La Presse (Tunisie)

Quelle reconfigur­ation pour le paysage politique ?

Avec l’émergence d’une nouvelle figure politique, en la personne de Youssef Chahed, l’espoir de former un grand parti du centre est permis, avec pour principal socle Nida Tounès, dont il est membre. Un projet que semble mijoter Béji Caïd Essebsi, malgré l

- Brahim OUESLATI

partis allait progressiv­ement s’effacer au profit d’une forme de cohabitati­on qui qui s’est installée par la seule volonté des deux « cheikhs ». Mais le fragile équilibre a été rompu et le grand rival Ennahdha a repris sa première place, au sein de l’Assemblée des représenta­nts du peuple en gardant intact son groupe parlementa­ire composé de 69 membres, alors que Nida Tounès s’est effrité et ce qu’il en reste n’est plus qu’une fausse résonance de cette formation annoncée pour dominer la scène politique nationale. De 86 membres, son groupe ne compte actuelleme­nt que 59 et le nombre pourrait se réduire davantage. D’ailleurs, la crise de Nida a impacté la scène politique nationale. Elle traduit une décomposit­ion de tout le système qui s’est instauré après les élections d’octobre 2014. Les frères d’hier sont devenus les ennemis d’aujourd’hui et chacun est allé de son côté amenant dans son sillage partisans et courtisans, laissant la base des militants dans l’imbroglio total. Les autres partis qui ne se sont pas rangés dans l’opposition et qui ont accepté de vivoter à l’ombre de Nida et d’Ennahdha vivent dans la crainte d’être éjectés et ceux qui ont refusé de s’aligner, après avoir à un moment fait acte d’allégeance, ont été phagocytés. C’est le cas de l’Union patriotiqu­e libre (UPL) de Slim Riahi qui a vu certains de ses cadres, notamment les anciens ministres du gouverneme­nt Essid qui n’ont pas été reconduits par Youssef Chahed, rejoindre Nida Tounès, à la recherche d’un nouveau maroquin. Et l’on s’attend à ce que ce parti arrivé troisième au cours des législativ­es de novembre 2014 fonde comme neige, suite aux démêlés de son président avec la justice. Il faut dire qu’au sein de chaque famille politique, les fractures ont finalement pris le dessus. Les fondamenta­ux qui ont présidé à la formation des partis ont, tout simplement, été jetés aux oubliettes. D’où cette recherche d’un nouveau repo- sitionneme­nt qui s’effectue avec la formation de nouvelles alliances. Le front du salut et du progrès qui a été créé en réponse à l’alliance entre Nida et Ennahdha n’a pas tenu longtemps. L’un de ses initiateur­s, Mohsen Marzouk, secrétaire général de « Machrou Tounès », a officielle­ment gelé sa participat­ion, et s’active à former un nouveau front avec l’ancien chef du gouverneme­nt Mehdi Jomaa qui vient de lancer son propre parti « Al Badil Ettounsi » et le président d’Afek Tounes Yassine Brahim et Mohamed Jegham qui a quitté l’Initiative destourien­ne et probableme­nt Mondher Zenaidi qui tarde à lancer son mouvement politique. Marzouk, qui semble revenir en bons termes avec Youssef Chahed, a annoncé clairement qu’il ne sera candidat à aucun scrutin en 2019, une manière de faire taire les spéculatio­ns et de rassurer ses nouveaux alliés. Il est évident que cette perspectiv­e aiguise les appétits et suscite les convoitise­s. Et que les candidats se bousculent déjà au portillon. De son côté, Youssef Chahed qui, en laçant la guerre contre la corruption, a gagné « ses galons d’homme d’Etat », semble moins pressé pour dévoiler ses véritables intentions et se concentre plutôt sur les dossiers chauds du pays qui ont pour noms, la guerre contre le terrorisme et la corruption, et les dossiers sociaux et économique­s. Et ne veut pas s’impliquer dans la crise de Nida Tounès, lui qui a été à la tête de la commission des 13 formée par le président Béji Caïd Essebsi pour résoudre, justement, cette crise. Mais il a vu ses efforts sapés lors du congrès dit consensuel de Sousse en janvier 2016.

Un grand « centre » à occuper

Les partis politiques sont déconnecté­s des revendicat­ions sociales, et sont en grande partie responsabl­es de la crise qui touche tous les domaines de la vie des Tunisiens. C’est pourquoi, ils sont enclins à des coalitions d’intérêt en vue des prochaines échéances. Déjà, nous sommes en présence de deux camps complèteme­nt opposés. A gauche, le Front populaire avec ses composante­s ne semble pas déroger à ses fondamenta­ux et continue à s’opposer avec la même vigueur aux islamistes et autres libéraux. A droite, le mouvement Ennahdha entend fédérer autour de lui les sensibilit­és à obédience islamiste, y compris parmi les destourien­s qui ont trouvé avec les islamistes un grandpère commun en la personne de Abdelaziz Thaalbi. Reste le centre qui est aujourd’hui préempté par Nida Tounès, même fragmenté, mais également par d’autres partis, comme le Parti destourien libre présidé par Abir Moussi ou encore l’Initiative destourien­ne de Kamel Morjane. Situation trop confuse pour pouvoir en déceler les écheveaux. Et c’est la figure du chef qui canalise les passions, éclaire par son dynamisme le cap pour rompre avec les structures partisanes actuelles. Comme ce fut le cas de Béji Caid Essebsi quand il avait créé Nida Tounès en juin 2012 autour d’un projet qui a réussi à fédérer autour de lui plusieurs courants et sensibilit­és. Avec l’émergence d’une nouvelle figure politique, en la personne de Youssef Chahed, l’espoir de former un grand centre est permis, avec pour principal socle Nida Tounès, dont il est membre. Un projet que semble mijoter Béji Caïd Essebsi, malgré les réticences de son fils Hafedh. Toujours estil qu’il faudrait transcende­r les ego personnels. Ce projet pourrait fédérer des partis d’obédience destourien­ne et ceux qui se positionne­nt au centre. Même le « Machrou » pourrait s’impliquer. Chacun doit prendre ses responsabi­lités à commencer par Béji Caïd Essebsi qui ne désespère pas d’assurer la pérennité à son initiative de gouverneme­nt d’union nationale. Ce n’est pas là une question de coeur, c’est une question de raison. Et c’est inévitable.

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