L’impératif d’une nouvelle stratégie de valorisation des déchets organiques
Pourquoi perd-on chaque jour d’importantes quantités de biogaz–méthane et de matières d’amendement du sol sans réagir ?
Dans certains pays européens, les pratiques de récupération des déchets organiques n’avaient pas pour but de limiter les quantités de déchets, mais naissaient simplement du souci qu’on pouvait en tirer profit, le cas le plus connu était l’utilisation de ces déchets en épandage sur les jardins potagers remplacés par la suite par les engrais chimiques plus compétitifs. En améliorant leur qualité et leur propreté par des techniques comme le compostage, il devient possible de gérer efficacement une part importante de ces ordures ménagères en tant que compost attendu que ces déchets deviennent d’intéressantes matières premières. En effet, le compost est une matière fertilisante riche en composés humiques, il permet d’amender les sols en améliorant leur fertilité. Le compostage connaît, depuis quelques années, une forte croissance car, aujourd’hui, l’Europe composte 18 milliards de kilos par an de déchets organiques d’origine agricole, industrielle ou ménagère. En Tunisie, la première étude d’un projet de compostage a été réalisée par le Cnei (Centre national des études industrielles) vers 1984 pour le compte de la municipalité d’Hammam-Lif, malheureusement, le projet s’est arrêté au stade des études pour des raisons inconnues, malgré l’appui politique du président de la république qui a soutenu l’idée de feu Bousouffara, à l’époque président de la municipalité d’Hammam-Lif. Aussi, des travaux de recherche ont été entamés par une équipe de chercheurs à l’Inrst durant la même période mais sans suite puisque le compostage n’a jamais été considéré comme solution pour traiter les déchets organiques putrescibles en Tunisie. Aussi, la digestion anaérobie qui dégrade la matière organique et la transforme en dioxyde de carbone et en méthane — CH4 —(méthanisation) constitue aussi une source d’énergie renouvelable significative. Des moteurs alimentés en biogaz apparaissaient en Europe dès 1880; durant la Deuxième Guerre mondiale, des véhicules de l’armée allemande fonctionnaient aux biogaz récupérés des fumiers de fermes. En effet, le biogaz contient principalement du méthane (50 à 70%), ce qui lui permet d’être un bon fournisseur d’énergie (1m3 de biogaz a un pouvoir calorifique d’environ 6 kWh soit l’équivalent de 0,6 litre de fuel). Au terme de la digestion anaérobie des matières organiques, on obtient aussi un digestat qui s’apparente à un compost liquide, c’est la matière extraite en sortie du digesteur après la fermentation et l’extraction du biogaz. Sa valeur fertilisante étant intéressante puisqu’il contient une forte proportion d’azote ammoniacal et du potasse pouvant, après un éventuel traitement, remplacer partiellement ou en totalité l’engrais minéral. Le progrès technologique et scientifique réalisé dans les systèmes de digestion anaérobie a permis l’augmentation de la productivité en méthane à partir des déchets organiques et la récupération du digestat. Dans notre pays, le potentiel de compostage et celui de biogaz sont très importants mais non exploités à cause de l’absence d’une politique et d’une stratégie cohérentes de valorisation des déchets organiques. Ces déchets posent actuellement des problèmes dans leur gestion particulièrement dans les grandes villes sans parler des effets néfastes sur l’environnement et la santé du citoyen. L’évaluation du potentiel mobilisable des déchets organiques en Tunisie, hors ordures ménagères, atteint environ 500 millions de m3 de biogaz par an hormis les ordures ménagères, et le potentiel énergétique, quant à lui, pourrait atteindre 3 millions de MWH/ an, sans parler du potentiel électrique par cogénération qui s’ajoute à ce potentiel. L’analyse des données relatives à la répartition régionale du potentiel bio- méthanisation (T/an) et du potentiel énergétique (MWh/an) place Sfax comme étant le centre le plus important à l’échelle nationale avec un potentiel d’environ le double de celui du Grand Tunis. Il faut signaler la réalisation en Tunisie de certains projets de méthanisation soit dans le cadre de la coopération bilatérale ou dans le cadre d’une stratégie élaborée au cours des années 2000, mais ces réalisations restent non significatives en comparaison du potentiel national et des perspectives de croissance dans le monde. En effet, à l’échelle mondiale, l’appui aux projets de production du biogaz permettrait de passer d’une production de 50 Gkwh en 2012 à 130 Gkwh en 2025, soit une croissance annuelle moyenne d’environ 7,5%. L’Allemagne qui se positionne comme premier pays devant les USA verrait sa production de biogaz passer de 18 GWh en 2012 à 28 Gkwh en 2025 soit un taux de croissance annuel moyen d’environ 3,5%, quant aux USA, ils verraient leur production passer de 9 Gkwh à 21 Gkwh de 2012 à 2025, soit un taux de 6,5%/an. Le gouvernement allemand a