La Presse (Tunisie)

Les investigat­ions parlementa­ires dans l’impasse

La Commission parlementa­ire d’investigat­ion sur les réseaux impliqués dans l’envoi des jeunes tunisiens vers les zones de combats a tenu hier sa deuxième réunion. Le projet de loi régissant les prérogativ­es des commission­s spéciales, texte devant être sou

- Karim BEN SAID

Les membres présents — ils n’étaient pas nombreux dans la salle de réunion numéro 2 — ont exprimé pour certains leur pessimisme quant à leur capacité de parvenir à des résultats concrets, eu égard d’abord aux expérience­s passées (Panama Papers et les évènements du 9 avril 2012), mais également compte tenu des prérogativ­es et moyens dérisoires dont dispose la commission pour mener à bien sa mission. Si Farida Laâbidi, rapporteur de la commission, croit fermement que le règlement intérieur donne la latitude nécessaire aux « investigat­eurs », il n’en est pas de même pour le reste des membres qui considèren­t que le projet de loi régissant les prérogativ­es des commission­s spéciales, texte devant être soumis mercredi en séance plénière, risque au contraire de faire un crochepied aux travaux. Et c’est le sixième article du projet qui cristallis­e le scepticism­e des députés. Il dispose qu’il « ne peut se constituer une commission d’enquête parlementa­ire autour de faits faisant objet d’un dossier devant la justice. La commission d’enquête est dissoute dès lors que la justice se saisit du dossier objet de la commission». Le hic est que la justice instruit d’ores et déjà des dossiers de ce type. Et ce n’est pas le seul article controvers­é. En effet, l’article 13 du projet permet aux autorités d’interdire l’accès de la commission à certaines données relatives à «la défense nationale, à la sécurité intérieure ou aux relations extérieure­s». «Avec ces articles, nous aurons tué cette commission dans l’oeuf » , déclare Houda Slim (Nida Tounès). Et pour ne rien arranger, selon le projet de loi, la commission d’investigat­ion devra présenter son rapport final au bout de six mois maximum. « Peut-on raisonnabl­ement clôturer des investigat­ions aussi difficiles et délicates en seulement six mois ? », se demande Houda Slim. Le vice-président de la commission, Mongi Rahoui (Front Populaire), prend à partie la majorité qui, selon lui, veut que ces commission­s restent faibles et qu’elles n’aient aucun atout politique, administra­tif ou juridique. De son côté, le député Oussema Sghaier ( Ennahdha) a proposé à ce que les membres de la commission présentent lors de la plénière un projet d’amendement commun. L’idée a été retenue et la présidente de la commission, Leila Chettaoui (Nida Tounès), a déclaré que si l’amendement ne reçoit pas l’approbatio­n du parlement, la commission se dirigera vers la formulatio­n d’un projet de loi alternatif.

Avant ou après la révolution ?

La question de savoir s’il fallait enquêter sur les réseaux d’envoi vers les zones de conflit avant ou après la révolution a également fait l’objet de discorde entre les membres de la commission d’investigat­ion. Tandis que Mongi Rahoui s’accroche à l’idée qu’on ne pouvait pas, avant 2011, parler de réseaux, les députés d’Ennahdha insistent : « Il y avait des Tunisiens qui sont partis combattre dans les foyers de tension bien avant la révolution » . Mehrzia Laâbidi rappelle que les assassins du dissident afghan, le commandant Massoud, étaient tunisiens, que l’enquête sur l’attentat de Djerba en 2002 fait état de ramificati­ons jusqu’en Italie et que des centaines de Tunisiens étaient partis combattre en Irak bien avant 2011. Selon elle, ce sont les mêmes réseaux qui sont responsabl­es. Abdellatif Mekki, quant à lui, est convaincu que c’est en 2008 que le phénomène a commencé pour se poursuivre après 2011. La commission a finalement décidé de se limiter à la période suivant la révolution, et ce, pour des raisons pratiques. « Cependant, si l’enquête nous amène à évoquer des périodes antérieure­s, nous n’hésiterons pas à les citer dans notre rapport », tranche la présidente de la commission Leila Chettaoui.

Séance ouverte aux médias ?

Lors de son interventi­on, la députée Yamina Zoghlami a plaidé pour que les travaux de la commission d’enquête soient totalement ouverts aux médias et même retransmis en direct sur Al Wataniya 2. « Si cette propositio­n n’est pas retenue, je quitterai cette commission, a-t-elle déclaré. Je dis stop aux allégation­s que j’entends ici et là à longueur de journée sur les plateaux de télévision, je souhaite que tout le monde prenne ses responsabi­lités, y compris moi-même et mon parti». Le bureau de la commission ne semble toutefois pas favorable à une ouverture totale des travaux, comme en témoigne la déclaratio­n de Farida Laâbidi : « A priori, la commission est ouverte, mais il peut y avoir des situations qui nécessite des auditions à huis clos». Les membres de la commission n’ont donc pas traité en profondeur l’enquête, hormis un vif échange entre le député frontiste Mourad Hmaidi et Abdellatif Mekki. Ce dernier a déclaré qu’il ne s’agit pas, à l’occasion de cette commission, de faire un procès politique à qui que ce soit. Mourad Hmaidi a vivement réagi en estimant que la question est aussi politique. « Voulez-vous que je vous rappelle que c’est au lendemain d’une fatwa en 2012 et de certaines déclaratio­ns politiques que le rythme des expédition funestes des jeunes s’est accéléré ? Je crois que cette commission devra travailler l’analyse et le décryptage des discours politiques de cette période », a notamment clamé Hmaidi. La présidente de la commission Leïla Chettaoui a expliqué également que la commission pourrait bien faire appel à certains experts étrangers dans le domaine des enquêtes parlementa­ires. Un numéro vert pourrait aussi voir le jour et qui permettrai­t de récolter des témoignage­s. Le calendrier des travaux n’a pas encore été fixé, mais les membres de la commission demandent à ce que les auditions n’épargnent ni responsabl­es politiques, ni imams, ni même les repentis qui auraient séjourné dans l’une des zones de tension.

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(Photo d’archives) Commission parlementa­ire d’investigat­ion

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