Quand le pluralisme partisan perd son sens
Le rythme de la séance est fluide avec l’examen de l’intitulé et des articles. Les deux premiers sont votés sans encombre à la majorité. La lecture du troisième, au contraire, produit l’effet d’un freinage sec accompagné d’un crissement de pneus, dont le
Le projet de loi relatif à l’organisation des crèches et jardins d’enfants a été examiné hier dans sa dernière mouture par la commission parlementaire de la santé et des affaires sociales. Le département ministériel de la Femme et de la Famille est à l’origine du texte de loi. Déposé à l’Assemblée en juillet 2016, celui-ci avait requis 16 réunions en commissions et plus de 50 heures de travail. A l’issue de la navette parlementaire que toute initiative législative emprunte, entre son dépôt et son examen par la commission compétente. Hier, il a été procédé à l’ultime lecture des amendements apportés au texte, en présence de la ministre Naziha Laâbidi, avant d’être soumis à la plénière. Malgré l’importance de ce projet de 29 articles, qui ambitionne de structurer les établissements chargés de la petite enfance, la réunion a été privée de plus de la moitié de ses membres. Seuls 11 députés relevant de la commission étaient présents, 12 n’ont pas jugé bon de faire le déplacement.
Le projet de loi relatif à l’organisation des crèches et jardins d’enfants a été examiné hier dans sa dernière mouture par la commission parlementaire de la santé et des affaires sociales. Le département ministériel de la Femme et de la Famille est à l’origine du texte de loi. Déposé à l’Assemblée en juillet 2016, celui-ci avait requis 16 réunions en commissions et plus de 50 heures de travail. A l’issue de la navette parlementaire que toute initiative législative emprunte, entre son dépôt et son examen par la commission compétente. Hier, il a été procédé à l’ultime lecture des amendements apportés au texte, en présence de la ministre Naziha Laâbidi, avant d’être soumis à la plénière. Malgré l’importance de ce projet de 29 articles, qui ambitionne de structurer les établissements chargés de la petite enfance, la réunion a été privée de plus de la moitié de ses membres. Seuls 11 députés relevant de la commission étaient présents, 12 n’ont pas jugé bon de faire le déplacement. Le bloc Ennahdha était représenté en force. Pendant que l’autre grand parti de la majorité, Nida Tounès, officiait par un service minimum.
Une référence idéologique
Le rythme de la séance est fluide avec l’examen de l’intitulé et des articles. Les deux premiers sont votés sans encombre à la majorité. La lecture du troisième, au contraire, produit l’effet d’un freinage sec accompagné d’un crissement de pneus, dont le bruit strident rappelle les sonorités aiguës de la Constituante. Naziha Laâbidi, entourée de ses conseillers, présente une version amendée de l’article 3 pour l’inscrire davantage, plaide-t-elle, — et s’agissant de l’enfance — dans un champ lexical positif. En lieu et place des termes comme « haine, violence, discrimination », la nouvelle formulation propose « valeurs universelles, culture des droits de l’homme, amour de la patrie, ouverture sur les autres civilisations ». La ministre propose notamment de retirer toute référence idéologique en supprimant cette expression, procéder à « l’enracinement dans leur (enfants, ndlr) identité arabomusulmane ». Sous la présidence neutre, pour ne pas dire carrément détachée de Souhail Alouini de Nida Tounès, un grand nombre de députés nahdaouis réagissent ensemble pour s’opposer totalement à la proposition de l’exécutif et demander à intervenir. Le ton variait d’un élu à l’autre, mais le propos était le même, la référence à l’identité doit rester absolument. Fethi Ayadi, qui ne se départit habituellement jamais de son flegme, s’est particulièrement illustré. L’ancien président du conseil consultatif de la Choura, est sorti de ses gonds ; « l’identité arabo-musulmane figure en bonne place dans la Constitution, celui qui pense à violer la Constitution risque d’être révoqué, non pas un ministre, menace-t-il, mais l’ensemble du gouvernement ! Je suis étonné, enchaîne le député qui ne décolère pas, que de telles proposi- tions soient faites. Le débat a été tranché par la Constitution ! ». La harangue vindicative a duré une bonne dizaine de minutes. Et personne, pas même le président de la commission, n’a osé l’inviter à modérer son propos. C’est tout juste s’il lui a demandé très gentiment, d’ailleurs, d’abréger un peu, plusieurs intervenants attendant leur tour. Si les élus d’Ennahdha, parti islamo-conservateur, restent cohérents avec eux-mêmes. Le silence assourdissant des autres blocs parlementaires qui se présentent sur les plateaux comme centristes, progressistes, bourguibiens, destouriens, surprend pour le moins. Personne, aucun élu de la salle n’a osé apporter la moindre contradiction ni même enrichir cet étonnant débat unilatéral.
On retire l’amendement
Mbarka Ouinia, qui a apporté sa voix au courant dominant pour que l’expression « identité arabomusulmane » soit maintenue, a reconnu que pour le moment cette référence évoque davantage dans la conscience des gens le terrorisme plutôt que les belles valeurs de l’islam. Mais « une loi doit transcender l’immédiat ». L’élue a également reconnu les méfaits des établissements non contrôlés qui continuent à radicaliser les enfants en toute impunité, dans sa circonscription de Sidi Bouzid. Abdelmoumen Belanes du Front populaire est le seul député qui a osé critiquer directement et le fond et la forme des réactions de ses collègues et notamment celle de M. Ayadi. Il s’est dit lui aussi étonné du ton employé, des termes et des menaces proférées. « Nous n’allons pas évoquer au commencement de chaque loi l’identité arabo-musulmane. Puisque c’est mentionné par la Constitution, donc c’est supposé acquis », a-t-il tranché. Esseulés, la ministre et les membres de son cabinet ont commencé à se sentir, visiblement, mal à l’aise. Même cette dernière voix solidaire s’est perdue dans le « collectivisme » ambiant. Prenant la parole, Naziha Laâbidi s’est sentie donc obligée de se justifier. Elle révèle avoir fait ses études sur la civilisation arabo-musulmane et qu’elle mesure à sa juste valeur la portée de cette grande civilisation et des valeurs qu’elle charrie. Dans le texte, a-t-elle défendu, la référence à l’identité est « explicite et implicite » et que, l’essentiel, le contenu des programmes mettrait en valeur cette dimension « identitaire ». Elle finit par acquiescer, cependant, et déclare qu’elle retire l’amendement. L’identité, in fine, n’est pas un terme juridiquement précis. Il peut donner libre cours à tous les abus. Demain un législateur illuminé viendrait à interdire l’enseignement des langues étrangères sous prétexte de l’identité. L’identité est un mot fourre-tout. Sans parler du fait que « l’identité arabo-musulmane » est évoquée par la Constitution qui se situe au sommet de la hiérarchie des normes. La séance où le pluralisme partisan a perdu tout son sens a pris fin à 13h.