proclamé en 2010 avec le «German Energy Concept» sa volonté de promouvoir un modèle énergétique fiable et respectant l’environnement, ce concept se base entre autres sur la facilitation de l’intégration des énergies renouvelables. L’objectif est de produire plus de 35% de son électricité en utilisant des sources renouvelables à l’horizon 2020. La puissance cumulée du parc biogaz en Allemagne a atteint 3.530 MW. La France n’est pas parmi les grands pays cités en méthanisation, mais elle a arrêté ses objectifs et a mis une stratégie de développement, et la méthanisation y connaît maintenant une forte impulsion, le plan «Energie méthanisation autonomie azote» devrait permettre de développer 1.000 «méthaniseurs» à la ferme à l’horizon 2020, contre 90 à fin de 2012. En Europe, certains villages entiers sont désormais alimentés en électricité et en chaleur grâce à des systèmes de biogaz centralisés. En Inde et en Chine, des milliers de digesteurs familiaux permettent aux ménagères de cuisiner sur des réchauds au biogaz. D’après les données publiées, on compte plus de 20 millions de foyers équipés de digesteurs domestiques en Inde, et plus de 15 millions en Chine. Ces digesteurs ont des tailles très variables, de 1 m3 pour les usages domestiques à 2.000 m3 pour les installations industrielles mais la taille moyenne est d’environ 6 m3. Aujourd’hui, des milliers de projets réalisés à travers le monde démontrent que la collecte des biogaz à des fins énergétiques est viable tout en ayant un impact favorable sur l’environnement. Les décharges contrôlées engendrent la formation de biogaz, la récupération du méthane réduit les nuisances et les risques, bien que souvent brûlé en torchère pour transformer le méthane en CO2 moins dangereux pour la couche d’ozone —effet de serre—. Ces décharges ne constituent pas une solution économique ni financière pour la valeur des terrains occupés, les frais d’exploitation qu’engendrent la gestion des décharges et le temps du cycle de méthanisation qui est relativement long d’environ 20 ans contre environ 90 jours dans les digesteurs. L’utilisation du biogaz variée qui peut fournir en même temps de l’électricité, de la chaleur, du froid et du gaz, tout en étant disponible 24 heures sur 24 au cours de toute l’année et il peut être stocké et peut apporter des solutions aux besoins énergétiques des localités éloignées. Aussi, le biogaz traité peut être utilisé dans tous les véhicules fonctionnant au gaz naturel, il peut être stocké dans des citernes et être transporté dans des bonbonnes ou par pipelines. La valorisation du biogaz sous forme d’électricité ou par injection dans les réseaux commence à se développer dans le monde et certaines études montrent que le potentiel pourrait satisfaire plus de 10 % des consommations de gaz naturel dans certains pays. Les quantités de déchets organiques produites à l’échelle nationale dépassent les 8 millions de tonnes/an. L’adoption d’une nouvelle politique et la mise en place d’une nouvelle stratégie nationale en matière de valorisation des déchets organiques ainsi que l’élaboration d’un plan d’actions devraient être une des priorités nationales. D’ailleurs, cette approche s’intègre totalement dans le cadre du Mécanisme de développement propre du protocole de Kyoto – MDP. Rappelons seulement que l’effet de serre du biogaz est 11 fois plus dangereux que celui du CO2 d’où la nécessité d’éviter sa libération dans l’atmosphère en procédant soit à sa combustion soit à sa valorisation. La nouvelle stratégie à mettre en place doit, dans tous les cas, prendre en compte la révision du rôle des principaux opérateurs comme l’Anged, l’Anpe, les municipalités et l’Etat ainsi que le rôle du secteur privé et doit avoir comme objectif principal la création d’unités de valorisation des déchets organiques dans les villes et dans les sites produisant ces déchets (marché de gros des légumes et fruits, fermes, abattoirs des viandes rouges et blanches,...) ainsi que l’incitation à la réalisation de digesteurs sur site en particulier dans les zones rurales où il y a une production de déchets organiques (fermes agricoles…). Ces unités vont permettre, d’une part, de résoudre le problème de gestion des déchets organiques et des ordures ménagères dans les grandes villes et villes touristiques et vont permettre, d’autre part, d’abandonner la solution classique des décharges contrôlées et permettant par voie de conséquence l’exploitation foncière même partielle des terrains occupés par ces décharges. Sur le plan économique et financier, ces unités vont permettre de contribuer positivement à l’équilibre de la balance énergétique tout en assurant des recettes financières directes ou/ et indirectes (exemple d’utilisation du méthane sur le site) avec un coût d’exploitation relativement faible contrairement à la situation actuelle. Ce sont là des projets, sans aucun doute, économiquement et financièrement viables et aussi d’un impact environnemental et social positif.