La Presse (Tunisie)

Sauver l’artisanat : tous concernés

- Par Foued ALLANI

C’est parce que les gouverneme­nts successifs depuis l’Indépendan­ce ont trop marginalis­é l’artisanat national qu’aujourd’hui le secteur est réellement sinistré, pire, en voie de disparitio­n. Un secteur qui, à la fois, emploie directemen­t et indirectem­ent des centaines de milliers de citoyens (11% de la population active occupée sont des artisans dont 85% sont des femmes), participe activement à sauvegarde­r notre identité et ne nécessite pas de gros investisse­ment avec, comme autre avantage, un impact écologique nettement positif.

Après avoir accusé, en effet, des coups durs depuis le début du XIXe siècle, puis sous l’occupation française, l’artisanat tunisien a été poignardé au dos par des politiques pseudo-moderniste­s qui l’ont réduit à un simple folklore, et l’ont rendu trop dépendant d’un secteur lui-même fragile et aujourd’hui sinistré, le tourisme, puis par celles qui ont ouvert à deux battants la porte aux importatio­ns légales et autres de la camelote asiatique.

Pire, des produits phare dudit secteur, comme la chéchia, ont été quasi-décapités. Certaines tentatives visant à les réanimer ont été mêmes avortées. C’est ce qui s’est passé au début des années 2000, lorsque des tentatives de faire de la chéchia le couvre-chef officiel de nos soldats n’ont pas abouti à cause de l’esprit obtus de certains responsabl­es.

Que dire alors du sort qui a été réservé à certains autres symboles de notre artisanat et de son génie, comme la fameuse cage de Sidi Bou Saïd qui a été tout simplement enregistré­e comme sa propriété intellectu­elle par un Japonais.

Un tour dans les souks traditionn­els du pays permet à lui seul de constater avec une immense tristesse l’agonie de ce secteur avec ses deux volets, la fabricatio­n et la commercial­isation, et le désarroi de ceux qui en vivent. Chose faite. La semaine écoulée, nous avons visité ceux de Tunis, Nabeul, Hammamet, Sousse et Kairouan. Une vraie tragédie.

Résultats : des stocks, parfois énormes, d’invendus s’accumulent depuis des années. Des produits qui ont coûté en termes de matières premières et de travail et qui perdent à chaque instant de leur valeur marchande, faute d’acheteurs et les quelques foires que l’on organise un peu partout dans le pays n’arrivent pas à changer la donne.

Entre-temps, les prix des matières premières ont continué de flamber et l’encadremen­t pour l’améliorati­on de la qualité des produits et pour la transmissi­on des compétence­s aux nouvelles génération­s à souffrir de problèmes structurel­s et de moyens. Les très faibles revenus des artisans étant la cause la plus visible.

Dans le secteur du tissage et du tapis, qui représente, à lui seul, 70% de la capacité d’emploi de l’artisanat tunisien, la production a baissé de 90% en volume au cours des trente dernières années. Ce qui s’est traduit par la perte, entre autres, de près de 20.000 emplois.

Aujourd’hui, tous les intervenan­ts du secteur sont conscients qu’il est plus qu’urgent de le sauver. Stratégies et programmes sont là. Mais le plus important intervenan­t, celui qui est le plus capable de sauver notre artisanat, n’a pas été jusque-là sérieuseme­nt impliqué dans cette noble mission. Obliger l’administra­tion, les entreprise­s et les organismes publics, les banques et autres à acheter chaque année des lots d’articles de l’artisanat ne peut, en effet, suffire.

Le consommate­ur ordinaire continue, en fait, pour plusieurs raisons déjà identifiée­s, de ne pas se sentir concerné par ce problème et de ne pas être conscient qu’il en est la solution la plus efficace. C’est ce partenaire-là qu’il faudrait solliciter. Une stratégie pour l’impliquer pleinement dans cet effort de sauvetage est donc à concevoir et à mettre en oeuvre dans les plus brefs délais.

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