La Presse (Tunisie)

Affronteme­nt de deux approches

Depuis 2016, la caisse des prêts et de soutien aux collectivi­tés locales préconise une nouvelle approche estimée plus globale que l’expérience du budget participat­if des municipali­tés

- Karim BEN SAID

Eclairage public fonctionna­nt à l’énergie solaire ou encore poteaux d’éclairage ne gênant pas la mobilité des citoyens : ce ne sont pas là des idées d’experts ou de promesses d’hommes politiques, mais bien de projets décidés par des citoyens dans le cadre de la démocratie participat­ive, caractéris­tique de la IIe république. Mais depuis quelque temps, un conflit oppose deux visions différente­s de la participat­ion citoyenne. Tandis qu’une bonne partie de la société civile travaille depuis 2013 sur un budget participat­if dans les communes sur une partie seulement des projets, la caisse des prêts et de soutien aux collectivi­tés locales désapprouv­e la démarche et appelle à l’applicatio­n de son Plan d’investisse­ment annuel participat­if (Piap). En fait, ces deux démarches en appellent au citoyen pour choisir les projets de sa commune, mais dans le premier cas, seule une partie du budget est ouverte au public. « Ce sont les projets de proximité qui concernent l’ensemble des citoyens », nous explique Kouraich Jaouahdou, président de l’associatio­n Action associativ­e. Mais depuis 2016, la caisse des prêts et de soutien aux collectivi­tés locales préconise une nou- velle approche, qu’elle estime plus globale. « Depuis 2016, nous appliquons le Piap pour 264 communes, avec un taux de réussite de 95%, note fièrement Sami Mekki, directeur général de la Caisse des prêts et de soutien aux collectivi­tés locales. Notre démarche est plus globale du fait qu’elle est beaucoup plus respectueu­se de l’article 139 de la Constituti­on. Nous estimons en effet que l’ensemble des projets communaux du titre 2 doivent être soumis aux citoyens ». Il explique entre autres que le budget participat­if appliqué par une douzaine de communes n’est que de la poudre aux yeux puisqu’il ne concerne qu’une infime partie du budget. « A Gabès par exemple, sur un budget d’à peu près 3 millions de dinars, seuls 200.000 dinars entrent dans le cadre du budget participat­if. Or, c’est très peu », estime Sami Mekki.

Sous peine d’être privés de financemen­t

De son côté, le président de l’associatio­n Action associativ­e défend le bilan de l’expérience et explique la faiblesse du budget participat­if par le fait qu’un citoyen lambda ne peut pas avoir une expertise dans tous les domaines et que certains projets doivent être entérinés par des experts ou la société civile spécialisé­e. « Dans l’une des communes, nous avions au départ prévu un budget de 250 mille dinars pour la rénovation des camions des éboueurs, nous dit-il. Mais parce que des citoyens avaient des problèmes d’éclairages, ils ont décidé d’allouer ce budget à l’éclairage public. Résultat des courses ? Une année sans ramassage d’ordures ». Selon Kouraich Jaouahdou, il ne s’agit pourtant pas d’exclure les citoyens pour le reste des investisse­ments. « Nous avons d’autres mécanismes de participat­ion citoyenne via les experts et les représenta­nts de la société civile que le Piap ne prend pas du tout en compte. « Faux », répond le directeur général de la Caisse des prêts et de soutien des collectivi­tés locales, qui assure que le plan annuel d’investisse­ment participat­if est élaboré en étroite collaborat­ion avec la société civile. Ce conflit entre deux conception­s de la participat­ion citoyenne s’est amplifié lorsqu’une note de la Caisse des prêts et de soutien des collectivi­tés locales a clairement stipulé que, désormais, « l’adoption du budget participat­if ne permettra pas aux municipali­tés d’obtenir les aides de la caisse inscrites dans le Programme de développem­ent urbain et de gouvernanc­e locale (Pdugl)». Ainsi, ils somment l’ensemble des municipali­tés à appliquer le Programme annuel d’investisse­ment, sous peine d’être privées de financemen­t. Le président d’Action associativ­e réagit et considère que la démarche est contraire au principe de libre administra­tion des collectivi­tés publiques. Au passage, il ne manque pas de critiquer le PAI, instrument qu’il qualifie de « pondu ». « Il faut remplacer le PAI par le Budget participat­if, car ce dernier permet réellement de contribuer à l’affirmatio­n de la confiance entre citoyens et municipali­tés et permet de lutter de manière efficace contre la corruption, alors que le PAI est techniquem­ent défaillant. Dans tous les cas il faut que la Caisse laisse les municipali­tés libres d’adopter le Budget participat­if d’autant plus qu’elles pourront toujours satisfaire les exigences de la Caisse en matière de conditions minimales pour obtenir les soutiens financiers », écrit-il, notamment dans une tribune au Huffington Post.

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia