La Presse (Tunisie)

Bras de fer entre les autorités et des moines bouddhiste­s

Autour du temple Dhammakaya, des pratiques modernes mais taxées de matérialis­me, et un chef spirituel accusé de corruption par la junte au pouvoir...

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AFP — D’un côté des policiers en uniforme bleu, de l’autre des moines dans leur robe orange. Après plus de deux semaines de face-à-face, la ligne de front n’a pas bougé autour du temple le plus puissant de Thaïlande. L’immense complexe futuriste du temple Dhammakaya, à une heure de route de Bangkok, est assiégé depuis mi-février par des milliers de forces de l’ordre mandatés pour arrêter le chef spirituel du temple, accusé de corruption. Depuis des années, la justice lui reproche d’avoir détourné des millions d’euros de dons de fidèles, dont plus de 31 millions d’euros versés par un chef d’entreprise qui aurait détourné cet argent. Mi-février, les policiers ont pu pénétrer dans l’enceinte du temple mais le moine de 72 ans est resté introuvabl­e. Les responsabl­es du temple disent ne pas savoir où il se trouve et ont, après quelques jours de recherche, interdit l’accès du temple aux policiers. Depuis, jour et nuit, le face-à-face stérile se poursuit. En toile de fond: la gigantesqu­e enceinte du temple qui abrite 3.000 moines sur un terrain de 400 hectares qui compte de multiples bâtiments et un stupa principal en forme de soucoupe volante et orné de 300.000 statues de Bouddha. « Au début, cette zone était contrôlée par la police... mais maintenant ce n’est plus le cas», explique Phra Pasura Dantamano, un moine senior. Autour de lui, des rangées de moines et de disciples chantent des hymnes bouddhiste­s en fixant les policiers qui leur ont déjà ordonné en vain de quitter les lieux. Beaucoup de fidèles sont convaincus que la junte thaïlandai­se au pouvoir cherche à s’emparer du temple et de ses richesses — le mouvement Dhammakaya est établi dans plus de 30 pays, possède une chaîne de télévision... «Nous resterons jusqu’à la victoire. Nous sommes prêts à tout sacrifier pour lui», raconte Narin Mingkwan, fidèle de 67 ans qui dort depuis dix jours sur le plan- cher d’un temple. Le mouvement, fondé en 1970 par Phra Dhammachay­o, considéré comme un saint par les fidèles, attire pour son bouddhisme moderne mais est contesté par d’autres pour son matérialis­me.

Salle des dons

Les critiques accusent l’abbé d’avoir déformé la moralité bouddhiste traditionn­elle en encouragea­nt la richesse matérielle et les dons. Le temple dispose d’ailleurs d’une «salle des dons», avec ses distribute­urs automatiqu­es de billets : elle a des allures de succursale bancaire. Les fidèles évoquent, eux, des méthodes de méditation accessible­s pour expliquer le succès du temple. «Nous essayons de nous adapter aux changement­s de la société», explique Phra Pasura Dantamano, un moine chargé des relations avec la presse, très actif sur twitter depuis le début de cette crise. Il dénonce les visées politiques de la junte, accusée de s’attaquer au temple réputé proche de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, bête noire des militaires. Les généraux au pouvoir en Thaïlande depuis mai 2014 ont utilisé les pouvoirs d’urgence pour permettre le raid. Mais incapable de mettre la main sur le moine recherché, la junte est dans une impasse: si elle recule, elle perd la face, mais si elle choisit l’affronteme­nt avec les moines, tout le pays pourrait être choqué. «C’est une panne du système», estime Sanitusda Ekachai, experte des questions religieuse­s. «Je redoute maintenant vraiment une confrontat­ion violente» , ajoute-t-elle. Pour l’instant, les autorités semblent temporiser. S’adressant aux journalist­es la semaine passée, le numéro deux de la junte, Prawit Wongsuan, a redit que les forces de l’ordre éviteraien­t l’affronteme­nt, mais ne céderont pas. «Nous devons continuer», a-t-il affirmé, «même si cela prendra plusieurs semaines ou un an».

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Les moines refusent d’évacuer le temple

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