L’impartialité du service public et le politique
VINGT-trois ans de chape de plomb au cours desquels le pays a été mené par une lourde main de fer et où l’Etat-parti a régné en maître, régissant les affaires à l’aune des allégeances, n’est-ce pas trop ?
Six ans après la révolution pour la dignité, la liberté et la démocratie, les pratiques qu’on avait chassées par la grande porte sont, en quelque sorte, revenues par la fenêtre. Pratiques qui sont revenues avec la Troïka, avec les nominations de ministres, de gouverneurs, de délégués et de délégations spéciales de municipalités, sans parler des fournées de fonctionnaires qui sont venues encombrer les administrations.
Pratiques qui se poursuivent aujourd’hui avec la nomination de gouverneurs et de délégués grâce au partage du pouvoir — du gâteau, dirions-nous — entre Nida Tounès — ou ce qui en reste — et Ennahdha. Ferions-nous ainsi le deuil de la démocratie ? Sommes-nous retournés à la case départ ?
La neutralité de l’administration sans cesse répétée et qui constitue le fondement de l’Etat démocratique est ainsi remise en question. La nomination des délégués au quota des partis dominants, même si elle ne peut donner lieu à une gestion des affaires locales au système des allégeances partisanes, n’en laisse pas moins planer le doute quant à leur impartialité et à leur neutralité. Un doute qui écorne les fondements de l’Etat.
Des nominations qui ébranlent la confiance
Ces nominations de délégués viennent ainsi ébranler la confiance des citoyens à travers le retour de pratiques qu’on croyait révolues, lorsqu’aux premiers jours de la révolution, le peuple avait crié à l’unisson «Dégage» aux gouverneurs, aux délégués et aux omdas de l’époque.
Les nominations récentes viennent ainsi susciter des interrogations quant au déroulement des élections municipales dans 350 circonscriptions, même si l’Isie est garante de la transparence de l’opération. Mais dans un pays où la distribution des aides sociales de toutes sortes, de la carte de soins gratuits, a été effectuée selon l’allégeance plutôt qu’au vu de la situation sociale des bénéficiaires, le doute est ainsi permis. Si bien qu’aujourd’hui, la dépolitisation et la neutralité de l’administration sont devenues un impératif. D’autant que la gestion locale n’est pas chose aisée et nécessite, en plus du diplôme, un savoir-faire, un sens des relations humaines très fort, et une grande culture de la gestion administrative et des affaires publiques.
Pourquoi, dès lors, ne pas fermer définitivement la porte à une controverse et à un débat dont le pays se passerait bien, en organisant le recrutement des délégués par voie de concours et en leur dispensant des sessions de formation au sein de notre honorable et vénérable Ecole nationale d’administration ?
C’est là la manière idéale de tourner définitivement une page sombre d’un passé révolu et de garantir les principes de neutralité, d’égalité et de continuité du service public et d’en assurer la séparation avec le politique.
L’Etat se doit de bannir toutes les pratiques qui sont de nature à faire revenir le sentiment de doute et de suspicion, fût-il un fil ténu.