Ils résistent, un brin nostalgiques
Avec le retour des croisiéristes, un bref espoir renaît chez les commerçants des souks de la Médina dont l’activité souffre énormément de la concurrence déloyale du commerce parallèle
En franchissant la porte de France qui débouche sur les souks de la Médina, une fraîcheur nous saisit; celle de l’éclatant jaillissement des eaux de la fontaine. Sur cette place dallée, l’envolée sous forme de parade d’un essaim de pigeons et d’hirondelles annonce l’arrivée imminente du printemps. Tout cela emplit de joie des enfants insouciants et rieurs. Le beau soleil matinal a ravi les nombreuses familles qui ont profité des vacances pour flâner sur ces pavés noirs et constellés d’incisions pour éviter aux nombreux passants toute malencontreuse glissade et faire profiter tout ce beau monde d’une agréable promenade pleine de légèreté et de gaieté. Aucun magasin n’est fermé pratiquement sauf un magasin de vêtements artisanaux ou de petits stores. Tous sont ouverts à la clientèle car les commerçants s’impatientent à l’orée de la nouvelle saison touristique. En communiquant avec eux, le décor change !
Activité commerciale en berne
Le regard inquisiteur, scrutant la foule du regard, des commerçants du plus célèbre souk de la Médina de Tunis haranguent les quelques flâneurs qui s’attardent pour examiner des créations artisanales aux couleurs chatoyantes exposées dans les échoppes bien achalandées. Pour vérifier sur le vif leurs motivations, La Presse les a interrogés. Un commerçant, vendant des vêtements prêt-à-porter et des accessoires traditionnels, fait la moue : «Le circuit des croisiéristes qui viennent chaque semaine est fixé par les guides qui choisissent les commerçants où les touristes vont acheter leurs cadeaux souvenir. On les appelle les vendeurs pistonnés. C’est eux qui remportent le gros lot le jour où les croisiéristes font le tour des souks. Quant à nous, c’est au bonheur la chance» . Un vendeur de bijoux artisanaux à l’entrée de l’artère principale du souk demeure sceptique : «La merveilleuse époque d’avant la révolution où l’on vendait un maximum le samedi sonne comme un souvenir lointain et creux. Tenez, il est 14h00 et je n’ai toujours rien vendu!». Il est neuf heures et demie, un petit groupe de touristes français se promènent, les mains dans les poches, hélés et interpellés à vive voix par les commerçants sur le pas de leur boutique. Le cuivre bat fort pour éveiller des esprits assommés par la monotonie ambiante. Au début de la rue du Pacha, quelques chéchias sont exposées ça et là à la vente. Les artisans qui les fabriquent se font de plus en plus rares et quelques échoppes ont même fini par mettre la clé sous le paillasson. Un vieil homme de la place calme et plein de sagesse se veut rassurant. «Ils ont fermé momentanément, ils reprendront bientôt leur activité. Nous gardons espoir en de meilleurs lendemains. Le secteur retrouvera ses lettres de noblesse» . En flânant dans les ruelles de la vieille Médina, on se retrouve un peu plus loin au niveau de la rue Bir El Hjar où des centres et des clubs culturels sont quasiment déserts et tournent au ralenti malgré la richesse historique et culturelle des lieux. Le centre culturel de la place, géré par le célèbre humoriste Ikram Azzouz, est chargé d’histoire pour avoir été tour à tour une école coranique, une galerie d’arts et avoir abrité toutes sortes d’activités culturelles. «Le centre fermera ses portes au public car il a été racheté par un entrepreneur pour rouvrir dans une année afin de devenir un centre culturel international» . Prometteur mais l’amère réalité vous rattrape au détour de la place. Le club Tahar Haddad qui expose des tableaux en acrylique sur toile dont le prix varie entre 1.250 et 7.000 dinars se fait dans un lieu tristement désert ce matin malgré la valeur des peintures. C’est que le secteur de la culture est également frappé par la crise post-révolution avec la fermeture toute récente d’un club à La Goulette. Pourtant, un employé disponible et courtois s’active pour la préparation d’une séance dans la salle attenante avec force tables et micros. En revenant du côté de la rue du Pacha, connue pour ses maisons d’hôtes, une petite échoppe surgit au détour d’une ruelle pavée, vendant des fanions et drapeaux du monde entier. Celle-ci suscite la curiosité des visiteurs de passage qui y jettent un bref coup d’oeil avant de poursuivre leur route. Le propriétaire, dénommé Samir, raconte : «Mon activité est quasiment à l’arrêt, hormis quelques clients traditionnels ou officiels, c’est la galère ! Peu de gens consentent à payer pour s’offrir le drapeau aux couleurs de la nation !» . Au détour d’une passerelle, on se retrouve dans la rue Sabbaghine, lieu de travail des artisans du cuivre martelé pour le martelage et le nickelage. Une rencontre improvisée avec Mohamed Sahbi, maître artisan, vient aiguiser notre curiosité pour nous informer comment ils font pour s’en sortir au quotidien face à la cherté de cette matière première pourtant produite localement mais «sous contrôle d’une mafia à l’appétit vorace» , entendra-t-on ailleurs.
Système D face à la crise de l’artisanat
La pièce est exiguë et les murs couverts de moisissures. Le sol tout noir est jonché de cailloux et de pierres. Planqués contre le mur adjacent : un amas de tubes —on en dénombre une trentaine— récupérés ça et là. Un tube néon éclaire et rajoute une touche de lumière aux rayons de soleil qui caressent timidement les murs de l’atelier de travail. Indifférent au vacarme de la machine de polissage, le confectionneur réalise une forme différente sur chaque pièce pour personnaliser les tubes de narguilés. «Chaque tube emballé se vend à 28 dinars la pièce tandis que le verre n’a qu’une faible valeur marchande. Cela rapporte» . Il manie l’art du positivisme avec brio étant donné qu’il a trouvé une recette géniale face au coût élevé du cuivre. Il s’agit de récupérer des éléments défectueux en cuivre, principalement pour les narguilés et les retaper à neuf afin de les revendre et générer de la plus-value. «J’achète un lot de tubes de narguilés à 5 dinars l’unité pour les revendre parfois à 60 dinars l’unité après un processus assez laborieux».
Un art intact
Dans une autre pièce, on est marqué par la dextérité artisane de Hamadi, au visage buriné par le soleil, qui réalise de jolis motifs composés de fleurs et de feuilles. Fidèle aux traditions, il travaille de manière artisanale et frappe à coups de marteau le moule du narguilé ce qui fait dire à son chef Mohamed : «Selon le procédé de travail, il produit un effet de brillance, mat ou de sablage, il en fait pratiquement 100 pièces en 8h00 à raison d’une douzaine en une heure». Dans l’atelier adjacent, il raconte le processus de réhabilitation du cuivre qui passe dans un bain pour le lavage afin d’obtenir un maximum de brillance avant de transiter sur les plaques pour le nickelage, ce qui donne une couleur grise au cuivre de couleur rouge ou jaune. Aux dernières nouvelles, la Chine et la Belgique ont décidé de choisir de nouveau la Tunisie comme destination touristique, ce qui augure d’une embellie. La résistance des artisans est réellement justifiée. Qui vivra verra.