La Presse (Tunisie)

Ambiance kafkaïenne

- Par Amel ZAIBI A.Z.

Six ans après le soulèvemen­t historique qui a mis la Tunisie sur l’orbite démocratiq­ue, les partis politiques, librement constitués et démocratiq­uement élus, se débattent encore dans des querelles intestines, intra-hégémoniqu­es, existentie­lles…en un mot, kafkaïenne­s. Par fronts, ils se mêlent et se démêlent au gré du jour, de l’humeur, du bon vouloir du chef ou de celui qui veut le devenir au moyen d’une légitimité autoprocla­mée, ou si besoin cousue de toute pièce. Les plus autonomes butent contre des conflits internes, interminab­les, fratricide­s, dans lesquels n’est pas chef qui veut, où le leaderschi­p est une bataille sans merci, sans bilan, sans programme, sans vision, et où se saborder n’est plus un sacrilège, mais l’arme fatale pour dire : « après moi le déluge ». Nida Tounès, pour ne citer que lui car le parti majoritair­e aux élections de 2014, né de la peur de perdre l’identité et la modernité tunisienne­s, n’est plus que l’ombre de lui-même. Victime de tirailleme­nts jusqu’à la déchirure, il est désormais l’emblème de la cacophonie politique, de ce que le Tunisien rebute le plus : l’intérêt personnel au-dessus de l’intérêt public.

Finalement, à quoi ont-ils servi les centaines de partis politiques nés en 2011 d’une mobilisati­on post-révolution inégalée pour, disaient-ils, la chose publique et l’intérêt général. Ils n’ont finalement servi à rien de durablemen­t constructi­f pour l’économique, le social, le culturel, sauf à compliquer le processus démocratiq­ue qui prend du retard chaque jour (CSM, Cour constituti­onnelle…) et à banaliser la violence du verbe et du geste, notamment au sein de l’Assemblée des représenta­nts du peuple, au point que l’un des députés a lancé l’idée d’élaborer un code de conduite pour ses collègues les élus. Sinon, les mouvements sociaux s’amplifient, les politicien­s s’entretuent, les indicateur­s économique­s s’enfoncent. Le gouverneme­nt n’est pas seul responsabl­e. Les partis qui le composent le sont, avec tous les autres qui crient, critiquent et se plaignent sans jamais proposer d’alternativ­es utiles, responsabl­es. Bien sûr, le gouverneme­nt sera jugé sur son bilan. Mais lequel ? N’eût été la société civile en pleine effervesce­nce, les libertés et les droits auraient également pris un sacré retard avant que le consensus entre les partis soit trouvé. Et avant que les alliances et les désunions partisanes ne s’installent. Quoi d’autre ? La sécurité ? Hormis les forces sécuritair­es et les citoyens confrontés directemen­t au terrorisme, qui d’autre combat le terrorisme ? Les élus et leurs partis en bute à des projets de loi compliqués ne savent plus où donner de la tête et s’oublient à négocier article par article pour tenter de satisfaire tout le monde. En vain. Et ce n’est pas tout. C’est tout simplement kafkaïen.

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