«Nous avons besoin d’une vision claire pour le secteur»
La baisse des flux touristiques a énormément affecté, ces dernières années, les opérateurs du tourisme tunisien. L’année 2017 démarre avec une légère reprise. Mais il ne faut pas voir dans cette reprise le salut du secteur. Les difficultés structurelles p
La Ftav a participé dernièrement au salon ITB Berlin. Quel a été le bilan de cette participation ? La Ftav a participé pour la première fois avec son propre stand. D’habitude, nous étions présents au sein du stand de l’Office national du tourisme tunisien (Ontt). Nous avons voulu que cette participation soit spéciale, en axant sur le tourisme alternatif, décrété cette année par l’Organisation mondiale du tourisme. Nous savons que le marché allemand est très sensible à ce genre de tourisme. Nous avons organisé une animation culinaire, sous forme de “Show cooking”, avec la participation du chef Rafik Tlatli, pour des spécialités tunisiennes et aussi celle d’un guide historien. Nous avons voulu faire un couplage entre le produit culinaire et son origine pour permettre aux visiteurs de s’informer sur son histoire et aussi sur les régions tunisiennes. En outre, nous avons sélectionné sept agences de voyages spécialisées dans le tourisme alternatif, qui appartiennent à différentes régions. Des meetings B to B ont été programmés avec des agences de voyages allemandes. Nous avons profité évidemment du membership de la Ftav dans le groupement des associations européennes des agences de voyages et des tour-opérateurs (Ectaa) et notre relation avec l’Association allemande des agences de voyages et des touropérateurs (DRV). Nous avons également eu des contacts avec des représentants du tour-opérateur “Thomas Cook”, voulant travailler sur le tourisme durable et aussi avec des investisseurs koweïtiens. Tout cela a été consacré par un prix décerné au stand tunisien — englobant l’Ontt, Tunisair et la Ftav— comme meilleur stand dans la région Afrique. Je voudrais noter aussi que la participation des professionnels était exceptionnelle cette année par rapport aux dernières éditions. Nous constatons un retour d’enthousiasme et une montée de moral, ce qui est très important dans notre travail. Il est prévu également la tenue d’une conférence fin mai 2017, coordonnée par l’ambassade de Tunisie en Allemagne, avec des responsables tunisiens et allemands afin de booster encore plus la destination. Comme bilan, nous pensons qu’il y aura certainement un flux des touristes allemands en 2017. Il est vrai que ce flux ne sera pas très grand, mais nous disons que, puisqu’il y a une tendance positive, il faut s’en réjouir et cela nous incite à travailler plus. La chute est facile, le retour est plus difficile. La tendance sur le marché allemand était positive avant l’attaque de Berlin. Cette attaque a arrêté la tendance, passant d’un flux à 30-40%, pour s’établir actuellement à 10-15%.
Sur fond d’une légère reprise de l’activité touristique, comment s’annonce, selon vous, la saison touristique 2017 ? 2017 sera certainement une année meilleure que 2016, si nous prenons les marchés un par un. Actuellement, il y a une reprise sur le marché français, peut-être aussi le marché allemand et, très probablement, le marché italien et le marché tchèque, parce qu’il y a une certaine stabilité sécuritaire. Il y a des actions de communication qui sont en train d’être faites à travers la participation aux salons. Mais pour être objectif, cette reprise est à discuter. Elle reste légère pour différentes raisons. Notre marché classique est l’Europe. Mais nous avons des problématiques au niveau du transport aérien (les perturbations au sein de Tunisair et aussi le manque de flotte, etc.). Le tourisme se base aussi sur le charter, qui se traduit par une prise de risque par le tour-opérateur. Mais l’orientation des tour-opérateurs actuellement est antirisque sur la Tunisie parce qu’il y a un manque de confiance. Du coup, ces tour-opérateurs restent prudents. En même temps, ils nous demandent de partager le risque. Une pratique que nous avons adoptée ces dernières années, en couvrant le risque avec les tour-opérateurs. Mais cela pose la problématique de financement. Les caisses en Tunisie ne supportent plus cela. D’où le dilemme : est-ce que nous allons continuer à faire pression sur les finances publiques et attendre le retour sur investissement? Il faut évaluer cette orientation et son impact. Ou bien limiter cette contribution et penser plutôt à investir dans la qualité et le produit touristique et travailler sur une montée en gamme pour que le retour sur investissement soit à haute valeur ajoutée. C’est la question qui se pose. Il faudrait la discuter. C’est très important pour savoir s’orienter dans l’avenir. Pour d’autres marchés, comme celui russe, je pense qu’il y aura vraisemblablement une baisse cette année. L’année 2016 était exceptionnelle, avec un flux de 620 mille touristes russes. Mais en 2017, on risque d’enregistrer moins, essentiellement à cause du retour des relations diplomatiques entre la Russie, la Turquie et l’Egypte. Ajoutons à cela que les grands tour-opérateurs actifs en Russie sont des turcs. Donc, la Turquie sera certainement privilégiée, d’autant plus que l’offre turque est plus diversifiée et se base sur le tourisme intégré. Mais il faut savoir que 2016 était une année exceptionnelle. D’habitude, nous enregistrons dans les 52 mille touristes russes. Cela n’empêche pas qu’il faut intensifier notre présence sur ce marché et communiquer plus sur la destination.
