« Nous travaillons dans des conditions indignes de la République »
Souvent félicitée pour son effort de lutte contre les malversations, la mauvaise gestion et le déficit de gouvernance des deniers publics, la Cour des comptes souffre d’un manque flagrant de moyens. C’est sur cette contradiction qu’insiste le premier prés
Quelle méthodologie de travail suit la Cour des comptes pour élaborer ses investigations en vue d’établir son rapport annuel ? La Cour des comptes est l’organe supérieur de contrôle administratif et aussi d’évaluation des politiques et des programmes publics. Ce contrôle a une vocation juridictionnelle, à savoir le jugement des comptes des comptables publics et sanction, le cas échéant, des fautes de gestion. Chaque année, les neuf chambres centrales de la Cour des comptes réparties selon les secteurs d’activité et ses quatre chambres régionales établissent un pré-diagnostic pour définir quels thèmes, quels domaines d’intervention et quelles misions aborder pour contrôle au cours de la nouvelle session. Ces propositions sont examinées et discutées au sein du Groupe intitulé le G 17, qui réunit les treize présidents des deux chambres, en plus du président de la Cour des comptes, son SG, son rapporteur général et le commissaire général du gouvernement. Dès l’amélioration de ce premier prédiagnostic, les projets finalisés sont présentés devant l’assemblée plénière de la CC, qui adopte les diverses missions. Le programme d’intervention peut alors démarrer, il est mis à exécution par les différentes chambres concernées. Nous établissons notre pré-diagnostic en référence aux directives des divers plans de développement quinquennaux mais aussi par rapport aux documents transmis de par la loi à la CC, tels les pièces de dépense, les budgets, les rapports d’activité, les états financiers. Nous exploitons également les informations échangées à travers les réseaux sociaux. Cela nous permet de nous intéresser aux sujets pouvant améliorer la qualité de également des entretiens avec les responsables et continuent leurs interviews avec les agents situés au plus bas de l’échelle hiérarchique. On examine le système de contrôle interne, dont les applications informatiques. On évalue les points forts et les points faibles de l’institution en se basant sur l’approche par les risques : plus le contrôle interne est performant, moins il y a de risques et plus notre intervention se révèle légère. Une fois la mission achevée, les magistrats procèdent par ce qu’on appelle l’approche contradictoire. Ils sont tenus d’envoyer leurs observations préliminaires à l’entité concernée par le contrôle : nous respectons le droit de réponse. S’il y a contradiction entre l’observation et la réponse, nous tenons une réunion de conciliation pour rapprocher les points de vue. Cela ne veut pas dire que dans tous les cas de figure des divergences ne persistent jusqu’au bout du processus, c’est-à-dire au moment de la rédaction du rapport final. Notre méthodologie est conforme aux normes internationales. La Cour des comptes est une institution de référence en la matière. Nous sommes souvent félicités par nos pairs.
comptes ?
En plus d’avoir changé la méthodologie de communication sur nos résultats, nous avons cherché à nous intéresser particulièrement aux sujets qui peuvent interpeller les citoyens, dont les problématiques liées à l’environnement, aux biens confisqués et aux recrutements exceptionnels au profit des bénéficiaires de l’amnistie générale et des familles des martyrs et des blessés de la révolution. Concernant ce dernier sujet et pour coller au maximum aux attentes des contribuables, nous nous sommes interrogés sur l’impact de ces recrutements sur le budget de l’Etat. On a voulu montrer que ces recrutements exceptionnels qui ont eu lieu depuis 2011 jusqu’à 2016 ont abusivement alourdi le budget de l’Etat et n’ont même pas respecté les dispositions exceptionnelles prévues par la loi. On a relevé également des irrégularités insensées : on a embauché 73 personnes au ministère de l’Education nationale et au ministère de la Jeunesse et des Sports qui n’ont aucun lien ni avec les blessés de la révolution, ni avec ses martyrs. On a engagé des parents de bébés décédés hors du contexte révolutionnaire. Au ministère de l’Education nationale, des recrues ne répondent à aucun critère, ni au niveau du diplôme, ni au niveau de l’âge, ni au niveau des compétences. Ce qui va avoir des conséquences néfastes sur la qualité de l’enseignement qu’ils vont dispenser. On a démontré qu’il était absurde de ces entreprises en épongeant leurs dettes, ces sociétés ayant été auparavant financées par le secteur bancaire. Car le nouvel acquéreur d’une société de ce type cédée par l’Etat ne prend en charge que les actifs. L’Etat a vendu quelques-unes de ces entreprises. Le montant de cette cession s’élève à 1.395 millions de dinars dont 58% ont été utilisés pour éponger les dettes de ces entreprises. On a dit aussi que les parts de l’Etat dans les bénéfices réalisés par quatre sociétés confisquées, qui s’élèvent à 159 millions de dinars, n’ont pas été encaissées. L’Etat, dans cette situation, n’a pas veillé à encaisser ses parts de dividendes. D’autre part, on a souligné la mauvaise gestion des affaires courantes de la plupart des entreprises confisquées, qui ont enregistré un recul de leurs activités et de leurs investissements. Conséquence : beaucoup sont aujourd’hui incapables de faire face à leurs engagements. A qui incombe la responsabilité ? Certainement à ceux chargés de gérer ces entreprises, dont les mandataires judiciaires et la structure chargée du suivi des biens confisquée qui relève du ministère des Finances.
Aujourd’hui que le chef du gouvernement Youssef Chahed mène une guerre contre la corruption et différents types de malversation, en quoi la Cour des comptes peut-elle soutenir ce combat ? Nous organiserons le 11 juillet une journée d’études avec les magistrats et les agents de la CC sur les priorités et les défis auxquels notre institution est confrontée dans le futur proche, qui concernent notamment le contrôle de la campagne électorale municipale et l’instruction des affaires devant la Cour de discipline financière. Nous discuterons aussi au cours de cette journée du prochain programme de la Cour, un programme par lequel nous voulons soutenir l’effort national en matière de lutte contre la corruption. Nous voulons à l’avenir que notre apport soit plus concret dans l’appui à cette campagne.