La Presse (Tunisie)

Inquiétant­es révélation­s

« Toute persosnne accusée de mauvaise gestion ou de malversati­on doit désormais rendre des comptes », prévient le premier président de la Cour des comptes, Nejib Guetari

- Karim BEN SAID

Avec un budget de misère, disproport­ionné par rapport à ses prérogativ­es, le premier président de la Cour des comptes a reconnu hier l’incapacité de la Cour des comptes à mener sa mission comme il le fallait. Malgré le manque criant d’effectif et de moyens, la Cour des comptes est tout de même parvenue à présenter hier son 30e rapport annuel ( 2010- 2015) dans lequel plusieurs dysfonctio­nnements ont été relevés et portés à la connaissan­ce des trois présidents et de l’opinion publique. « Certains dysfonctio­nnements signalés dans le rapport feront l’objet de procédures judiciaire­s », a prévenu le rapporteur général, Mounir Skouri. Le document de 963 pages a été toutefois résumé pour les médias dans un document plus condensé. Les journalist­es se sont cependant étonnés de l’absence de quelques remarques à propos d’instances telles que l’IVD, mais le premier président de la Cour des comptes, Nejib Guetari, rétorque : « Nous ne travaillon­s pas sur commande, nous programmer­ons peut-être cela pour nos futurs rapports ».

Avec un budget de misère, disproport­ionné par rapport à ses prérogativ­es, le premier président de la Cour des comptes a reconnu hier l’incapacité de la Cour des comptes à mener sa mission comme il le fallait. Malgré le manque criant d’effectif et de moyens, la Cour des comptes est tout de même parvenue à présenter hier son 30e rapport annuel (2010-2015) dans lequel plusieurs dysfonctio­nnements ont été relevés et portés à la connaissan­ce des trois présidents et de l’opinion publique. « Certains dysfonctio­nnements signalés dans le rapport feront l’objet de procédures judiciaire­s », a prévenu le rapporteur général Mounir Skouri. Le document de 963 pages a été toutefois résumé pour les médias dans un document plus condensé. Les journalist­es se sont cependant étonnés de l’absence de quelques remarques à propos d’instances telles que l’IVD, mais le premier président de la Cour des comptes, Nejib Guetari, rétorque : « Nous ne travaillon­s pas sur commande, nous programmer­ons peut-être cela pour nos futurs rapports ». Toujours est-il que le rapport fait état d’« anomalies » qui ont touché des institutio­ns publiques aussi diverses que l’Assemblée nationale constituan­te, l’Assemblée des représenta­nts du peuple, le ministère de l’Education, le ministère de la Jeunesse et des sports, l’Institut national des statistiqu­es, la Société nationale de transport interurbai­n, l’Office national de télédiffus­ion, la Banque de financemen­t des petites et moyennes entreprise­s ou encore le port commercial de Sousse, sans compter les entreprise­s confisquée­s et leur déplorable situation. Dans l’ensemble, la Cour des comptes note une évidente faiblesse de gouvernanc­e, l’absence de contrôle interne et surtout l’incapacité, dans certains cas, de mobiliser les ressources publiques ou même de les exploiter correcteme­nt. Dans certains cas, la Cour des comptes a relevé des entorses aux règles de gestion de l’argent public. Ceux-ci feront évidemment l’objet de poursuites pénales visant les responsabl­es. D’un autre côté, la Cour des comptes dévoile certains chiffres inquiétant­s à l’instar du recul de la part des ressources propres dans le budget de l’Etat à 77,34% en 2014, alors qu’en 2010, la Tunisie pouvait compter sur ses propres moyens à hauteur de 90,41%. Ce qui revient à considérer la dette publique qui représente désormais plus de la moitié du PIB, pour un total de dettes s’élevant à 11.700 millions de dinars. De plus, le rapport constate que le train de vie de l’Etat est intenable, avec des dépenses de gestion qui représente­nt 63,91% du budget, tandis que les dépenses allouées au développem­ent, elles, ne représente­nt que 15,67%.

Recrutemen­t anarchique

Le rapport de la Cour des comptes s’attarde sur un phénomène qui, de l’avis de tous les économiste­s, a causé du tort à l’administra­tion et aux finances publiques : celui du recrutemen­t des bénéficiai­res de l’amnistie générale ou des membres de leurs familles. La Cour des comptes s’intéresse plus particuliè­rement aux recrutemen­ts exceptionn­els aux ministères de l’Education et de la Jeunesse et des Sports. « Ces recrutemen­ts ont engendré des situations administra­tives non conformes aux principes d’équité et d’égalité dans la fonction publique », estime le rapport, qui chiffre à 114 millions de dinars le coût total de ces recrutemen­ts, englobant entre autres les salaires et les participat­ions sociales dues sur les périodes pendant lesquelles les bénéficiai­res de l’amnistie ont été inactifs. Bien que ces recrutemen­ts aient une assise juridique, la Cour des comptes s’inquiète de certaines bizarrerie­s et aberration­s. « Il s’avère que les noms et prénoms des bénéficiai­res du recrutemen­t et inscrits dans le certificat d’amnistie ne correspond­aient pas toujours aux noms et prénoms inscrits sur les cartes d’identité. Cela a été le cas de 16 agents qui ont reçu des salaires jusqu’à la fin de 2015, d’une valeur de 569.000 dinars », peut-on lire dans le rapport. Autrement dit, la Cour des comptes n’est pas certaine de l’identité de ceux qui ont réellement intégré la fonction publique. L’opacité ne s’arrête pas à ce stade. En l’absence d’une liste officielle et définitive des martyrs et blessés de la révolution, la Cour des comptes s’attarde sur le manque de sérieux de la commission chargée d’étudier les demandes de recrutemen­t, qui s’est basée sur une liste comportant entre autres 73 personnes décédées en prison et 36 bébés. « Nous nous sommes également arrêtés sur le recrutemen­t d’un agent sur la base d’un document délivré par la présidence du gouverneme­nt, alors que son nom ne figurait pas dans la liste », souligne le rapport. Au ministère de l’Education et au ministère de la Jeunesse et des Sports, 62 agents auraient été recrutés alors qu’ils ne remplissai­ent pas les critères juridiques. Jusqu’à la fin de 2015, ils ont reçu 1,77 million de dinars au titre de salaires.

