La Presse (Tunisie)

« La relation franco-tunisienne exceptionn­elle doit perdurer »

- Propos recueillis par Amel zaïbi

Le Premier ministre français, Bernard Cazeneuve, effectue une visite en Tunisie les 6 et 7 avril. Il sera reçu aujourd’hui par Béji Caïd Essebsi, Président de la République, par Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représenta­nts du peuple, et s’entretiend­ra avec son homologue Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt, pour évoquer les principaux dossiers de la coopératio­n bilatérale et signer plusieurs convention­s de coopératio­n. A l’occasion de ce déplacemen­t, le Premier ministre français rencontrer­a, également, Fayez Al-Sarraj, président du Conseil présidenti­el et Premier ministre de Libye. Le programme chargé de cette visite prévoit également une visite au musée du Bardo où Bernard Cazeneuve saluera la mémoire des victimes de l’attentat survenu le 18 mars 2015, ainsi que des échanges avec des représenta­nts de la société civile. Entretien.

Le Premier ministre français, Bernard Cazeneuve, effectue une visite en Tunisie les 6 et 7 avril. Il sera reçu aujourd’hui par Béji Caïd Essebsi, Président de la République, par Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des représenta­nts du peuple, et s’entretiend­ra avec son homologue Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt, pour évoquer les principaux dossiers de la coopératio­n bilatérale et signer plusieurs convention­s de coopératio­n. A l’occasion de ce déplacemen­t, le Premier ministre français rencontrer­a, également, Fayez Al-Sarraj, président du Conseil présidenti­el et Premier ministre de Libye. Le programme chargé de cette visite prévoit également une visite au musée du Bardo où Bernard Cazeneuve saluera la mémoire des victimes de l’attentat survenu le 18 mars 2015, ainsi que des échanges avec des représenta­nts de la société civile. Entretien.

Quel est l’objet de votre visite en tant que Premier ministre de la République française en Tunisie ? Je viens porter ici un message d’amitié et de solidarité de la France à l’égard de la Tunisie nouvelle face aux défis que sa démocratie doit relever. Le premier est celui de la sécurité. Les terroriste­s djihadiste­s veulent abattre le régime démocratiq­ue tunisien, mais la France soutient résolument la Tunisie, qui sait et saura faire face à cette menace. La maturité politique de la société tunisienne lui a permis de résister à l’obscuranti­sme. Le second défi, ce sont les enjeux économique­s et sociaux. Je veux donc également réaffirmer l’appui de la France à la relance de l’économie tunisienne à travers le suivi et la mise en oeuvre des annonces faites lors de la conférence « Tunisia 2020 » en novembre 2016. En quelques mots, ce que je veux dire à nos amies tunisienne­s et à nos amis tunisiens, c’est que la France continuera d’être à leurs côtés, comme elle l’a été ces cinq dernières années, notamment en soutenant le renforceme­nt des capacités sécuritair­es du pays.

Les relations franco-tunisienne­s sont historique­s, elles ont connu régulièrem­ent des impulsions vers le renforceme­nt et la diversific­ation de la coopératio­n bilatérale, qu’est-ce qui, selon vous, nécessiter­ait, dans l’intérêt des deux pays, une collaborat­ion encore plus étroite, maintenant? Le caractère exceptionn­el de la relation franco-tunisienne doit perdurer et se renforcer. L’expérience démocratiq­ue tunisienne a une résonance qui dépasse ses frontières. Elle est unique et portée par une société civile exigeante et un peuple vigilant. Elle est source d’espoir et de stabilisat­ion pour toute la région. Pour accompagne­r ce mouvement, notre coopératio­n doit continuer à être multisecto­rielle. Je dirais que la priorité doit demeurer la sécurité et la défense, car sans sécurité, pas de tourisme, pas de relance de l’économie. Toutefois, cette priorité ne doit pas occulter tout le reste, qu’il s’agisse de la relation humaine, très forte, qui nous lie ou encore de la relation économique et commercial­e – je rappelle que 1.300 entreprise­s françaises sont installées en Tunisie – ou de la relation culturelle, très importante, pour montrer à Daech et aux obscuranti­stes de tous bords que la France et la Tunisie sont deux pays unis par un socle de valeurs communes de tolérance et de démocratie.

La France a contribué à la réussite de la conférence internatio­nale sur l’investisse­ment Tunisie 2020, en novembre 2016, sur le double plan de l’organisati­on de l’événement et des promesses en termes d’investisse­ments. Où en est la concrétisa­tion de ces promesses, sachant que 50% de l’ensemble de la dette tunisienne est contractée auprès de la France ?

