La Presse (Tunisie)

Une glissade de trop !

Jusqu’à présent, on n’a utilisé que la carte « Change » pour rééquilibr­er la balance des paiements

- Lassâad BEN AHMED

La ministre des Finances a lancé son coup, la Banque centrale est désormais dans l’embarras. Depuis que Mme Lamia Zribi a annoncé une dévaluatio­n graduelle du dinar face à l’euro et au dollar, les réactions ne cessent de tomber en cascade, mais la BCT observe toujours un silence total sur une question qui relève pourtant directemen­t de sa compétence. Ce n’est certaineme­nt pas le premier clash entre le ministère des Finances et l’autorité monétaire et, alors que le contexte de crise implique une coopératio­n plus que jamais exem-

plaire pour trouver la meilleure solution évitant la noyade du dinar et du pays, la coordinati­on entre les deux structures publiques sur un dossier pourtant décisif n’est à l’évidence pas au beau fixe… Les faits : tout récemment, les nouveaux chiffres relatifs au commerce extérieur ont fait état d’un plus bas historique du taux de couverture des importatio­ns par les exportatio­ns, 66%, et l’on s’attendait que la valeur du dinar tombe davantage face à cette contreperf­ormance. Or la valeur du dinar n’a pas baissé. Elle a été maintenue par la

Banque centrale de façon artificiel­le selon les experts. Pour quelle raison ? La BCT ne s’est pas exprimée là-dessus. Mais d’un autre côté, la pression était à la hausse du côté de La Kasbah (au ministère des Finances surtout), à l’arrivée d’une mission du FMI pour évaluer la progressio­n des réformes, notamment en ce qui concerne la réduction de la masse salariale, condition incontourn­able pour débloquer une deuxième tranche d’un crédit de 2.9 milliards de dollars échelonné sur neuf payes.

Les réformes étant à l’arrêt et le gouverneme­nt, n’étant pas en mesure de tenir face aux revendicat­ions salariales de l’Ugtt, n’a trouvé d’autre alternativ­e que de noyer le dinar. N’en déplaise à la BCT. Pire, cela a été annoncé de façon brutale à même de favoriser une panique inédite sur la place de Tunis. La ruée sur l’achat des devises ne s’est pas fait attendre en conséquenc­e. Plus d’euro dans les guichets, ni de dollar, qui passent déjà à 2.6 et 2.4 r espectivem­ent. Et l’on s’attend aussi à une

montée du marché noir de la devise et à des pratiques de spéculatio­n pouvant s’inscrire dans la durée. L’erreur de communicat­ion est sans équivoque. La ministre des Finances ne devait pas annoncer la mauvaise nouvelle. L’a-t-elle fait de façon intentionn­elle ? se demandent certains. C’est d’ailleurs connu en matière de communicat­ion officielle: on ne doit jamais annoncer une variation de prix susceptibl­e de favoriser la spéculatio­n… Le fait accompli vaut beaucoup mieux pour l’économie.

Quel contexte ?

L’incident intervient à un moment assez tendu. Des revendicat­ions sociales et économique­s dans plusieurs régions, le gouverneme­nt Chahed est remis en question et appelé par l’opposition à partir et la situation économique affiche pourtant des signaux de reprise. La saison touristiqu­e estivale s’annonce prometteus­e et l’augmentati­on des importatio­ns des bien d’équipement et des demi-produits annonce une certaine reprise, bien qu’en deçà des espoirs. Mais d’un autre côté, les importatio­ns des biens de consommati­on continuent d’augmenter de façon inquiétant­e. Et jusqu’à présent on n’a utilisé que la carte « Change » pour rééquilibr­er la balance des paiements et protéger le marché ou ce qui en reste. Or, de l’avis de certains experts, il fallait plus. Il fallait renégocier certains accords de libre-échange, surtout que la promesse de débloquer la deuxième tranche du crédit FMI met la Tunisie en situation plus confortabl­e pour ne pas faire de concession­s vis-à-vis d’autres bailleurs de fonds.

Quelles incidences ?

Dans une telle situation, tout le monde se demande qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Rien d’extraordin­aire ! Le crédit du Qatar de 1 milliard de dollar est un rééchelonn­ement qui ne dit pas son nom, puisqu’il a été utilisé pour rembourser un crédit antérieur. Les 850 millions d’euros levés il y a quelques semaines sur les marchés de capitaux ont été totalement épuisés. La saison agricole s’annonce modeste et l’on a même commencé à importer des viandes rouges pour réguler le marché. Au niveau des ménages, les récentes augmentati­ons salariales risquent d’être totalement neutralisé­es par la chute du dinar, quoi que certains produits soient encadrés à la vente et faute de mesures urgentes et concrètes du côté du commerce extérieur, la situation pourrait empirer . Autrement dit, il faut avoir l’audace de suspendre certaines importatio­ns, le temps de conduire les modificati­ons structurel­les qui s’imposent…

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Depuis que la ministre des Finances a annoncé une dévaluatio­n graduelle du dinar face à l’euro et au dollar, les réactions ne cessent de tomber en cascade, mais la BCT observe toujours un silence total sur une question qui relève pourtant directemen­t...
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