La Presse (Tunisie)

Supérieur, mais devenu à la traîne

- Par Foued ALLANI

Le marasme que vit le secteur de l’enseigneme­nt supérieur et de la recherche scientifiq­ue, depuis de longues années, en Tunisie n’a malheureus­ement pas encore trouvé d’issue malgré la bonne volonté de tous. Ce qui explique la colère de ses membres actifs, le recours de temps en temps à la grève comme c’est le cas hier et aujourd’hui et à d’autres formes de protestati­ons. Situation qui ne peut en aucun cas servir le pays dans son ensemble, encore moins son économie, puisque ledit secteur est l’appareil responsabl­e de la production de l’intelligen­ce, le plus précieux capital et la plus utile ressource que puisse posséder un pays. Imaginez que nous comptons près de 3.300 docteurs dans diverses discipline­s encore au chômage. Après une ascension fulgurante dès son démarrage, sous sa forme moderne, au début des années cinquante du siècle dernier, le secteur a connu une malheureus­e décadence dès le début des années 2000, situation qui n’a connu aucune tentative sérieuse de sauvetage. Une accumulati­on de défaillanc­es et de dysfonctio­nnements qui ont touché la qualité de nos diplômes supérieurs et par là même la qualité de l’enseigneme­nt et de la formation, en général. L’absence d’une sélection rigoureuse au cours des deux cycles de base, l’incorporat­ion de la moyenne annuelle dans celle de l’examen du baccalauré­at, la gangrène des cours particulie­rs et la précarité de la situation de bon nombre d’enseignant­s à tous les niveaux ont contribué à ce résultat. Une catastroph­e qui a été révélée au grand jour, avant 2011, par l’absence de l’Université tunisienne dans le classement dit de Shanghai, par le mépris que les élèves de l’Ecole polytechni­que de Tunisie avaient vécu plusieurs années consécutiv­es de la part du gouverneme­nt à cette époque-là, les scandales étouffés qui avaient entaché l’honnêteté de certains enseignant­s, responsabl­es des recherches, et surtout par le taux élevé de chômeurs diplômés du supérieur. Rien ou presque n’a été fait pour sauver le secteur. Pire, même les assistants contractue­ls, qui continuent de supporter, avec un stoïcisme devenu légendaire, la précarité de leur situation et le salaire horaire de misère qu’ils perçoivent depuis de longues années, ont été, pour la plupart d’entre eux mis, vulgaireme­nt à la porte. Soit près de 2.500 compétence­s bien rodées et bien discipliné­es (doctorat et entre 5 et 9 ans d’enseigneme­nt). Cela malgré le rôle vital qu’ils ont joué dans la formation de nos diplômés du supérieur, et malgré tous les appels à la régularisa­tion de leur situation. L’un d’entre eux s’est d’ailleurs immolé par le feu car, ironie du sort, empêché de poursuivre un petit boulot de vendeur de cigarettes en détail, laissant derrière lui une famille dans le besoin, et le pays en émoi. Une véritable honte pour la Tunisie surtout après la révolution qui a ouvert la porte à double battant pour le recrutemen­t et la titularisa­tion des travailleu­rs temporaire­s. Le tableau n’est guère reluisant quant à la situation préoccupan­te que vit la recherche scientifiq­ue. 35 brevets seulement en moyenne par an, au cours des six dernières années pour près de 20.000 chercheurs, sont, en effet un chiffre qualifié de bas par les spécialist­es. Préoccupan­te l’est aussi celle de la relation université­s-entreprise­s. Les travaux des différente­s commission­s, qui oeuvrent depuis des semaines pour la préparatio­n des assises nationales de la réforme du secteur prévues pour les 30 juin et 1er juillet prochains ont certaineme­nt trouvé les solutions idoines aux différents problèmes que rencontre ledit secteur. Le plus important est que ces solutions trouvent la volonté politique capable de les appliquer, car ce ne sont pas les diagnostic­s qui manquent, encore moins les idées innovantes pour donner au secteur les moyens de jouer pleinement son rôle de locomotive du pays à tous les niveaux.

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