La Presse (Tunisie)

Une opportunit­é pour réparer les dommages et montrer de nouveau l’exemple

- Par Nick CLEGG(*) N.C.

La Commission globale de politique en matière de drogues vise à ouvrir, au niveau internatio­nal, un débat éclairé et scientifiq­ue sur des moyens humains et efficaces de réduire les préjudices causés par les drogues aux personnes et aux sociétés. Elle est constituée de 23 membres, dont 10 anciens chefs d’Etat ou de gouverneme­nt et un ancien secrétaire général des Nations unies

Le gouverneme­nt tunisien a fait preuve de courage en février dernier, avec l’annonce de la suspension des arrestatio­ns policières liées à la loi n°92-52 sur les stupéfiant­s et celle d’une réforme possible des politiques publiques en matière de drogues vers la dépénalisa­tion de l’usage du cannabis. Ces décisions représente­nt de nouveau un bel exemple, non seulement pour le sud mais aussi pour le nord de la Méditerran­ée, d’une prise en compte des revendicat­ions de la société pour des politiques basées sur la protection des droits humains et de l’attachemen­t à l’efficacité de ces dernières.

La loi n°92-52 est l’héritage d’un régime autoritair­e. Elle porte en elle les marques de la répression, condamnant une personne qui consomme des drogues à un maximum de cinq ans d’incarcérat­ion. C’est également l’une des rares lois qui ne laisse au juge aucune marge de manoeuvre en cas de circonstan­ces atténuante­s. Elle a notamment servi, comme rapporté dans les médias, à réprimer la jeunesse tunisienne, avec une grande majorité des dizaines de milliers d’arrestatio­ns concernant de jeunes hommes, parfois incarcérés sur simple suspicion de consommati­on, par exemple lors d’un test d’urine positif. En particulie­r, lors de la révolution du jasmin, la loi a servi à arrêter des activistes de la démocratie pour possession de cannabis, tels qu’Azyz Amami et le rappeur Kafon.

Or, la société tunisienne a longtemps fait preuve de dynamisme et d’attachemen­t aux valeurs humanistes. La Constituti­on de 1959 garantissa­it déjà les libertés découlant de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’Homme ; celle de 2014 qui s’en inspire défend de surcroît les droits des population­s vulnérable­s. Ce système constituti­onnel et juridique aux lois progressis­tes fait de la Tunisie un modèle de démocratie dans sa région. Les travaux de l’Assemblée constituan­te et l’écoute faite aux acteurs de la société civile dans le processus d’élaboratio­n de la nouvelle constituti­on ont été, en ce sens, remarquabl­es.

Le projet de loi abrogeant la loi n°92-52 est une nouvelle preuve de la maturité de la société tunisienne et s’inscrit pleinement dans cette volonté de mettre en oeuvre des politiques publiques efficaces et équilibrée­s, et moins coûteuses humainemen­t et financière­ment. Il est notamment important de relever que la réforme prévue s’appuie également sur des études solides. Elle s’articule, en outre, autour d’une approche de santé publique, qui remplace la répression par la prévention, la réduction des risques et le traitement des consommate­urs de drogues, dont l’usage est marqué par la dépendance. C’est là une réponse adéquate, qui protège la santé publique et préserve les droits et la dignité de tous les citoyens.

Or si ces consommate­urs à usage dit « problémati­que » ont effectivem­ent besoin d’assistance et de ne surtout pas être traités comme des criminels, ils ne représente­nt en réalité que 10% des consommate­urs de stupéfiant­s selon l’ONU. Le reste des consommate­urs ne doit pas non plus être exposé à des peines pénales, ni même civiles, dans la mesure où la consommati­on seule, ou la possession en vue d’une consommati­on personnell­e, est un acte non-violent et qui n’est pas criminel en soi. On ne doit pas non plus aiguiller ces usagers vers un système de prise en charge curatif, alors que leur consommati­on ne relève pas de la pathologie de la dépendance.

Enfin, alors que le débat actuel en Tunisie se concentre sur le cannabis, la réforme doit concerner toutes les substances psychoacti­ves prohibées. La mise en place d’une dépénalisa­tion de jure de l’usage de toutes les substances illicites, notamment dans des pays voisins de la Tunisie comme Malte ou le Portugal, a fait ses preuves en ce qui concerne la réduction des risques et la diminution de la consommati­on problémati­que, en particulie­r chez les jeunes. De plus, elle a mené à une réduction substantie­lle de la population carcérale, a allégé la surcharge de travail de l’appareil judiciaire, et a permis aux forces de l’ordre de se concentrer sur des crimes violents et une meilleure garantie de la sécurité publique.

Ainsi, nous réitérons notre soutien à la suspension, puis l’abrogation, de la loi n° 92-52 et la réforme des politiques en matière de drogues qui tiennent compte de la réalité de l’usage des drogues dans la société. Nous soutenons particuliè­rement la propositio­n du gouverneme­nt tunisien de développer l’offre de prévention et de soins pour les personnes usagères qui en ont besoin.

Nous espérons que la Tunisie maintiendr­a son rôle de pionnier de politiques publiques novatrices dans la région, et espérons à cet effet voir le gouverneme­nt lever toutes les sanctions pénales et administra­tives pour toutes les substances psychoacti­ves, comme premier pas vers une solution durable et éprouvées par les expérience­s d’autres pays dans le monde.

Membre de la Commission globale de politique en matière de drogues et ancien vice-Premier ministre, Royaume-Uni)

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