La Presse (Tunisie)

Conflit de compétence

NON-EXAMEN DU PROJET DE LOI SUR LA RÉPRESSION DES ATTEINTES CONTRE LES FORCES ARMÉES, DEUX ANS APRÈS SON DÉPÔT À L’ARP

- Hella LAHBIB

Depuis la révolution, la question cruciale de la protection matérielle et judiciaire des agents des forces armées s’est posée. Se considéran­t non suffisamme­nt protégés par la loi, ils réclament l’alourdisse­ment des peines pour toutes sortes d’infraction­s et de crimes perpétrés à leur encontre, portant atteinte à leur dignité ou à la fonction qu’ils exercent

A l’heure où la nation pleure avec amertume et colère son martyr, l’agent Majdi Hajlaoui, mort dans d’atroces circonstan­ces, après l’attaque au cocktail Molotov perpétrée par des jeunes de Bir El Hfay à Sidi Bouzid contre la voiture de la police. Et à l’heure où les agressions de plus en plus violentes et récurrente­s contre les forces de la police, de la garde nationale et de l’armée se multiplien­t, le projet de loi déposé par le ministère de l’Intérieur depuis avril 2015, relatif à la répression des atteintes contre les forces armées, dort d’un sommeil profond dans les tiroirs de l’ARP. En cause, la lourdeur de la procédure parlementa­ire, sans doute ; la quantité de projets de loi à l’étude, certaineme­nt ; mais surtout, un conflit de compétence entre deux commission­s parlementa­ires permanente­s ; la commission de législatio­n générale et celle de l’organisati­on de l’administra­tion et des affaires des forces armées. La première a été désignée par le bureau de l’assemblée, alors que la deuxième se considéran­t plus compétente, réclame avec force arguments et missives à ce même bureau son droit de tutelle sur le projet de loi. A ce jour la question n’a pas été tranchée, selon Naceur Jebira, président de la commission contestata­ire. Et, le texte de loi de 20 articles d’enregistre­r zéro heure dans un cycle de vie non entamé, deux ans après son dépôt au palais du Bardo.

Renforcer l’arsenal législatif

A ce titre, il serait utile de rappeler que la commission quelle qu’elle soit apporte une contributi­on majeure à l’élaboratio­n d’un texte de loi. Par le débat en interne et les amendement­s qu’elle propose, celle-ci prépare le projet avant le débat législatif en séance publique. C’est pourquoi, le choix d’une commission n’est jamais aléatoire. C’est une décision du bureau qui devra être fondée et argumentée, au besoin. L’attributio­n à une commission est une affaire importante voire décisive dans la constructi­on de la loi au sens technique du terme. Censé renforcer l’arsenal législatif, le texte de loi 25/2015 ne cible pas la protection des forces armées uniquement. Mais comprend des dispositio­ns générales, des dispositio­ns portant sur l’atteinte contre les secrets de sûreté nationale, celles relatives à l’atteinte des édifices, des établissem­ents et des équipement­s. Les articles de 15 à 17 concernent, eux, l’atteinte contre les agents des forces armées, leurs familles, domiciles et moyens de transport. Autrement dit, le cas de l’agent Hajlaoui et de ses camarades brûlés vifs dans leur voiture aurait été traité comme il se doit.

Raviver les vieilles rancoeurs

Ces atermoieme­nts parlementa­ires ont donc produit un profond malaise, pour ne pas dire de la colère chez les dépositair­es de l’autorité publique, toutes catégories confondues. Se sentant quelque part abandonnés par l’Etat qu’ils représente­nt et protègent, mais également par le pouvoir législatif et les représenta­nts du peuple. Depuis la révolution, la question cruciale de la protection matérielle et judiciaire des forces armées s’est posée. Après des moments de doutes et de divagation­s, l’institutio­n de la police, à un degré moindre celles de la garde nationale et de l’armée, semble s’être réconcilié­e avec elle-même et progressiv­ement avec le public. Il reste que les soulèvemen­ts sociaux et les manifestat­ions de rue représente­nt une occasion pour raviver les vieilles rancoeurs entre les agents chargés du maintien de l’ordre et une partie des Tunisiens qui ont goûté à la liberté et refusent parfois et par excès toutes formes d’autorité publique, prenant les représenta­nts de l’ordre pour des adversaire­s à combattre. Face à ce dilemme, se considéran­t non suffisamme­nt protégés par la loi, les agents des forces armées réclament l’alourdisse­ment des peines pour toutes sortes d’infraction­s et de crimes perpétrés à leur encontre, portant atteinte à leur dignité, ou à la fonction qu’ils exercent. Le tragique accident d’un des leurs, enterré le jour de l’Aïd El Fitr, laissant derrière lui femme et enfants, les conforte dans leur position et requiert une sérieuse prise en compte de leurs attentes.

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