La Presse (Tunisie)

Paul Scholes : «Si j’etais espagnol, je n’aurais jamais eu à tacler»

IL A MARQUé L’HISTOIRE DE MANCHESTER UNITED ET DU FOOTBALL EN GéNéRAL Il s’est retiré des terrains depuis la fin de saison 2012-2013. Assez discrèteme­nt, dans l’ombre de son entraîneur de toujours Sir Alex Ferguson. Il n’en reste pas moins que Paul Schole

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Vous avez passé toute votre carrière dans le même club, avec le même manager. Est-ce vrai que Sir Alex Ferguson, la première fois qu’il vous a vu, a dit : « Lui, il est trop petit et pas assez puissant » ?

Je pense que c’est vrai. J’étais très petit, tout sec, la peau sur les os. Mais je pense qu’il a quand même vu des qualités en moi. Avec Sir Alex Ferguson, peu importait son opinion initiale sur quelqu’un tant que ce quelqu’un pouvait accomplir ce qu’il lui demandait sur le terrain. C’était sa force comme entraîneur, de juger sur des actes. Et j’ai su montrer ma valeur sur le terrain.

Vous pensez que son scepticism­e affiché était une manière de vous pousser à aller plus loin?

Il ne m’a jamais dit personnell­ement que j’étais trop petit et chétif pour faire carrière. Par contre, dans les équipes de jeunes, je l’entendais souvent. Mais, je n’ai jamais eu de craintes; psychologi­quement, j’étais prêt à faire mon trou. C’est possible que mes lacunes physiques m’ont aidé à devenir le joueur profession­nel qui s’est imposé à Manchester United. Je n’étais pas puissant, mais je pouvais courir vite, dribbler un adversaire. Mais j’ai rapidement saisi que ma plus grande force, c’était mon état d’esprit. J’ai rapidement compris que je pouvais envoyer le ballon où je voulais, à qui je voulais, et que c’était une qualité précieuse pour l’équipe. Pour cette tâche, la taille importe peu. Dans mon rôle, je n’avais pas à être une armoire, je devais recevoir le ballon et en faire le meilleur usage possible.

Vous voyiez les choses plus vite que les autres ? Roberto Baggio, par exemple, avait l’impression que le temps ralentissa­it quand il recevait le ballon à l’approche de la surface adverse…

Je comprends exactement cette sensation. Moi, j’arrivais très facilement à me situer sur le terrain, je savais exactement où j’étais et où se trouvaient tous mes partenaire­s et adversaire­s. Avant même de recevoir le ballon, j’avais déjà une idée précise de toutes les options qui se présentaie­nt à moi. Je pense que je voyais des choses que la plupart des autres joueurs ne voyaient pas, ou alors je les voyais quelques centièmes de secondes avant. Quand vous avez cette capacité-là, vous donnez l’impression d’avoir plus de temps pour utiliser le ballon, vous êtes plus relâché et vous savez où il va se retrouver quelques centièmes de secondes plus tard. Cela vous donne un coup d’avance.

Vous pouviez savoir avant même de tenter une passe si elle allait arriver ou être intercepté­e ?

Oui ! Oui, je peux l’affirmer, à chaque fois que je recevais le ballon, je savais combien d’options possibles s’offraient à moi et j’avais une idée assez claire où j’allais envoyer le ballon pour la séquence suivante.

C’était l’intellect qui s’exprimait ou l’instinct ?

Les deux. Je pense que l’instinct entre en jeu dans les situations face au but. Plus tôt dans ma carrière, quand j’étais attaquant puis milieu offensif, je jouais à l’instinct. Quand tu es dans une position offensive, tu n’as pas vraiment le temps de penser. C’est même plus facile de conclure une action sans réfléchir, quand bien même tu aurais le temps de le faire. Mais au milieu, plus en retrait, tu dois réfléchir, tu dois trouver des espaces, tout le temps trouver des espaces, c’est ton rôle quand tu es à l’organisati­on du jeu. L’instinct était encore présent, mais accompagné par de la réflexion. Plus tu es près du but, plus c’est l’instinct qui compte. Plus tu en es éloigné, plus c’est la réflexion, l’intelligen­ce, la capacité à réfléchir efficaceme­nt.

Le milieu de terrain parfait, c’est N’Golo Kanté Zidane et Xavi Hernandez, pour ne mentionner que ces deux-là, vous ont présenté comme une référence du poste. Zidane allant jusqu’à dire qu’il regrettait de n’avoir jamais évolué à votre côté. Pour vous, qui étaient les références du poste, les joueurs que vous observiez pour évoluer ?

Zidane était l’un d’eux, Rivaldo le Brésilien, Xavi, Iniesta, Roy Keane avec qui j’ai joué. Busquets de Barcelone, Toni Kroos...

A contrario en 2017, quel joueur ressemble le plus à Paul Scholes?

Je crois que le Paul Scholes en fin de carrière est dans le même registre qu’un Toni Kroos aujourd’hui. Un joueur qui contrôle le jeu au milieu, qui est derrière, qui distribue, dicte le tempo. Mais en tant que joueur offensif, que buteur... (Il réfléchit) Un milieu offensif qui marque des buts... (Il réfléchit encore) Je n’arrive pas à citer quelqu’un...

L’espèce est en voie de disparitio­n ? Lampard, Gerrard...

Lampard a arrêté, mais c’est vrai qu’au début de ma carrière, j’avais ce registre-là. Le milieu de terrain parfait en Premier League aujourd’hui, c’est plus le registre de N’Golo Kanté. Pour moi, le milieu de terrain parfait peut tout faire : défendre, attaquer, dicter le tempo, marquer des buts, il peut porter le jeu vers l’avant. Il peut tout faire. Paul Pogba peut être ce box to box parfait. Il l’est peut-être déjà, même s’il peut faire beaucoup mieux, notamment marquer plus de buts. Je suis sûr qu’il va franchir ces paliers. Il peut défendre, il peut passer, il a un grand volume de course, il est rapide, son jeu de passe est exceptionn­el... Il a tout pour être le milieu de terrain idéal, le milieu de terrain parfait.

Certaines de ces rencontres au sommet entre Arsenal et Manchester United, quand vous étiez les deux meilleures équipes d’Angleterre, se sont jouées dans le tunnel qui menait à la pelouse?

Oui (Il réfléchit). Oui, oui, clairement. Quand vous avez un mec effrayant dans votre équipe, que vous voyez l’effet qu’il a sur vos adversaire­s, c’est peut-être la meilleure sensation qui existe au monde. Un Roy Keane ou un Patrick Vieira, tu préfères l’avoir dans ton équipe (rires).

Et c’est vrai qu’avant chaque match, Sir Alex Ferguson vous disait : «Fais attention à tes tacles ? »

(Il se recule dans son siège, a un sourire un peu gêné) Oui, toujours, avant chaque match. Ce n’était pas un secret que je prenais des cartons jaunes, parfois des rouges. À chaque fois, son dernier mot à mon attention dans le vestiaire, c’était: « Fais attention à tes tacles ».

Pourquoi ne pas simplement arrêter de tacler si vous ne savez pas le faire sans tout arracher ?

Parce que le manager voulait que ses joueurs taclent. Il voulait que ses joueurs soient compétitif­s, engagés. Il ne m’a jamais dit : « arrête », seulement : « fais attention». On assumait les conséquenc­es d’un carton jaune ou rouge. Je ne me considère pas comme un bad boy. Ces cartons, c’était de ma faute. Mais en plus de 700 matchs à un poste crucial, où il faut tacler, s’engager, je ne crois pas que mon bilan soit si terrible. Si j’avais été espagnol, je n’aurais pas eu à tacler, j’aurais eu le ballon tout le temps (rires).

Cela résume l’esprit du football anglais, jouer au foot, c’est aussi se battre ?

C’est ça, tu dois te battre pour le ballon. Mais peut-être qu’on a tort de voir le jeu comme ça.

Pour vous, la journée parfaite consistait à emmener vos enfants à l’école, s’entraîner, aller chercher les enfants à l’école, boire le thé, coucher les enfants, regarder un peu la télé, puis aller se coucher...

C’est toujours le cas, ce mode de vie, c’est le meilleur moyen de me décrire en tant qu’homme.

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Paul Scholes a marqué l’histoire du grand club mancunien

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