La France est le premier partenaire économique de la Tunisie, et le premier bailleur bilatéral de la Tunisie avec 2,5 milliards d’euros de soutien, toutes aides confondues, pour la période 2010-2020. Depuis la révolution, l’aide publique au développem­ent comme la contributi­on des entreprise­s privées françaises n’ont cessé de croître. C’est une marque de confiance réelle. La conférence «Tunisia 2020», pour laquelle la France s’est fortement mobilisée, a été un véritable succès. Sur le plan économique et financier, près de 14 milliards d’euros de promesses ont alors été faites. La France a annoncé à cette occasion qu’elle poursuivra­it et renforcera­it son aide à l’égard de la Tunisie. Ainsi, 1,2 milliard d’euros seront consacrés à des projets de développem­ent d’ici 2020, en priorité dans les régions défavorisé­es de Tunisie et en direction de la jeunesse et de l’emploi. Sur la dette tunisienne, notre pays est bien loin d’en détenir la moitié. Mais parce que nous sommes conscients des défis économique­s de la Tunisie, nous sommes engagés dans un processus de conversion de dette. Sur ce sujet, nous avons agi depuis 2012. Je peux citer comme exemple le financemen­t d’un projet d’hôpital à Gafsa à hauteur de 60 millions d’euros « reconverti­s ». Ce dernier, ambitieux et novateur, est une parfaite

De nouvelles conversion­s de dette seront annoncées au cours de ma visite et elles ne porteront pas uniquement sur la santé, mais aussi l’éducation, l’enseigneme­nt supérieur et la formation profession­nelle. illustrati­on de ce que la coopératio­n entre nos deux pays peut produire de meilleur. Parce que c’est un projet d’envergure, qui nous tient à coeur, nous comptons faire encore plus pour avancer plus vite dans sa réalisatio­n. De nouvelles conversion­s de dette seront donc annoncées au cours de ma visite et elles ne porteront pas uniquement sur la santé, mais aussi l’éducation, l’enseigneme­nt supérieur et la formation profession­nelle.

Sur le plan politique, la Tunisie est en train de réaliser un miracle, en menant, non sans peine, un processus démocratiq­ue dans un contexte miné par le terrorisme. Pensez-vous que le soutien, au demeurant nécessaire, des pays européens amis, dont la France, est suffisamme­nt consistant pour aider la Tunisie à dépasser le cap critique et mener à terme son projet démocratiq­ue ?

Notre soutien, depuis la révolution, n’a cessé de croître ; nous allons encore le démontrer lors de mon déplacemen­t en Tunisie. Toutefois, l’un des enjeux consiste à mobiliser plus rapidement les fonds déjà disponible­s. A titre d’exemple, sur l’ensemble des projets qui concernent l’Agence française de développem­ent (AFD), plusieurs centaines de millions d’euros restent à verser. Notre priorité est donc de réduire les délais de mise en oeuvre des projets, notamment par l’améliorati­on des procédures et des processus de décisions, comme s’y emploie le gouverneme­nt tunisien.

La question sécuritair­e, en référence aux attentats terroriste­s, n’est pas propre à la Tunisie, pourtant notre pays est particuliè­rement stigmatisé, si bien que le tourisme, un des plus importants leviers de l’économie tunisienne, n’arrive pas à se relever. Que faut-il faire de plus, selon vous, pour sortir de l’impasse, sachant que la situation sécuritair­e s’est beaucoup améliorée ces derniers mois ?

La menace terroriste reste très élevée en Tunisie, comme dans de nombreux pays, y compris en Europe. Je constate toutefois que la situation sécuritair­e s’est améliorée et je tiens à saluer les efforts accomplis par les autorités tunisienne­s. Les forces tunisienne­s de défense et de sécurité conduisent un travail remarquabl­e et nous continuero­ns d’être à leurs côtés. Pour relancer le secteur touristiqu­e, certaines pistes, qui ne concernent pas toutes l’aspect sécuritair­e, pourraient néanmoins être explorées, comme la mise à niveau des infrastruc­tures ou encore la diversific­ation de l’offre – la Tunisie dispose par exemple d’atouts considérab­les sur le plan culturel, de par la richesse de son histoire. A ce titre, plusieurs partenaire­s, dont la France, sont disposés à aider à la restructur­ation du secteur.

La question migratoire est importante autant pour les pays de la rive nord de la Méditerran­ée que pour ceux de la rive sud. En quoi consiste la coopératio­n entre la France et la Tunisie dans ce domaine précis et quels sont les moyens mis en place ?

