La Presse (Tunisie)

«De l’épanouisse­ment intellectu­el à l’épanouisse­ment personnel»

- T.G.

«Sami préférait la lecture au terrain de quartier»

«Je vais vous surprendre en vous affirmant que mon frère Sami n’était pas un féru de football, étant enfant. Il préférait la lecture au terrain de quartier. C’était un bon élève, assidu et mordu d’histoire et de lecture. Il se plongeait dans les livres et ne relevait plus la tête. Bref, ce n’était pas le prototype du footeux en devenir. C’est là que j’ai tenté le pari de le lancer dans le bain du sport-roi. J’exigeais qu’il m’accompagne sur les terrains vagues où naissent les plus grands champions de notre pays en ces temps-là. Car, ne l’oublions pas, les grand destins du football naissent dans la boue et les terrains en concassage, et non pas sur des tapis comme maintenant. Ce faisant, j’ai tout de suite noté ses prédisposi­tions athlétique et technique pour le football. Il avait de l’audace, un crochet déroutant et un placement intelligen­t. Un véritable renard des surfaces qui sait se placer là où il peut être décisif. Fin technicien, joueur qui affectionn­e les espaces restreints, il s’est assez tôt distingué par son aptitude à pivoter, à enchaîner contrôle orienté et tir en pivot. C’est un attaquant né et racé. Je ne pouvais que lui prédire un avenir radieux dans un club huppé de la capitale. Cela dit, je l’ai toujours conseillé tout en le laissant faire ses propres choix. Je savais que nous avions les mêmes caractéris­tiques dans l’envie et la hargne. J’ai essayé aussi de lui inculquer certaines valeurs, à beaucoup travailler et à rester humble.

Vous avez, j’ai savouré sa réussite autant que la mienne. Que ce soit en période de pré-mondial junior à Moscou avec cette génération dorée composée des Haithem Abid & Co. Ou encore au CA où il est devenu une pièce maîtresse en attaque, Sami a franchi les caps sans faire de bruit. Sa vie sportive a été même paisible et c’est important. Cela n’empêche qu’on était dans un grand club, avec des obligation­s de résultats. Et ça, je lui en parlais avec insistance. Pour son enrichisse­ment personnel, il se devait de cibler l’excellence et rien que l’excellence. Quand on évolue avec les Lassaâd Abdelli, Hedi Bayari & Co, il ne peut qu’en être ainsi. Maintenant, je note aussi qu’outre notre filiation, ce n’est pas mon portrait craché dans le jeu. Tant mieux ! Sami a un jeu plus technique et plus fluide. C’est un attaquant que l’on n’attend pas mais qui vous coupe l’herbe sous les pieds à maintes reprises. C’était sa qualité première . Volet mental, il était gagnant dans l’âme mais je lui ai aussi appris la lucidité. Je connaissai­s la dureté du milieu du football, encore plus quand on joue au CA. A ses débuts chez les seniors, je l’ai préservé de l’agitation qui commençait à naître autour de lui. Car il allait devoir vivre avec le regard des autres qui se pose toujours sur lui quand ses autres jeunes coéquipier­s peuvent, eux, apprendre dans l’ombre ! La route a été longue et semée d’embûches avant qu’il puisse espérer intégrer l’équipe A du CA. Je n’arrêtais pas de lui livrer des conseils. Je lui disais de continuer comme ça, de travailler, de poursuivre sur sa lancée et d’affirmer sa personnali­té sur le terrain. Je pense avoir des traits communs avec lui dans la folie, un dribble osé et les prises de risque, mais nous avons surtout envie d’aider les autres sur le terrain». «Alors que je suis né en 1948, mon frère Fethi a vu le jour deux ans plus tard. J’ai attrapé le virus du football. Je crois que Fethi m’a largement dépassé dans cette passion maladive pour le sport-roi. On a joué ensemble au quartier, puis en première année juniors avec Rachid Turki. J’allais ensuite accéder aux seniors du ST. Fethi va prendre ma relève au poste de latéral droit une fois que je suis parti en Allemagne. Il était milieu de terrain, mais Ammar Nahali en fera un latéral droit. Nous étions pourtant différents: lui, c’est le genre technique; moi, j’étais fort physiqueme­nt. Je lui ai conseillé d’ajouter la dimension physique à ses dons techniques incontesta­bles. Je lui ai inculqué le sens de la souffrance et du sacrifice, les valeurs nobles du sport, le respect de l’adversaire, comment donner pour recevoir...Fethi était en fait très doué. Ameur Hizem l’avait convoqué en sélection. Malheureus­ement, il a attrapé une angine mal soignée qui allait développer un rhumatisme articulair­e aigu. Lors d’une visite médicale effectuée par les postulants au maillot national, Dr Léger lui a conseillé d’arrêter sa carrière. Autrement, il pouvait à tout moment avoir un sérieux problème cardiaque. Fethi a dû se soigner. Dieu merci, il l’a échappé belle. Il va bien maintenant.

«Le sac d’Ahmed Sghaier»

Oui, avoir un frère dans un même sport constitue un avantage et pour l’un et pour l’autre. Le soir, en rentrant à la maison, nous faisons notre autocritiq­ue. Je lui dis qu’il aurait dû faire tel geste, se positionne­r à un tel niveau...Et vice versa. Notre père Mohamed Salah allait souvent voir notre entraîneur cadets, Amor Mejri, pour lui dire : «Fethi et Taoufik sont tes frères cadets, fais avec eux le nécessaire ». Il faut dire que notre frère Naceur nous a beaucoup influencés. Il a été joueur de basket-ball au ST. Avant de devenir entraîneur et officiel de table. Mais c’est indiscutab­lement de mon oncle maternel Ahmed Sghaier, l’ancien défenseur internatio­nal de l’UST et père de Salouane, ancien joueur du ST, que je tiens ce virus. Il a évolué en sélection nationale de 1960 à 1965. Il venait de Manouba qui n’a pas pourtant voulu le libérer. Malgré tout, le sélectionn­eur Kristic continuait de le convoquer avec l’équipe de Tunisie. Je me rappelle que je lui portais le sac jusqu’à la Rue de Rome où un bus attendait les internatio­naux pour aller en stage avec l’équipe nationale. Cela me permettait de voir de près mes idoles Chetali, Taoufik, Cherif.... Ahmed Sghaier venait manger chez nous. Il disait à mon père : «Laissez vos enfants pratiquer le foot s’ils en ont envie» . Ma mère me racontera plus tard que je lui disais souvent: «Vous allez voir, je vais être encore meilleur que mon oncle Ahmed» .

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia