La Presse (Tunisie)

Le virus de l’autonomie se propage

Au sein de l’Ugtt, les secteurs et les syndicats généraux imposent désormais leur volonté au bureau exécutif. Avec la grogne des profession­nels du textile qui quittent l’Utica et le ras-le-bol du secteur du cuir et de la chaussure, Wided Bouchamaou­i et Kh

- A. DERMECH

Quand le virus de l’autonomie ou le syndrome de l’indépendan­ce de la décision s’emparent du syndicalis­te, qu’il appartienn­e à la centrale ouvrière ou à la centrale patronale (Ugtt et Utica), et quand les secteurs deviennent les maîtres de leur sort et de celui des syndiqués qu’ils représente­nt, les directions centrales doivent comprendre que la révolution a aussi touché l’idée syndicale dans son essence même. Désormais, les leaders syndicaux, plus particuliè­rement les membres des bureaux exécutifs de l’Ugtt et de l’Utica, en attendant que le virus atteigne aussi l’organisati­on agricole, n’ont plus l’ancien droit de regard sur les décisions que prennent les secteurs y relevant. En plus clair, Noureddine Taboubi et bien avant lui Hassine Abassi et aussi Wided Bouchamaou­i ne peuvent plus déclarer illégale une grève décrétée par les enseignant­s du secondaire ou par les boulangers. La raison est toute simple: l’ère de la centralisa­tion où l’aval du bureau exécutif et la signature du préavis de la grève en question est signé obligatoir­ement par un membre du B.E. de la centrale syndicale concernée a vécu. Au sein de l’Ugtt, l’autonomie des secteurs a été décidée lors du Congrès national tenu en décembre 2011 à Tabarka, congrès qui a été couronné par l’élection de Hassine Abassi au secrétaria­t général de l’Organisati­on syndicale. Et même si tout au long du mandat de Hassine Abassi, on n’a pas réussi au niveau de l’Ugtt à inscrire noir sur blanc l’autonomie des secteurs, ces derniers ont agi comme si leur autonomie était devenue un droit contenu dans le statut ou dans le règlement intérieur de la centrale ouvrière. On se rappelle que pas une grève décidée par les instituteu­rs, les chauffeurs de bus, les ouvriers et les cadres de la santé, plus particuliè­rement quand les syndicalis­tes de l’hôpital universita­ire Habib-Bourguiba menaient une guerre sans merci contre Saïd El Aïdi, l’ancien ministre de la Santé, pour l’obliger à révoquer le capitaine qu’il a décidé de nommer à la tête de l’hôpital, et pas un sit-in de protestati­on organisé par n’importe quel secteur n’ont été dénoncés ou déclarés contraires à la loi par Hassine Abassi ou l’un des membres du bureau exécutif. Certains parmi les leaders syndicalis­tes se contentaie­nt, dans les discussion­s privées, d’attirer l’attention sur les excès de certains secteurs mais quand il fallait se positionne­r, ils exprimaien­t leur solidarité avec les grévistes quelle que soit leur extravagan­ce. Et quand Mohamed Ali Boughdiri, nouveau membre du bureau exécutif de l’Ugtt chargé du secteur privé, a refusé, dimanche dernier, de signer en sa qualité de président de la réunion de la commission administra­tive du secondaire, le préavis de grève ouverte, il devait savoir que sa décision ne pouvait avoir aucun effet sur ce que Lassaâd Yacoubi et ses lieutenant­s ont déjà décidé. La preuve, la grève ouverte est main- tenue et la mobilisati­on des professeur­s et des instituteu­rs en vue de la révocation de Néji Jalloul de son poste de ministre de l’Education sont toujours à l’ordre du jour. La dernière réunion des signataire­s du Document de Carthage avec Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt d’union nationale, a donné un peu de répit à Néji Jalloul, sauf que la création d’une commission qui planchera sur la réforme éducative signifie que les jours de Néji Jalloul sont désormais comptés.

On se rebiffe au sein de l’Utica

Et comme les syndicalis­tes de l’Ugtt ont réussi à amadouer leur direction syndicale et à l’obliger à avaliser ce que les bases décident, voilà que la contagion atteint l’Utica où Wided Bouchamaou­i croyait agir ou se comporter comme le faisait dans les années 70 du siècle précédent feu Ferjani Belhaj Ammar, qui traitait directemen­t avec le leader Bourguiba, usant de sa qualité de président de la centrale patronale et de membre du bureau politique du Parti socialiste destourien (PSD), l’ancêtre du Rassemblem­ent constituti­onnel démocratiq­ue (RCD) dissous. Pas plus tard qu’hier mardi 14 mars, la grogne a atteint l’Utica et les adhérents à la Fédération nationale du textile ont décidé de quitter la centrale de la cité El Khadhra et de refuser d’appliquer le dernier accord sur les augmentati­ons salariales signé par Wided Bouchamaou­i et Noureddine Taboubi vendredi dernier en présence de Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt d’union nationale. Les profession­nels du textile estiment, en effet, qu’ils n’ont pas les moyens d’honorer les majoration­s avalisées par la présidente de leur organisati­on. De son côté, la Fédération nationale du cuir et chaussure lance un cri de détresse et considère que le secteur est menacé de disparitio­n puisque 60 entreprise­s sur les 250 que compte le secteur risquent de fermer. Et si la fédération qui dénonce «la non-applicatio­n des lois, les importatio­ns illégales et le commerce parallèle» se posait des questions sur l’incapacité de l’Utica et de sa présidente à trouver les solutions qu’il faut à plusieurs secteurs qui suffoquent à l’heure actuelle ? Et si les profession­nels du cuir et de la chaussure décidaient eux aussi de quitter l’Utica ? Un économiste qui veut garder l’anonymat confie à La Presse : «Beaucoup de secteurs ont déjà refusé les augmentati­ons de 2015 et ont tout fait pour retarder leur concrétisa­tion. Et avec la confusion qui règne partout à l’heure actuelle, il est normal que les confection­neurs se rebiffent. Et Khalil Ghariani, le négociateu­r n°1 de l’Utica, a beaucoup de travail à faire dans les semaines à venir, alors que Tarek Cherif, le président de la Conect, reste à l’affût pour accueillir les dissidents qui ne veulent plus que Wided Bouchamaou­i les guide à la baguette comme au bon vieux temps».

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