Dans la pénombre de l’intimité féminine
La femme reste toujours à l’image de la vie. Pudique, mais aussi extravagante, elle apparaît, dans l’une des peintures, extravertie au point de frôler l’audace.
La 42e exposition plastique, qu’abrite le café culturel «Liber’art», à Tunis, est signée Boutheina Jomai. Cette jeune plasticienne, diplômée de l’Ecole des beaux-arts de Tunis, y dévoile ses oeuvres, laissant trahir ses sources d’inspiration, ses anges comme ses démons. Bienvenue dans un monde vaporeux, où l’eau —l’élément de la fertilité par excellence— s’avère être omniprésente tant dans l’espace clos et intime que dans celui ouvert et évanescent. Près d’une vingtaine de peintures convertissent, depuis samedi dernier et deux semaines durant, le café culturel en une galerie d’art. Le répertoire plastique mis à la disposition des habitués du lieu commence par une peinture chère au peintre. Baptisée «Malek», elle met en exergue un bébé baigné dans l’eau et devançant deux grands sceaux. Les cheveux noisette, les yeux écarquillés d’étonnement innocent, ce personnage fétiche a été une source de bonheur pour l’artiste peintre. «J’avais peint ce tableau alors que j’étais encore jeune fille. J’ai toujours rêvé d’avoir un garçon que je nommerais Malek. Mon rêve s’est, enfin, réalisé. Mais ce que je trouve fabuleux, c’est l’incroyable ressemblance, interceptée entre ce personnage quasi prémonitoire peint sur la toile, et mon enfant» , indiquet-elle, émue. Puis, l’on s’achemine, au fur et à mesure des peintures exposées, vers l’imaginaire artistique de Boutheina. Cette jeune femme replonge, à chaque fois, dans son monde chéri, oscillant entre la Médina et ses mystères, le bain maure typique, qui appartient à sa famille à Bab Souika, d’une part, et la mer, cette plénitude relaxante que ponctuent, tels des points d’attache, les barques artisanales, de l’autre. L’artiste s’adonne sans grande complication, ni hésitation au pinceau comme au couteau, honorant ces deux thèmes de prédilection : le bain maure, ce lieu intime où rien ne pourrait entraver à la relaxation, ni le voyeurisme ni le conservatisme et pas même le tabou. La mer, quant à elle, demeure, indéniablement, le refuge des âmes sensibles et la «muse» des peintres, par excellence.
L’art et le tabou ne font pas bon ménage !
Dans le premier univers, l’artistepeintre tient immanquablement à rendre la vapeur chaude et sensuelle du bain maure, plus que palpable. Et ce sont toujours les couleurs nues, voire les couleurs dérivées de la peau, qui prennent le dessus, rafraîchies, néanmoins, par la couleur turquoise de l’eau. Les modèles apparaissent pudiques, quoique nus. Le visage détourné, seul le dos en dit long sur leur langueur… Cela dit, la femme reste toujours à l’image de la vie. Pudique, mais aussi extravagante, elle apparaît dans l’une des peintures, extravertie au point de frôler l’audace. Elle s’affiche fière de sa féminité, de son corps, de son être, de son essence même. «Cette peinture a été fort contestée par les plus conservateurs. Mais j’ai tenu à l’exposer à chaque fois pour briser le tabou, car l’art et le tabou ne font pas bon ménage» , indique-t-elle, confiante. Ce qui est encore intéressant à remarquer, c’est cette insistance quasi obsessionnelle du thème du bain maure. L’artiste ne fait pas qu’exposer des modèles dénudés. Elle reprend les murs typiques du bain maure, les ressort en relief, comme dans une tentative acharnée de ressusciter ce lieu culte de l’architecture et du patrimoine tunisiens. Et voilà que les pierres des vieux murs reluisant sous l’humidité renaissent à nouveau. A l’eau chaude et sensuelle du bain maure s’oppose une eau salée, rafraîchissante et tout aussi apaisante. Le thème marin repris sous différentes techniques traduit cette aspiration à prendre le large et à s’adonner, sans trop de questionnement, à l’évasion. Dans l’une des peintures, l’on découvre une mer paisible, bercée par un soleil couchant. Dans une autre, la mer, le ciel et les deux barques stagnantes émanent, tous, d’une même source créatrice, d’un trio de couleur, à savoir le rouge, le bleu et le blanc. L’habilité du couteau de l’artiste rivalise, ainsi, avec le toucher soyeux du pinceau. L’un et l’autre finissent par sauver la plasticienne et par sublimer ses émotions…