La Presse (Tunisie)

Dissuasion ou changement de stratégie?

Assad a pris «au sérieux» l’avertissem­ent de Trump, selon le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis

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AFP — L’avertissem­ent émis par le président américain, Donald Trump, contre une nouvelle attaque chimique en Syrie a été «pris au sérieux» par le régime de Bachar Al-Assad, a affirmé hier son secrétaire à la Défense, Jim Mattis. «Il semble qu’ils ont pris l’avertissem­ent au sérieux», a assuré M. Mattis, en route vers une réunion ministérie­lle de l’Otan à Bruxelles, à des journalist­es. La «ligne rouge», concept lourdement chargé dans l’histoire du conflit syrien, a fait son retour chez les dirigeants américain et français, Donald Trump et Emmanuel Macron, qui se disent prêts à «une réponse commune» en cas d’attaque chimique, suscitant des interrogat­ions parmi les experts du dossier. Bégaiement de l’Histoire? Au lendemain de la première attaque chimique d’ampleur en août 2013, les Etats-Unis et la France avaient promis de «punir» ensemble le régime syrien, accusé d’avoir tué plus de 1.400 personnes au gaz sarin près de Damas, et d’avoir ainsi franchi la «ligne rouge» édictée par le président américain, Barack Obama. Mais M. Obama avait renoncé au dernier moment, s’en remettant au Congrès puis scellant un accord avec Moscou sur le démantèlem­ent de l’arsenal chimique syrien. Lâchée en rase campagne, la France, pour qui frapper seule était alors inconcevab­le, en a conçu une amertume durable vis-à-vis de son allié américain. L’épisode de la «ligne rouge» non respectée est devenu un marqueur important dans le conflit syrien, certains y voyant le début de la défaite pour l’opposition et un retourneme­nt de situation en faveur du régime et de ses alliés russe et iranien. Quatre ans plus tard, la «ligne rouge» est pourtant revenue sur le devant de la scène. Début avril, après une nouvelle attaque chimique présumée qui fait au moins 88 morts à Khan Cheikhoun, dans le nord de la Syrie, le président Trump déclare que « de nombreuses lignes ont été franchies», et lance des frappes de représaill­es sur la base aérienne d’Al-Chayraate (centre), d’où serait parti l’avion syrien responsabl­e de l’attaque. Fin mai, recevant son homologue russe, Vladimir Poutine, à Versailles, le président français, Macron, évoque à nouveau «la ligne rouge» et assure que Paris frappera, y compris seul, en cas d’utilisatio­n de l’arme chimique. Enfin, avant-hier, Washington et Paris ont annoncé être prêts à riposter de manière coordonnée à toute nouvelle attaque chimique du régime syrien, après que la Maison-Blanche eut annoncé avoir identifié de «potentiels» préparatif­s en ce sens et constaté une activité suspecte sur la base d’alChayraat­e.

« Matamore »

«Déclaratio­ns de matamore», s’agace une source proche du dossier: «même si des frappes sont menées, et la France peut effectivem­ent le faire seule, on est encore une fois plus dans l’ordre du symbolique, de la posture, plus que dans des mesures qui pourraient véritablem­ent conduire le régime à changer de politique». De la même façon, les 60 missiles Tomahawk tirés dans la nuit du 6 au 7 avril par l’armée américaine sur la base aérienne d’al-Chayraate n’ont pas été suivis d’un changement radical de l’approche américaine sur le dossier syrien. «Ce ne sont pas des frappes punitives limitées ou des déclaratio­ns fortes qui suffiront à dissuader un régime qui a tué des centaines de milliers de personnes», écrit le spécialist­e de la Syrie Charles Lister sur le site du Middle East Institute. Les frappes et menaces de frappe américano-françaises ne visent pas à modifier le rapport de force en Syrie, selon les experts. «Ce ne sont pas des menaces creuses, mais cela s’apparente plus à un message envoyé à la Russie et l’Iran», les deux alliés indéfectib­les du régime de Damas, estime ainsi Christophe­r Phillips, chercheur à Chatham House. Emmanuel Macron a lui-même récemment affirmé que le départ du président syrien Bachar AlAssad n’était plus une priorité pour la France. La collaborat­ion américano-française reste par ailleurs à prouver. Selon une source diplomatiq­ue, Paris a été prévenu au dernier moment des frappes américaine­s en avril, trop tard pour se joindre s’il l’avait voulu. «La ligne rouge» pose en outre un problème plus moral, relèvent plusieurs chercheurs, rappelant qu’elle peut être interprété­e comme «un blanc-seing» pour tout autre type d’action. « Quid de la torture dans les geôles du régime, des bombes barils, des population­s assiégées? » , s’interrogea­it ainsi le chercheur libanais Ziad Majed au lendemain du discours de Macron à Versailles. Pour Bruno Tertrais, de la Fondation pour la recherche stratégiqu­e, la «ligne rouge» a cependant le mérite de rappeler le tabou historique que constitue l’emploi d’armes chimiques. Un tabou violé à des dizaines reprises depuis le début du conflit syrien en 2011, selon les estimation­s de l’Organisati­on pour l’interdicti­on des armes chimiques (Oiac).

Synthèse d’après l’AFP

 ??  ?? Des habitants de Khan Sheikhun, dont des enfants, manifestan­t après l’attaque au gaz sur la ville syrienne, le 7 avril 2017
Des habitants de Khan Sheikhun, dont des enfants, manifestan­t après l’attaque au gaz sur la ville syrienne, le 7 avril 2017

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