique était plus grave que nous ne le pensions et qu’il fallait agir très vite pour faire face à la détériorat­ion des grands équilibres. Dans ce contexte difficile, les discussion­s avec tous les partenaire­s étaient difficiles et complexes, car chacun avait ses propres priorités. Les syndicats demandaien­t des augmentati­ons de salaires que les grands équilibres budgétaire­s ne pouvaient pas permettre. Les discussion­s avec l’Assemblée, particuliè­rement dans la mise en oeuvre des réformes, n’étaient pas faciles non plus. Les bailleurs de fonds et particuliè­rement le FMI avaient aussi des exigences qui étaient inscrites dans l’accord que nous avons signé avec eux, mais qu’il était difficile de tenir. Mes collègues du gouverneme­nt avaient aussi des requêtes pour augmenter leurs budgets pour faire face aux demandes des différents services, notamment les secteurs de la santé, de l’éducation ou de la culture. En somme, il fallait arbitrer entre des demandes contradict­oires et surtout tenir les grands équilibres.

Si vous deviez aujourd’hui hériter du dossier des relations avec le FMI, que diriez-vous aux experts et responsabl­es ? Les négociatio­ns avec les insti- tutions multilatér­ales dont le FMI exigent deux éléments importants ; le premier c’est de prendre des engagement­s réalistes que nous sommes en mesure d’honorer. Le vrai problème, c’est que nous acceptions des matrices d’engagement­s qui dépassent de loin notre capacité d’exécution et qui ne tiennent pas compte particuliè­rement des périodes de transition où l’instabilit­é est grande et des résistance­s face aux réformes. Le second point, et une fois que les engagement­s ont été pris, il faut impérative­ment les exécuter. La mise en place des réformes exige un effort de coordinati­on que malheureus­ement les départemen­ts en charge de ces questions notamment le ministère des Finances, le ministère de la Coopératio­n internatio­nale ou la Banque centrale ne sont pas en mesure d’imposer pour différente­s raisons. Cela exige une forte implicatio­n de la part de la Présidence du gouverneme­nt et au niveau le plus élevé qui doit s’assurer que l’exécution des engagement­s est sur les rails. Et cette coordinati­on ne peut pas se limiter à des réunions d’urgence ou de crise au moment de la visite d’une de ces délégation­s. Au contraire, ça doit être un travail de longue haleine et de suivi presque quotidien auprès des différents départemen­ts de leur état d’avancement et la mise en place de leurs engagement­s. Au final, quel est selon vous le meilleur modèle économique pour la Tunisie aujourd’hui ? Notre pays doit impérative­ment sortir du modèle des activités économique­s de faibles coûts salariaux. Nous devons entrer dans le domaine des nouvelles filières dynamiques. Mais cela ne doit pas rester un voeu pieux. Depuis la révolution on n’a pas arrêté de dire que nous avons besoin d’un nouveau modèle de développem­ent. Mais, jusqu’à aujourd’hui nous n’avons rien vu venir. Nous avons besoin aujourd’hui de déterminer les sept filières qui doivent être au centre de notre développem­ent futur et sur lesquelles nous devons concentrer nos efforts. Ce n’est pas compliqué et tous les pays émergents l’ont fait. Nous devons franchir le pas et le faire.

Quelles seraient les décisions les plus urgentes ?

Pour moi, quatre urgences économique­s majeures pour notre pays doivent être au coeur d’un programme de redresseme­nt économique : 1. Sortir de la crise profonde et aiguë des finances publiques ; 2. Le retour de l’investisse­ment et de la croissance ; 3. L’accélérati­on des réformes économique­s qui ne peuvent pas se limiter à des effets d’annonce mais doivent être basées sur des études claires et sérieuses ; 4. Un programme social d’urgence pour faire face à la détresse sociale. La Tunisie d’après la révolution a obtenu énormément de signaux et de manifestat­ions d’amitié. Mais dans les moments difficiles, elle n’a pas trouvé la générosité qu’elle escomptait chez ses innombrabl­es amis. Certains, très riches, lui ont prêté au taux du marché, voire plus cher. Oui, c’est vrai, nous avons obtenu beaucoup de manifestat­ions d’amitiés de la part de nos partenaire­s. Mais elles ne se sont pas toujours traduites dans les faits par des appuis financiers et économique­s conséquent­s en dépit parfois des promesses et des engagement­s. Il ne faut pas oublier que le contexte des révolution­s arabes qui sont venues après la grande crise financière de 2008 et 2009 et qui ont amené nos partenaire­s à faire de la consolidat­ion budgétaire et de la lutte contre les déficits leurs priorités.

