Double langage
FACE à l’ampleur prise ces derniers temps par les contestations sociales, les revendications, les manifestations, les blocages de routes, on attendait des réponses de la part du chef du gouvernement lors de son interview de dimanche dernier. Ont-elles été satisfaisantes ? Youssef Chahed a traité de plusieurs sujets. On retiendra ce qui se rapporte à la situation générale du pays. Il a, d’abord, considéré que «les contestations sociales dans les régions sont légitimes; ces revendications interviennent suite à la non-satisfaction d’anciennes promesses qui n’ont pas été tenues, étant donné qu’elles sont au-dessus des moyens de l’Etat». D’où un certain manque de confiance. Et Chahed se promet de rétablir cette confiance et affirme que «le gouvernement d’union nationale est en train de rompre avec la politique des promesses non tenues et se focalisera sur des plans et projets de développement réalisables». Pour lui, «faire face à cette situation socioéconomique difficile n’est pas uniquement la responsabilité du gouvernement, mais aussi celle de tous les partis politiques, les organisations nationales et la société civile». Puis, histoire d’insuffler de l’optimisme, il appelle les Tunisiens à arrêter «l’autoflagellation ambiante, qui nous empêche d’avancer», et affirme que « la relance est là, avec la reprise du tourisme, du phosphate et des exportations». A-t-il été entendu, particulièrement, par ses partenaires au gouvernement et les signataires du «Document de Carthage» ? Rien n’est moins sûr.
Mongi Harbaoui, député à l’ARP pour le parti Nida Tounès, estime que le chef du gouvernement «a été très convaincant et a fait preuve d’une grande dose de véracité et de transparence». Pour lui, en disant « la vérité au peuple sur les difficultés de la conjoncture, Youssef Chahed permet de conscientiser le peuple tunisien sur la nécessité de consentir des efforts collectifs en vue de parvenir à des solutions communes». Est-ce là un avis personnel ou celui de son parti ?
Ennahdha ne donne pas l’impression d’avoir entendu l’appel de Chahed. Dans un communiqué, le mouvement «réitère sa compréhension pour ces protestations» mais «appelle les citoyens à préserver cet acquis à travers le respect de la loi et les activités de l’institution publique». Et «nous incitons le gouvernement à réagir d’une manière positive concernant les revendications des protestataires, ce qui permettra de trouver des solutions concrètes». Chahed venait de dire qu’il ne dispose pas de «baguette magique» et que les ressources de l’Etat sont limitées. Est-ce la meilleure façon de soutenir le gouvernement dont les islamistes font partie ? Les partis politiques, ceux qui sont au pouvoir, comme ceux qui aspirent à y accéder, poursuivent chacun son propre agenda et ignorent les besoins des citoyens, ne se préoccupant que de populisme et des prochaines échéances électorales.
Du côté des organisations signataires du Pacte de Carthage, Wided Bouchamaoui, présidente de l’Utica, a réaffirmé «l’engagement de l’organisation et des chefs d’entreprise à consolider leur rôle dans l’investissement et la création d’emplois pour soutenir les efforts du gouvernement, le patronat est confiant quant à la capacité du pays à vaincre les difficultés grâce à la conjugaison des efforts de tous et au triomphe de la culture du travail et du respect de l’application de la loi». Voilà qui est clair et constructif. De son côté, l’Ugtt confirme son soutien «à tous les mouvements sociaux et à leurs revendications légitimes pour l’emploi et le développement». Le communiqué «appelle le gouvernement à engager rapidement un dialogue sincère avec les contestataires et anticiper leurs réactions pour ne pas se limiter à éteindre les incendies et à faire des promesses sans lendemain». Il «met en garde contre les tentatives de récupération politicienne de ces protestations par des parties qui cherchent à instaurer l’anarchie».
Rappelons simplement qu’il y a quelques jours, le secrétaire général de la centrale syndicale parlait de «ces bandes de contrebandiers qui ont mis à profit l’absence de l’Etat dans ces régions pour se substituer à lui. Il n’est pas exclu qu’ils soient derrière cette contestation». Lundi dernier, à Jelma (gouvernorat de Sidi Bouzid), un contrebandier a brûlé des pneus, bloquant la route reliant Tunis et Gafsa, pour protester contre la saisie de sa marchandise.
Sont-ce là les contestations «légitimes» que certains soutiennent ?