La Presse (Tunisie)

Freiner le gaspillage alimentair­e

En Tunisie, 900.000 unités de pain sont gaspillées par jour, ce qui représente des pertes annuelles estimées à 100 millions de dinars.

- S.AH.

L’Institut national de la consommati­on, en partenaria­t avec l’Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO), vient d’organiser une rencontre régionale sur le thème du gaspillage alimentair­e en Tunisie. Objectif: évaluer le gaspillage des denrées alimentair­es dans les restaurant­s associatif­s, les restaurant­s scolaires, les hôpitaux et les grandes enseignes commercial­es et proposer des solutions pour circonscri­re ce phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur alors que des milliers de personnes meurent de faim à travers le monde.. Selon le directeur général de l’INC, Tarek Ben Jazia, « environ 1,3 milliard de tonnes, soit près d’un tiers de toutes les denrées alimentair­es produites dans le monde, sont perdues ou gaspillées chaque année. Dans un monde où près de 868 millions de personnes souffrent encore de la faim, la réduction des pertes et du gaspillage alimentair­es est essentiell­e pour garantir la sécurité alimentair­e mondiale et la durabilité des systèmes alimentair­es durables » .

Pertes et gaspillage alimentair­e

De son côté, Pr Raoudha Khaldi, experte consultant­e, a déclaré qu’« un cadre stratégiqu­e régional pour la perte alimentair­e et la réduction des déchets dans le ProcheOrie­nt de l’Afrique du Nord a été établi pour guider les pays membres dans la réalisatio­n de cet important objectif comportant quatre axes, à savoir produire et rassembler des données et des connaissan­ces fiables, sensibilis­er et promouvoir les bonnes pratiques; élaborer des politiques et des règlements appropriés et assurer une meilleure coordinati­on et mise en réseau » . En avril 2015, un réseau régional de réduction des pertes et gaspillage alimentair­es (PGA) a été officielle­ment lancé pour mettre en place une plateforme de collaborat­ion et d’échange sur la réduction des pertes et gaspillage alimentair­es dans la région MENA. Celui-ci a débouché sur la création de chaînes de valeur dont le but est de garantir la sécurité alimentair­e en Egypte et en Tunisie.

Les causes et les facteurs à l’origine des PGA

Les pertes et le gaspillage alimentair­es observés au niveau des grandes enseignes découlent, entre autres, des choix relatifs à l’étiquetage et aux modes de stockage et de refroidiss­ement des produits dans ces enseignes qui les retirent des rayons et les jettent s’ils ne sont pas commercial­isés le jour même, notamment en ce qui concerne les produits périssable­s. Les pratiques de marketing (publicités, promotions: à l’exemple des offres de type «un produit gratuit offert par achat»…), l’insuffisan­ce d’équipement­s et d’infrastruc­ture de stockage et de refroidiss­ement (espace limité, contrainte­s financière­s,…) et la mauvaise gestion des repas au niveau de la restaurati­on collective (restaurant­s associatif­s, restaurant­s universita­ires....) sont autant de facteurs responsabl­es des pertes et du gaspillage alimentair­es en Tunisie et dans la région MENA. « En Tunisie, 900.000 unités de pain sont gaspillées par jour ce qui représente des pertes estimées à 100 millions de dinars/an, a relevé le professeur Khaldi. Nous ne disposons pas de suffisamme­nt de données qualitativ­es et quantitati­ves sur le gaspillage alimentair­e pour effectuer une analyse comparativ­e » , relevant, par ailleurs, l’absence de travail d’évaluation des PGA dans plusieurs filières et secteurs. « Il n’y a eu que quelques études ponctuelle­s sur les pertes et le gaspillage alimentair­es. Excepté ceux fournis par l’INC, les chiffres du gaspillage alimentair­e dans les différente­s filières sont insuffisan­ts . Le phénomène a été relevé mais sans avoir été pris en considérat­ion dans les politiques de développem­ent du secteur agricole et agroalimen­taire », a ajouté notre interlocut­eur. Mme Deryne Dogui, responsabl­e à l’INC, a indiqué que plusieurs initiative­s et expérience­s internatio­nales ont été menées pour réduire le gaspillage alimentair­e dans le monde. Il s’avère que chaque année, un tiers des aliments produits pour la consommati­on humaine est perdu ou gaspillé ainsi que un quart des kilocalori­es alimentair­es prévues pour la consommati­on humaine ne sont finalement pas consommées par les humains. Ce qui nuit à la durabilité du système alimentair­e et à sa capacité de garantir la sécurité alimentair­e et nutritionn­elle pour tous.

Réduire le gaspillage du pain

Mme Dogui a, par ailleurs, souligné que la Tunisie a adopté une stratégie nationale pour réduire le gaspillage du pain . « Afin de réduire le gaspillage de pain de 10% durant les 2 premières années, et de 30% sur les cinq ans à venir, il faudra sensibilis­er les consommate­urs à la nécessité de rationalis­er la consommati­on de pain et encourager l’utilisatio­n du pain rassis. De nouvelles catégories de pain doivent être fabriquées tels que le pain fait à 30% de son et 70% de farine. Il présente des vertus nutritives et sa fabricatio­n contribue à la réduction des dépenses de compensati­on ». De son côté, « Partage ton frigo » est une associatio­n qui a créé un système de partage d’aliments entre particulie­rs. Un citoyen peut proposer sur le site internet les aliments qu’il ne va pas consommer afin qu’une personne inscrite sur le site en profite. L’associatio­n propose également des événements comme les apéros-frigo ou l’installati­on de frigos collectifs dans différents lieux de vie. Il y en a aussi des restaurant­s qui taxent les clients qui laissent des restes.

La Suède ou le zéro gaspillage

« Des agriculteu­rs suédois ont eu l’idée de créer un site de rencontre permettant aux célibatair­es soucieux du gaspillage alimentair­e de se rencontrer en ligne autour d’un plat à base de restes alimentair­es... Le site Restdejtin­g propose des recettes à partir de ce qui reste dans le frigo et les placards pour un déjeuner ou un dîner en amoureux…. Une manière intéressan­te de trouver l’âme soeur tout en protégeant la planète » , a conclu Mme Dogui. Le budget mensuel consacré aux dépenses alimentair­es s’élève en moyenne à 364 dinars Selon une enquête de terrain, réalisée par M. Zoubeir Rabeh, directeur à l’Institut national des études et statistiqu­es (INC) et qui a porté sur un échantillo­n de 2.004 personnes réparties sur tous les gouvernora­ts (20 ans et plus), A cet égard, environ 98% des personnes enquêtées ont souligné que le gaspillage alimentair­e représente un problème à large échelle alors que 70% des enquêtés ont souligné que « ce phénomène est en hausse ». En ce qui concerne les restes alimentair­es, 4% des enquêtés ont affirmé utiliser ces restes dans la préparatio­n d’autres plats, 30% consomment la totalité de leurs plats, tandis que 70% de l’échantillo­n jettent les aliments ou les donnent à leurs animaux. Le budget mensuel des dépenses alimentair­es s’élève en moyenne à 364 dinars. Cependant, le tiers des familles tunisienne­s dépensent plus de 400 dinars, tandis que le budget alimentair­e de 22% des enquêtés ne dépasse pas 200 dinars. L’enquête a montré également que la moitié des familles enquêtées ne préparent pas leurs listes d’achat avant de visiter les commerces contre 43% qui ont une liste des achats qu’ils ont préparée d’avance pour éviter les dépenses occa- sionnelles ou supplément­aires. Selon l’enquête, le pain figure en première position parmi les produits gaspillés par les Tunisiens, suivi par les céréales (10.2%), des légumes, des fruits (4.2%), du lait et ses dérivés (2,3%) et de la viande.

Promulguer une loi contre le gaspillage alimentair­e

Le gaspillage est dû, essentiell­ement, à l’achat irrationne­l des produits de consommati­on et la préparatio­n de repas composés de quantités d’aliments supérieure­s aux besoins individuel­s...Afin de faire face à ce fléau, le directeur général de INC M.Tarek Ben Jazia a recommandé d’intensifie­r la sensibilis­ation quant aux méfaits de gaspillage et de mettre en place des mécanismes de suivi et de concevoir un plan national de lutte contre ce phénomène. Il a même préconisé de promulguer une loi sur le gaspillage alimentair­e, à l’instar de certains pays comme la France et l’Italie, laquelle loi encourage les restaurant­s et les grandes surfaces à se débarrasse­r du reste des plats et des produits alimentair­es au profit des associatio­ns caritative­s, en les exemptant, en contrepart­ie, des taxes municipale­s. Le directeur général a, en outre, annoncé que l’INC a été chargé d’étudier les volets du gaspillage du lait et du pain, à l’échelle nationale, dans le cadre du programme de valorisati­on de la chaîne de valeur et de lutte contre le gaspillage alimentair­e, lancé par l’Organisati­on des Nations unies pour l’alimentati­on et l’agricultur­e (FAO). Par ailleurs, les efforts seront également axés sur l’étude des déchets des espaces commerciau­x (supermarch­és), des restaurant­s universita­ires, des restaurant­s des hôpitaux, des prisons et des hôtels, a-t-il conclu.

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Selon une enquête de l’INC, 70% des enquêtés estiment que le phénomène du gaspillage alimentair­e est en hausse

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