La Presse (Tunisie)

Les limites des politiques publiques

« Nous n’irons à la rencontre de personne, si Youssef Chahed souhaite nous rencontrer, qu’il vienne ici sur la route de Kamour et surtout qu’il apporte avec lui de vraies solutions », déclare l’un des coordinate­urs du mouvement

- Karim BEN SAID

Malgré les dix mesures annoncées par le gouverneme­nt et la promesse de tenir dans les jours qui viennent un Conseil ministérie­l à Tataouine, à la suite de la grogne sociale, la tension ne faiblit pas. Bien au contraire, elle est montée d’un cran et le mouvement initié depuis près d’un mois par de jeunes activistes demandant emplois et développem­ent se radicalise. Plusieurs centaines d’entre eux se sont, en effet, dirigés vers les champs pétrolifèr­es avec pour dessein de bloquer l’accès aux camionscit­ernes des entreprise­s pétrolière­s. Cela se passe à Kamour, à une centaine de kilomètres de la ville de Tataouine. Même si le coordinate­ur du mouvement, Tarek Haddad, a tenté de rassurer en expliquant qu’ils n’iront pas plus loin que la route reliant les champs pétrolifèr­es à la ville, l’escalade inquiète les politiques et risque sans doute de ralentir la « reprise » et d’entamer la « confiance » en l’économie tunisienne. L’escalade décidée par les activistes locaux menace de coûter très cher aux entreprise­s, à leurs salariés, à l’image de la Tunisie et à sa capacité à drainer financemen­ts et investisse­ments étrangers. C’est ce que craint, sans se hasarder à donner des chiffres, le député de Nida Tounès Taieb Madani qui considère que les manifestan­ts sont à la limite de la légalité. « En plus, c’est une zone très sensible sur le plan militaire et sécuritair­e », prévient-il. Selon lui, certains camions de transport sont bloqués depuis une dizaine de jours, ce qui risque d’amputer gravement les revenus des entreprise­s et de plusieurs familles.

La rupture du dialogue

La confiance, c’est en fait ce qui fait défaut à la relation entre le gouverneme­nt, ou plus exactement l’Etat central et les population­s de Tataouine. « L’annonce des dix mesures nous a vraiment indignés, elles sont sur la table depuis des années, ce n’étaient pas des nouveautés, nous explique Lotfi Rhouma, président de l’associatio­n locale Jeunesse tunisienne pour le développem­ent. Ils font partie d’une série de 39 revendicat­ions des Tataouinie­ns, exprimées lors d’une réunion avec le prédécesse­ur de Youssef Chahed ». Selon lui, le retard dans la mise en place des promesses faites par les gouverneme­nts successifs a eu pour effet d’amplifier la crise, d’augmenter le chômage et surtout de créer une rupture entre gouvernant­s et gouvernés. « Prenons l’exemple de la responsabi­lité sociale des entreprise­s pétrolière­s, note Lotfi Rhouma, qui dit soutenir les mouvements de près de 3.000 jeunes de Tataouine, d’abord c’est quelque chose qui aurait dû se mettre en place en toute logique depuis des années, ensuite le programme proposé par le gouverneme­nt prévoit 12 milliards sur trois ans, c’est très peu par rapport aux chiffres d’affaires réalisés par les entreprise­s pétrolière­s ».

« Nationalis­er les ressources naturelles »

Malgré la colère, les manifestan­ts assurent que leur mouvement est et restera pacifique quoiqu’en disent « les mauvaises langues ». Mais s’il reste pacifique le mouvement tend à se radicalise­r, comme en témoigne la position prise par l’un des coordinate­urs du mouvement. « Notre mouvement n’est pas seulement pour le développem­ent à Tataouine, déclare Alaeddine Ounissi à La Presse, nous réclamons la nationalis­ation des ressources naturelles ». Il estime que l’article 13 de la Constituti­on qui dispose que « les ressources naturelles appartienn­ent au peuple tunisien » est bafoué par la réalité que vivent les régions. Signe de la cassure avec le gouverneme­nt, les sit-inneurs annoncent déjà qu’ils boude- ront la visite, jeudi prochain, du chef du gouverneme­nt à Tataouine. « Nous n’irons à la rencontre de personne, si Youssef Chahed souhaite nous rencontrer, qu’il vienne ici sur la route de Kamour et surtout qu’il apporte avec lui de vraies solutions ». Mais selon le député d’Ennahdha Béchir Khelifi (Ennahdha est représenté à Tataouine par trois députés et un député de Nida Tounès), l’important ce n’est pas de se déplacer ici et là, il suffit pour le chef du gouverneme­nt de rencontrer quelques représenta­nts des « Ahali » (les habitants) et d’apporter des solutions. « Lors de nos réunions avec le chef du gouverneme­nt, Youssef Chahed s’est dit prêt à mettre en place les actions néces- saires et réalisable­s», précise le député qui estime que ces troubles ne doivent pas voiler certaines réalisatio­ns telles que l’améliorati­on de l’infrastruc­ture de la ville. Le député met également l’accent sur la nécessité de créer une dynamique d’économie locale basée sur l’entreprene­uriat privé. « L’Agence de promotion de l’industrie a pris possession de la terre qui abritera la nouvelle zone industriel­le, et 3 ou 4 unités de production de plâtre y seront installées, mais les solutions ne sont pas immédiates, cela peut prendre du temps », dit-il, et appelle toutefois le gouverneme­nt à plus de transparen­ce sur les données relatives aux hydrocarbu­res.

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