Quelles sont les actions entreprises par la Ftav pour booster cette reprise auprès des tour-opérateurs ? Nous sommes en train de consolider notre présence à l’étranger, comme c’est le cas à Berlin, et d’encadrer les agences de voyages. Nous contribuons également à donner une image diversifiée du tourisme tunisien pour sortir un peu de l’image stéréotypée, axée seulement sur le balnéaire. Nous voulons montrer qu’il y a d’autres produits et faire découvrir la Tunisie profonde. Cela permet de donner une valeur ajoutée à ces zones, créer de l’emploi, maintenir les gens dans leurs régions. C’est la dimension sociale du tourisme qui est absente. Nous y travaillons, mais l’Etat doit aussi s’y intéresser, en offrant des privilèges. C’est ce qu’on appelle une vision et une stratégie. Le rythme reste très lent. Nous jouons encore les pompiers. Quand il y a un problème, on intervient. Il faut anticiper, il faut être avant-gardiste. Cela nécessite un travail en commun et une confiance mutuelle entre les autorités et les professionnels.
Bien que la question sécuritaire ait largement pesé sur cette reprise, durant les deux dernières années, il n’est pas à cacher que d’autres difficultés structurelles persistent. Comment évaluezvous la performance du secteur touristique actuellement? Au niveau sécuritaire, il y a une amélioration, mais nous devons être vigilants. Il y a eu un impact sur l’image, traduit par un manque de confiance, surtout avec le maintien des restrictions de certains pays, comme l’Angleterre, les pays scandinaves, la Pologne, etc. Mais nous avons d’autres difficultés, comme les fermetures d’hôtels, la problématique de l’endettement, qui impactent également l’investissement dans le tourisme. Il faut avoir une stratégie claire et aussi une volonté politique. Parfois, j’ai des doutes. Est-ce qu’on veut réellement réformer ce secteur et le promouvoir. Je pense que nous devons travailler beaucoup sur l’environnement et la qualité du produit touristique pour que le touriste soit satisfait. Nous devons renforcer le taux de fidélisation du client. En outre, il y a des difficultés au niveau de l’infrastructure. Nous aimerions avoir des autoroutes qui relient les quatre coins du pays, des routes nationales bien faites, des trains rapides pour promouvoir le tourisme local. A mon avis, les prochains investissements de l’Etat doivent s’orienter dans ce sens, afin d’avoir une bonne infrastructure et réaliser de grands projets touristiques. J’en ai parlé auparavant : je rêve d’avoir un parc “Africa Disney” en Tunisie, au coeur du pays.
Que pensez-vous du rôle du ministère du Tourisme dans la mise en place d’une stratégie efficiente pour l’essor de ce secteur ? Il n’y a pas de stratégie. Il y a actuellement une discussion sur la restructuration de l’Ontt. Je suis l’une des personnes qui ont appelé à cela. L’office est devenu une structure lourde avec laquelle on ne peut pas travailler. Aller vers un éclatement est une bonne idée. Toutes les études qui ont été faites l’ont montré. Sauf que maintenant, il faut associer les professionnels. Il faut dépasser l’idée de l’éclatement physique partant d’un office pour former une agence de formation, une autre d’investissement produit et une de promotion. Il faut redéfinir les rôles de chacun des intervenants dans le secteur. Nous réclamons une présence des professionnels du tourisme dans ces structures. Il faut que la décision soit collective. Il faut changer l’état d’esprit. Nous réclamons d’être partie prenante dans le conseil d’administration. Le rôle du ministère est essentiellement de contrôler, faciliter et réguler la profession. Enfin, j’espère que dans la prochaine période, il y aura une vision claire prenant en considération le rôle du tourisme comme secteur vital et indispensable pour l’économie tunisienne qui peut donner des solutions au gouvernement pour créer de l’emploi, réduire le déficit commercial et faire entrer la devise.
Quel serait l’impact de l’Open sky sur la performance du secteur? C’est une bonne opportunité. Il va permettre de ramener un autre genre de clientèle du low-cost, qui cherche à réserver son hôtel sur le Net. D’ailleurs, nous poussons, comme Fédération, les agences de voyages à être plus visibles sur le Net, avec leurs produits. Après cela, le client a besoin de réserver son excursion sur le Net aussi, acheter un transfert. Mais réellement, il trouve des difficultés énormes pour se déplacer d’une région à une autre parce que notre tourisme a été conçu sur le tourisme de groupe, avec un bus et un chauffeur pour le transfert à l’hôtel. La signalétique est très pauvre. A Tunis, le transport commun est dans un état lamentable. Je le répète. Il faut une stratégie complète. On doit commencer le chantier de la restructuration du tourisme tunisien, même si cela peut prendre des années, mais il faut se lancer. Il faut mettre le point sur les difficultés et chercher à trouver des solutions. Je pense que le tourisme pourrait être un levier économique si les orientations sont bien établies et les stratégies bien ficelées.
Quel avenir pour le tourisme alternatif en Tunisie ? Dans le secteur, nous avons roulé à deux vitesses. D’un côté, le tourisme balnéaire que nous devons maintenir et préserver ses atouts. De l’autre côté, le tourisme alternatif qui nous permet de montrer les richesses de notre pays. Et par rapport à ce qui s’est passé ces dernières années, il s’agit d’une porte de sortie, d’un nouveau rayonnement pour la destination. Il attire un autre genre de clientèle, à l’instar des touristes asiatiques, notamment chinois, surtout avec la suppression des visas pour la Chine. Il s’agit d’une vision stratégique impliquant les autres ministères aussi, comme le ministère de l’Intérieur, de l’Environnement, les municipalités, le ministère de l’Agriculture aussi dans certains cas. En outre, il faut anticiper les besoins de certains marchés. Je peux vous affirmer qu’il y a des attentes de la part de plusieurs Etats, à l’instar des pays arabes. Les Irakiens, les Jordaniens, les pays du Golfe manifestent leur intérêt. Il faut étudier ces marchés, déterminer leurs besoins et préparer les produits équivalents. Le projet d’E-visa est un pas vers le bon chemin. Il peut faciliter énormément les procédures pour les clients potentiels.