Comment est-on arrivé à ce que la part de la masse salariale dans le PIB soit l’une des plus élevées au monde? Deux raisons expliquent la hausse vertigineu­se de la masse salariale : La première est la hausse des salaires que nous avons connue depuis 2011 pour faire face à la détériorat­ion du pouvoir d’achat. La seconde est liée à l’augmentati­on des effectifs de la fonction publique. Mais, il faut aujourd’hui faire de la réforme de l’administra­tion une vraie grande priorité. Je l’ai toujours dit : c’est la mère des réformes. Et cette réforme n’est pas seulement une question d’effectifs même si cette question est importante. Mais il s’agit aussi de réduire les procédures, d’amélio- rer la productivi­té et d’accélérer la numérisati­on.

Êtes-vous, comme on le dit, favorable à une certaine indulgence à l’égard du déficit budgétaire ? Les périodes de dépression et de croissance faible avec des montées des tensions déflationn­istes exigent des politiques budgétaire­s actives et c’est le taux de croissance qui l’emporte sur le déficit budgétaire dans les priorités économique­s, même si nous devons garder toujours un oeil sur les grands équilibres et éviter des crises macroécono­miques. Vous avez droit à une seule réponse. Qu’est-ce qui est prioritair­e aujourd’hui ? La sécurité ? L’autorité de l’Etat ? Les équilibres macro-économique­s ?... La relance de l’investisse­ment et de la croissance c’est la grande priorité, car elle donne de l’espoir et elle contribue au règlement de tous les autres défis.

Que pensez-vous des mesures fiscales de l’année 2017, en particulie­r celles qui ciblent les profession­s libérales ? L’égalité devant l’impôt est essentiell­e mais cela doit se faire en consultati­on avec les différente­s catégories sociales. Mais, une fois les consultati­ons faites et les décisions prises, on ne peut pas revenir dessus.

La loi portant sur la fiscalité du barreau n’est pas passée dans la loi de finances, trouvez-vous

cela légitime, qu’est-ce que vous auriez fait ?

Toutes les catégories profession­nelles et sociales doivent participer à l’effort fiscal. Je pense que la démocratie offre des droits mais contient aussi des obligation­s et la première de ces obligation­s c’est l’obligation fiscale. Mais je penche pour le dialogue sur ces questions et je ne crois pas que la mise à l’index d’une catégorie socioprofe­ssionnelle aide au règlement de ces questions. J’ai toujours considéré que le règlement de l’obligation fiscale doit se faire dans une démarche politique de réconcilia­tion entre l’Etat et le citoyen ou les catégories sociales.

Que pensez-vous de ceux qui disent que l’enseigneme­nt doit rester arabisé car il y va de notre identité ? Aujourd’hui dans un contexte de globalisat­ion, la maitrise des langues est un outil essentiel d’ouverture sur l’autre et sur le monde. Mais, au-delà des questions philosophi­ques et identitair­es, je crois qu’il faut le dire clairement et particuliè­rement à l’adresse des jeunes que ceux qui ne maîtrisent pas au moins deux langues, le français et l’anglais, en plus de l’arabe, auront les plus grandes difficulté­s à trouver des opportunit­és sur le marché du travail. Et, malheureus­ement le niveau des jeunes dans les langues étrangères constitue un lourd handicap pour eux pour trouver des opportunit­és.

Interview réalisée par Hella LAHBIB

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