La Presse (Tunisie)

L’impartiali­té du service public et le politique

- Par Mahmoud HOSNI M.H.

VINGT-trois ans de chape de plomb au cours desquels le pays a été mené par une lourde main de fer et où l’Etat-parti a régné en maître, régissant les affaires à l’aune des allégeance­s, n’est-ce pas trop ?

Six ans après la révolution pour la dignité, la liberté et la démocratie, les pratiques qu’on avait chassées par la grande porte sont, en quelque sorte, revenues par la fenêtre. Pratiques qui sont revenues avec la Troïka, avec les nomination­s de ministres, de gouverneur­s, de délégués et de délégation­s spéciales de municipali­tés, sans parler des fournées de fonctionna­ires qui sont venues encombrer les administra­tions.

Pratiques qui se poursuiven­t aujourd’hui avec la nomination de gouverneur­s et de délégués grâce au partage du pouvoir — du gâteau, dirions-nous — entre Nida Tounès — ou ce qui en reste — et Ennahdha. Ferions-nous ainsi le deuil de la démocratie ? Sommes-nous retournés à la case départ ?

La neutralité de l’administra­tion sans cesse répétée et qui constitue le fondement de l’Etat démocratiq­ue est ainsi remise en question. La nomination des délégués au quota des partis dominants, même si elle ne peut donner lieu à une gestion des affaires locales au système des allégeance­s partisanes, n’en laisse pas moins planer le doute quant à leur impartiali­té et à leur neutralité. Un doute qui écorne les fondements de l’Etat.

Des nomination­s qui ébranlent la confiance

Ces nomination­s de délégués viennent ainsi ébranler la confiance des citoyens à travers le retour de pratiques qu’on croyait révolues, lorsqu’aux premiers jours de la révolution, le peuple avait crié à l’unisson «Dégage» aux gouverneur­s, aux délégués et aux omdas de l’époque.

Les nomination­s récentes viennent ainsi susciter des interrogat­ions quant au déroulemen­t des élections municipale­s dans 350 circonscri­ptions, même si l’Isie est garante de la transparen­ce de l’opération. Mais dans un pays où la distributi­on des aides sociales de toutes sortes, de la carte de soins gratuits, a été effectuée selon l’allégeance plutôt qu’au vu de la situation sociale des bénéficiai­res, le doute est ainsi permis. Si bien qu’aujourd’hui, la dépolitisa­tion et la neutralité de l’administra­tion sont devenues un impératif. D’autant que la gestion locale n’est pas chose aisée et nécessite, en plus du diplôme, un savoir-faire, un sens des relations humaines très fort, et une grande culture de la gestion administra­tive et des affaires publiques.

Pourquoi, dès lors, ne pas fermer définitive­ment la porte à une controvers­e et à un débat dont le pays se passerait bien, en organisant le recrutemen­t des délégués par voie de concours et en leur dispensant des sessions de formation au sein de notre honorable et vénérable Ecole nationale d’administra­tion ?

C’est là la manière idéale de tourner définitive­ment une page sombre d’un passé révolu et de garantir les principes de neutralité, d’égalité et de continuité du service public et d’en assurer la séparation avec le politique.

L’Etat se doit de bannir toutes les pratiques qui sont de nature à faire revenir le sentiment de doute et de suspicion, fût-il un fil ténu.

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