Les dépassemen­ts de l’Assemblée

Le travail de contrôle effectué par la Cour des comptes sur la période 2010-2015 a également touché la Constituan­te, qui, durant sa législatur­e, n’a pas toujours été respectueu­se des règles. Ainsi seuls 11% des procès-verbaux des séances plénières ont été publiés au Journal officiel jusqu’en mars 2016. Ces P-V. n’étaient même pas publiés sur le site web de l’Assemblée. La Cour des comptes note également que sur les 121 décrets promulgués pendant la période dite de « vide législatif », 118 restent encore en vigueur alors qu’entretemps, le vide a été comblé. Hormis ces « oublis », le rapport de la Cour des comptes pointe du doigt des dysfonctio­nnements plus profonds liés, cette fois, à une mauvaise gestion. En effet, les enregistre­ments audio des séances plénières ont été assurés par une entreprise privée contre un montant de 118,631 mille dinars, sans aucun contrat. Pire, l’entreprise en question a, de manière unilatéral­e, décidé d’augmenter les tarifs journalier­s à deux reprises. D’un autre côté, les fonctionna­ires du parlement auraient bénéficié, indûment, de plusieurs primes dont le montant s’élèverait à 26,59 mille dinars. Sur ces points, et malgré la possibilit­é qui leur a été offerte par la Cour des comptes, l’Assemblée n’a pas souhaité s’expliquer.

Les biens confisqués en déperditio­n

Si la commission de gestion des biens confisqués donne l’impression de maîtriser la situation, ce n’est pas du tout l’avis de la Cour des comptes qui a constaté que la commission ne dispose pas des informatio­ns actualisée­s à propos des 541 biens immobilier­s, des 142 voitures et des 18 yachts, ce qui en fait, selon le rapport, « une commission incapable de garantir la préservati­on de ces biens et leur exploitati­on à bon escient ». Le rapport révèle par exemple que 17 biens immobilier­s ont été la cible d’actes de vandalisme et que trois villas ont été pillées. D’autre part, plusieurs voitures de luxe confisquée­s et stationnée­s à la caserne d’El Aouina continuent à perdre de la valeur. Mais ce qui prive le plus l’Etat de ressources financière­s, ce sont les entreprise­s confisquée­s. Au nombre de 546, elles vivent pour la plupart des situations financière­s difficiles dues précisémen­t à des « problèmes de gestion ». « La commission nationale de gestion des avoirs et des biens confisqués n’a pas été assez soucieuse de garantir les conditions d’une gestion normale de ces entreprise­s, peut-on lire. Non seulement, elle n’a pas nommé des représenta­nts de l’Etat dans les structures de direction, mais elle n’a pas non plus pris des mesures en ce qui concerne leurs difficulté­s financière­s malgré qu’elle ait été informée par le biais de plusieurs correspond­ances ». Le plus étrange dans cette affaire, c’est que l’Etat, en tant que gestionnai­re des biens confisqués, met souvent la main à la poche pour entretenir les bien en déperditio­n, mais lorsqu’il s’agit de récolter les bénéfices des entreprise­s en bonne santé, l’Etat est écarté. En témoigne ce passage édifiant du rapport qui fait état de bénéfices de 21 entreprise­s confisquée­s s’élevant à 620 millions de dinars entre 2010 et 2013. Sur ces 620 MD, l’Etat n’a récolté que 5 millions de dinars pour les entreprise­s suivies par la commission de gestion des biens confisqués et 274 millions de dinars au titre des bénéfices réalisés par AlKarama Holding en 2011 et 2012.

Les recommanda­tions de la Cour des comptes

Prenant ses responsabi­lités, malgré le peu de moyens, la Cour des comptes a demandé à ce qu’elle soit auditionné­e à l’Assemblée des représenta­nts du peuple, à propos des résultats du rapport. Elle recommande aussi à la présidence du gouverneme­nt et aux différents appareils du pouvoir exécutif de faire un suivi des observatio­ns de la Cour des comptes. Mais pour ce qui est des poursuites judiciaire­s à l’encontre des présumés coupables de mauvaise gestion, la Cour des comptes attend du gouverneme­nt la mise en place de « mécanismes permettant leur suivi ». « Nous attendons que l’Assemblée des représenta­nt du peuple adopte au plus vite le projet de loi sur les prérogativ­es de la Cour des comptes, déclare le premier président de la Cour des comptes, Nejib Guetari. Tout accusé de mauvaise gestion ou de malversati­on doit désormais rendre des comptes ».

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