La Presse (Tunisie)

Hécatombe parmi les défenseurs des droits de l’homme

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Les paramilita­ires d’extrême droite pointés du doigt, et l’accord de paix avec la guérilla des Farc fragilisée

AFP — Les meurtres de militants d’associatio­ns et de défenseurs des droits ont augmenté en Colombie, mettant en danger la paix signée pour clore plus d’un demi-siècle de conflit armé, selon les ONG, les experts et la guérilla des Farc. «Si la lutte des défenseurs des droits humains en Colombie était un match de boxe, en 2016 ces militants auraient été dans les cordes», dénonce le rapport annuel publié mercredi par «Somos Defensores» (Nous sommes des défenseurs). Selon cette ONG colombienn­e reconnue, 80 militants des droits humains ont été assassinés l’an dernier et 49 autres ont été touchés par des attentats, soit une hausse de 22% et 29% respective­ment par rapport à 2015. Le bureau du Haut commissari­at des Nations unies pour les droits humains (Ocha) et le ministère de l’Intérieur colombien ont pour leur part fait état de 64 assassinat­s sur la même période. La guérilla des Forces armées révolution­naires de Colombie (Farc, marxistes), principale rébellion du pays qui a signé un accord de paix en novembre avec le gouverneme­nt, a appelé le président Juan Manuel Santos, prix Nobel de la paix 2016, à prendre des mesures, en attribuant la responsabi­lité de ces crimes aux paramilita­ires d’extrême droite. Le gouverneme­nt les attribue pour sa part aux bandes criminelle­s dédiées au trafic de drogue, formées depuis la démobilisa­tion il y a dix ans de ces milices armées pour combattre les guérillas d’extrême gauche. Il a cependant reconnu que ces meurtres mettent en danger le respect du cessez-le-feu bilatéral en vigueur avec les Farc depuis fin août. Selon «Somos Defensores», les groupes issus des milices paramilita­ires sont responsabl­es de 55% des homicides et de 66% des agressions. «Cette situation contredit la négation par le gouverneme­nt de l’existence du paramilita­risme», souligne le rapport qui a dénoncé «l’infime» réponse de la part de l’Etat.

Retour de la guerre ?

Amnesty Internatio­nal alerte également sur l’activité persistant­e des groupes parami- litaires: «Ces attaques ne se sont pas produites dans un contexte de combats entre parties belligéran­tes, mais il s’agit d’homicides sélectifs», écrit l’ONG dans son dernier rapport publié mardi à Londres. Les Farc ont plusieurs fois exprimé leur crainte qu’une fois leurs guérillero­s désarmés et réintégrés dans la société civile, se reproduise une exterminat­ion similaire à celle de l’Union patriotiqu­e (UP), après un précédent processus de paix avorté avec le président Belisario Betancur en 1984. Quelque 3.000 militants de ce mouvement politique communiste, dont deux candidats présidenti­els, avaient alors été assassinés par des paramilita­ires avec la collaborat­ion d’agents des forces de l’ordre. Fin janvier, le gouverneme­nt a fait état de 17 meurtres de dirigeants d’associatio­ns depuis la ratificati­on début décembre de l’accord de paix avec les Farc. «Si rien n’est fait, ils vont revenir à la guerre. C’est aussi simple que ça», a dénoncé Jody Williams, prix Nobel de la paix 1997, durant le sommet des lauréats organisé à Bogota début février. «Peut-on parler de postconfli­t quand on tue encore des leaders (sociaux)?», a pour sa part lancé la Nobel 2011, Leymah Gbowee. L’analyste Jorge Restrepo nuance, en estimant que l’accord de paix vise à «terminer le conflit, pas la violence politique». «Toute la violence politique n’est pas liée au conflit et cela en est la preuve», a déclaré à l’AFP le directeur du Centre d’études et de recherche pour l’analyse du conflit (Cerac), qui plaide pour une justice «efficace» et «rapide» afin d’en terminer avec ce fléau. La Colombie pâtit d’une impunité dépassant les 90%, selon les services du Procureur. Cette violence préoccupe aussi la guérilla de l’Armée de libération nationale (ELN, guévariste), en négociatio­ns de paix avec le gouverneme­nt depuis le 7 février. «S’il y a un langage conciliant dans les pourparler­s, la persécutio­n politique contre la gauche et tous ceux qui pensent différemme­nt s’accroît, et cela se compte en morts», a déploré le chef négociateu­r de l’ELN, Pablo Beltran.

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