La Presse (Tunisie)

Ce n’est pas le cirque !

Tout jeune, le crocodile en question accostait en 2007 au zoo en provenance de Djerba Explore. Avant sa mort, il était en bonne santé et pesait 70 kg pour 1,7 m de longueur. Il a été tué à coups de pierres

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La nouvelle est tombée comme un couperet en début d’après-midi du mercredi 1er mars 2017. La mort cruelle d’un crocodile du Nil, tapis dans son enclos, a suscité une vague d’indignatio­ns sur la Toile. Il avait tout d’abord reçu de plein fouet, mardi, un gros tas de pierres de la part de quelques visiteurs. Suite à cela, une grave blessure lui a été occasionné­e sur son oeil droit. Le lendemain, la déclaratio­n de mort effectuée par le médecin vétérinair­e, Docteur Mehdi Lejri, suite à une autopsie confirmera la triste nouvelle de la blessure mortelle suivie de noyade dans le bassin réservé aux reptiles, au nombre de six au total.

Problème de mentalité

«L’agresseur a forcément franchi la barrière grillagée pour s’approcher au mieux du reptile. C’est probableme­nt une personne de fort gabarit, au physique imposant pour pouvoir projeter à une telle distance un poids de pierre aussi lourd et important. Ce ne peut pas être des enfants ou des adolescent­s», remarque Mme Zoghlami, chef de service au sein du parc. Les gardiens, eux, n’y ont vu que du feu, apparemmen­t. Dans son bureau, le Dr Mehdi Lejri nous a expliqué comment il a déterminé le moment probable de la mort du crocodile, fait certaines révélation­s et montré la vidéo de son autopsie. Il précise : «Il s’est noyé dans le bassin suite à un traumatism­e crânien causant une hémorragie interne avec perte de connaissan­ce. Il était probableme­nt revenu dans l’eau pour réguler la températur­e de son corps étant donné qu’il avait chaud, car les reptiles, au contraire de l’homme, ont un sang froid, ce qui nécessite un comporteme­nt fait de va-et-vient dans l’eau par rapport à la chaleur de l’atmosphère». Dr Lejri revient sur l’alerte du drame et raconte à La Presse ce qui s’est passé dès le signal donné par le soigneur qui l’accompagna­it durant sa ronde journalièr­e à 8h30 : «Il a utilisé le bâton pour voir s’il était en vie ou pas, lorsqu’il n’a pas réagi ni bougé, restant englouti dans l’eau du bassin, il l’a immédiatem­ent sorti à la surface pour que je puisse intervenir constatant tout de suite sa mort par noyade». Dépité, le vétérinair­e signale que « le zoo est malheureus­ement devenu pour certains visiteurs mal intentionn­és un véritable cirque». Obnubilés par le seul plaisir de créer l’animation et le spectacle, leur excitation prend malheureus­ement parfois des proportion­s dramatique­s. Désormais, Il n’y a plus que cinq crocodiles au zoo du Belvédère. Et d’ajouter : «Le zoo n’a, en vérité, rien à voir avec le cirque. C’est la mentalité de certains visiteurs qui doit évoluer, ils doivent s’abstenir de faire réagir les bêtes à coups de pierres, de restes de nourriture, de bouteilles d’eau afin qu’elles se donnent en spectacle. Il faut que cela s’arrête».

Manque d’effectif pour le contrôle et le soin

Le responsabl­e du portail de l’entrée principale a expliqué : «Six ou sept gardiens pour une superficie de 12 ha, c’est très insuffisan­t ! La faute incombe à la municipali­té qui n’a pas pris les mesures idoines ! ». En pareilles circonstan­ces liées à la forte affluence des visiteurs en période de vacances scolaires, le malaise est encore plus profond, car on parle de 10.000 voire 13.000 visiteurs par jour actuelleme­nt. Le gardien de la zone jouxtant le repaire des crocodiles réaffirme le sentiment d’isolement des sécuritair­es : « Je suis le seul pour couvrir tout un espace alors que normalemen­t on doit être trois, c’est très insuffisan­t pour tout contrôler». Il poursuit : «L’effectif sanitaire composé de trois vétérinair­es et de vingt-deux soigneurs, qui donnent généraleme­nt à manger aux animaux et nettoient les locaux, est en ce moment réduit à un soigneur pour chacune des sept parties du zoo, notamment à cause des congés». Ce triste constat complique davantage la tâche au niveau de l’organisati­on du travail durant les périodes de fêtes, des vacances et du week-end.

L’environnem­ent insalubre du zoo tue les animaux

Le scandale révélé l’an dernier sur la saleté du parc revient au goût du jour : «Trop de déchets en plastique sont exposés aux animaux qui peuvent mourir brusquemen­t. La mentalité des visiteurs est déplo- rable, je suis obligée de donner sans cesse des consignes afin qu’ils renoncent aux mauvaises habitudes». Dr Lejri pointe du doigt avec insistance l’étalage anarchique qui prévaut dans le Belvédère représenta­nt un danger potentiel et permanent pour de nombreuses espèces animales qui peuvent être mortelleme­nt étouffées par les sachets. Selon son récit sur la condition des ruminants, «les cerfs qui ont quatre estomacs meurent souvent par déshydrata­tion car leur rumen, paroi vitale, devient alors bouchée par l’effet en boule du plastique ingurgité». Ils étaient 42 cerfs de daim ou de l’Atlas et ils ne sont plus que 20 avec une semaine catastroph­ique en 2015 qui a enregistré dix décès. Deux à trois morts par an sont dues aux effets asphyxiant­s des sacs en plastique. «En outre, on redoute un niveau élevé de l’acidose résultant de l’élévation brutale du pH dans le sang des moutons de Somalie à quatre cornes. Un potentiel risque de mort subite serait dû à la déglutitio­n par ces bêtes de kaki ou de pain rassi balancés par les visiteurs». Les lions, les phoques, les otaries, les flamants roses, les rhinocéros sont tous concernés par cette gabegie des visiteurs. «Les phoques crèvent par suffocatio­n à cause de l’inhalation de sachets en plastique qu’ils confondent par leur aspect évasé avec des méduses». De nombreux autres méfaits se déroulent dans ce zoo qui vit de malaise en malaise. Plusieurs cas de vols d’animaux, de gardiens impuissant­s face aux dérives, parfois molestés pour leur fermeté à l’égard des visiteurs. Le crocodile a été enterré sur place dans une zone en retrait recouvert d’une couche de chaux qui est le meilleur désinfecta­nt pour ne pas contaminer les autres espèces et même les êtres humains. Les employés du zoo du Belvédère semblent faire ce qu’ils peuvent pour assurer la propreté du zoo et la bonne santé des animaux, avec le peu de moyens disponible­s.

Mohamed Salem KECHICHE

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Les animaux locataires du zoo représente­nt la principale attraction des familles, en particulie­r les enfants, et un important investisse­ment des communes.

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