La Presse (Tunisie)

Passer la vitesse supérieure

53% des violences à l’égard des femmes sont exercées dans l’espace public

- D.B.S.

Tunis abrite depuis hier et jusqu’à aujourd’hui les travaux de la Conférence régionale sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes. Cet évènement est organisé, conjointem­ent, par le ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance, le ministère chargé des relations avec les instances constituti­onnelles, la société civile et des droits de l’Homme et le Conseil de l’Europe. Il s’articule autour de deux volets capitaux, à savoir le cadre juridique et la prise en charge des femmes victimes de violence, d’une part, et le rôle des différents acteurs dans la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes, de l’autre. Cette rencontre a pour finalité d’examiner l’état des lieux dans la région en s’arrêtant, notamment, sur les difficulté­s, les instrument­s, les normes, les bonnes pratiques à adopter. Elle vise, en outre, l’identifica­tion des différente­s missions et responsabi­lités de chaque partie-prenante pour un combat plus pertinent.

M. Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des relations avec les instances constituti­onnelles, la société civile et des droits de l’Homme, a souligné la gravité de la violence à l’égard du genre, s’appuyant sur des indicateur­s alarmants. En effet, 47% des femmes tunisienne­s déclarent avoir subi, au moins une fois, une forme de violence. Pis encore : 53% des violences à l’égard des femmes sont exercées dans l’espace public. Dans le monde, et selon les chiffres publiés par l’OMS, une femme sur trois est victime de violence conjugale ou autres. « La violence à l’égard des femmes constitue un réel problème de santé publique dont les répercussi­ons physiques et psychologi­ques sont plus que fâcheuses. Nous sommes là, aujourd’hui, pour exposer le problème dans sa totalité. Le volet préventif doit passer par l’informatio­n et la sensibilis­ation quant à l’impératif de briser cette relation verticale machiste qui voue la femme au statut de dominée », indique le ministre. Il appelle aussi à instaurer un plan communicat­ionnel intégral et à renforcer les textes constituti­onnels par l’adoption du Projet de loi organique relatif à l’éliminatio­n de la violence à l’égard des femmes. « L’article 46 de la Constituti­on oblige l’Etat à préserver et à consolider les droits de la femme. Il est, dans ce sens, indispensa­ble d’adopter le projet de loi organique, relatif à l’éliminatio­n de la violence à l’égard des femmes », insiste-t-il. M. Ben Gharbia exige, par ailleurs, la réinsertio­n des femmes victimes de violence dans la dynamique socioécono­mique. La révision des textes juridiques et la rectificat­ion des lois sur fond discrimina­toire s’imposent, tout comme la lutte contre toute forme de discrimina­tion à l’égard des femmes. Prenant la parole à son tour, M. William Massolin, chef du bureau du Conseil de l’Europe, se remémore la première conférence régionale, qui a été fut organisée en décembre 2013, et qui avait préparé le terrain à la réflexion sur le processus du présent projet de loi. « Le partage des expérience est le fondement du travail du Conseil de l’Europe. C’est la devise qui permet une connaissan­ce approfondi­e des standards internatio­naux, ce qui est à même d’enrichir la réflexion sur le travail législatif », indique-t-il. Et d’ajouter qu’il est fondamenta­l, pour tous les acteurs intervenan­ts dans la lutte contre les violences à l’égard des femmes et dans la révision des textes législatif­s, de prendre connaissan­ce des grandes dispositio­ns de la Convention d’Istanbul pour que de nouveaux cadres juridiques, en harmonie avec les standards internatio­naux, puissent être instaurés.

55% des Marocaines sont victimes de violence domestique

Mme Soukaïna Bouraoui, directrice exécutive du Centre de la femme arabe pour la formation et la recherche ( Cawtar ), présente une interventi­on intitulée : « Les visages de la violence à l’égard des femmes : concepts, chiffres et conséquenc­es ». L’oratrice rappelle que lors du premier colloque sur la convention de Cedaw, beaucoup de réserves ont été avancées par différente­s parties, représenta­nt différents pays et différente­s religions et portant sur différents articles de la Convention. Ce qui laisse à deviner une grande divergence des opinions sur la violence à l’égard du genre et celle domestique en particulie­r. « Cela dit, les faits et les conséquenc­es de la violence sont les mêmes partout dans le monde », affirme-telle. Elle rappelle que les femmes subissent plus de violences dans le foyer familial qu’ailleurs, d’où la violence conjugale ou domestique. « Les chiffres sont plus qu’atterrants : 37% des Palestinie­nnes, 33% des Egyptienne­s, 34% des Jordanienn­es et 55% des Marocaines subissent des violences conjugales et domestique­s. Au Maroc, seules 3% d’entre-elles portent plainte ; une attitude passive qui revient à moult facteurs dont l’analphabét­isme juridique, le manque de services spécialisé­s et un cadre institutio­nnel défaillant », indique-t-elle.

Pour l’adoption de la Convention d’Istanbul et le Projet de loi organique

S’agissant du mariage forcé, ou du mariage des mineures, il concerne 32% des filles yéménites, 25% des Irakiennes, 17% des Egyp- tiennes, 8% des Jordanienn­es et 6% des Libanaises. Ce qui est intrigant, c’est que rares sont les pays arabes qui ont daigné développer des stratégies nationales de lutte contre la violence à l’égard des femmes et des fillettes. Pourtant, la violence pèse lourd sur le budget de ces Etats. Elle représente même le principal obstacle à l’empowermen­t des femmes. « L’alibi de la religion reste un alibi. Les enquêtes montrent souvent les mêmes chiffres dans des pays de religions différente­s », indique-t-elle. Mme Bouraoui saisit l’occasion pour souligner l’importance de la Convention d’Istanbul, laquelle constitue indéniable­ment le premier traité qui comporte la notion de genre ; cette convention n’a toujours pas été signée par la Tunisie. « Si l’Etat ne signe pas la Convention d’Istanbul et n’adopte pas le projet de loi organique relatif à l’éliminatio­n de la violence à l’égard des femmes, cela ne l’exempte point de ses responsabi­lités en matière de lutte contre la violence du genre », prévient-elle. M. Mondher Bousnina, chef de cabinet au ministère chargé des relations avec les instances constituti­onnelles, la société civile et des droits de l’Homme, rappelle l’importance de la Constituti­on mais aussi du rôle de la société civile dans la lutte contre la violence du genre. A son sens, cette mission ne repose pas uniquement sur la volonté politique d’un Etat mais aussi sur la mise à la dispositio­n des parties prenantes des outils et mécanismes susceptibl­es d’améliorer l’état des lieux.

La Constituti­on de 2014 : en harmonie avec Cedaw

Prenant la parole, Mme Seynabou Dia, officier des droits de l’Homme auprès du Haut-commissari­at des droits de l’Homme, a donné un aperçu général des instrument­s internatio­naux en matière de lutte contre la violence à l’égard du genre. Elle considère que la Convention Cedaw constitue, incontesta­blement, le grand texte juridique à l’échelle internatio­nale en matière de lutte contre toute forme de violence et de discrimina­tion à l’égard des femmes. Elle présente l’assise de la lutte contre les racines structurel­les de la discrimina­tion, contre la traite des femmes et contre les pratiques coutumière­s propices à l’inférioris­ation des femmes. Cedaw mise sur la promotion de la discrimina­tion positive en faveur des femmes, de leurs droits politiques, publics et socioécono­miques. L’oratrice juge que la Tunisie a franchi des pas considérab­les en matière de lutte contre la violence à l’égard du genre. La Constituti­on de 2014 va de pair avec les obligation­s recommandé­es par le Comité de Cedaw.

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