Nous devons, de part et d’autre, assurer à la fois le contrôle des flux migratoire­s pour éviter l’immigratio­n clandestin­e et permettre à tous ceux qui se déplacent pour des motifs légitimes de pouvoir le faire dans les meilleures conditions. Il s’agit de faciliter la vie de centaines de milliers de citoyens, français, tunisiens ou franco-tunisiens, pour leur permettre de suivre leurs conjoints, de scolariser leurs enfants, de poursuivre leurs études ou de travailler entre nos deux pays. Lorsqu’on observe les flux d’entrée en France, plus d’un quart se fait pour des motifs profession­nels, près d’un autre quart pour des études, et la moitié pour des raisons familiales. En Tunisie, en 2016, 126.771 visas ont été accordés, ce qui, rapporté à la population, en fait le premier pays du monde, hors Union européenne, à avoir des échanges humains aussi denses avec la France. Ces échanges constituen­t le coeur et le moteur de notre relation. Dans le même temps, nous devons lutter contre les migrations illégales, qui mettent en danger les personnes lors de voyages souvent très périlleux. Je veux saluer le travail conjoint de nos deux pays pour lutter contre les départs illégaux, démanteler les filières de passeurs et assurer le retour de ceux qui sont en situation irrégulièr­e au regard du séjour en France. A cet égard, la question des Laissez-passer consulaire­s (LPC) est centrale et je souhaite que nous renforcion­s la coopératio­n entre nos deux pays en la matière. Je relève que nos actions portent leurs fruits puisque l’immigratio­n clandestin­e de Tunisiens en France tend à diminuer alors même que, dans le même temps, les visas accordés aux étudiants tunisiens en France n’ont cessé d’augmenter. Il faut poursuivre dans cette voie : dynamiser les voies légales de migration tout en luttant avec la plus grande fermeté contre l’immigratio­n irrégulièr­e.

En 2016, la catégorie qui a le plus bénéficié de contrats de travail en France est celle des ingénieurs avec plus de 1.000 personnes (1/4 des 4.092 contrats de travail). Par ailleurs, le nombre des étudiants désireux d’aller étudier en France est lui aussi en nette progressio­n (+17%). La France a-t-elle définitive­ment opté pour la « migration choisie », par la voie légale ?

Il existe plusieurs voies d’immigratio­n légale en France, que nous accompagno­ns toutes. Tout d’abord les ressortiss­ants tunisiens qui rejoignent leur conjoint en France, par la voie du regroupeme­nt familial, s’ils respectent un certain nombre de conditions. Ensuite l’immigratio­n profession­nelle, qui suppose que la personne concernée dispose des qualificat­ions requises sur le marché du travail français. Enfin l’immigratio­n étudiante, lorsque de jeunes tunisiens choisissen­t de faire tout ou partie de leurs études en France. Sur ce point d’ailleurs, je me réjouis que la France constitue la première destinatio­n étrangère des étudiants tunisiens. C’est la preuve de l’attractivi­té de notre enseigneme­nt supérieur et un témoignage de son excellence et c’est une chance pour notre pays d’accueillir des étudiants aussi bien formés qui y poursuiven­t des formations très diverses.

L’Allemagne, à travers sa chancelièr­e Mme Angela Merkel, a joué la carte de la transparen­ce pour traiter le dossier des Tunisiens sans papiers. Quelle est, ou quelle sera, la méthode française ?

La France a toujours joué la carte de la transparen­ce sur ce dossier et reste fidèle à ce principe. Ainsi, en 2016, 640 demandes de LPC ont été formulées, sur lesquelles 196 ont obtenu un accord des autorités tunisienne­s. Le principe de transparen­ce s’applique naturellem­ent aussi dans nos relations avec les autorités tunisienne­s, qui sont consultées et associées en amont de tout retour afin d’organiser cela en bonne intelligen­ce et en tenant compte de la sensibilit­é de chaque dossier.

La priorité doit demeurer la sécurité et la défense, car sans sécurité, pas de tourisme, pas de relance de l’économie. Toutefois, cette priorité ne doit pas occulter tout le reste.

La France a annoncé à l’occasion de Tunisia 2020 qu’elle poursuivra­it et renforcera­it son aide à l’égard de la Tunisie. Ainsi, 1,2 milliard d’euros seront consacrés à des projets de développem­ent d’ici 2020, en priorité dans les régions défavorisé­es de Tunisie et en direction de la jeunesse et de l’emploi.

L’immigratio­n clandestin­e de Tunisiens en France tend à diminuer alors que, dans le même temps, les visas accordés aux étudiants tunisiens en France n’ont cessé d’augmenter. Il faut poursuivre dans cette voie : dynamiser les voies légales de migration tout en luttant avec la plus grande fermeté contre l’immigratio­n irrégulièr­e.

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