La Presse (Tunisie)

« Nous travaillon­s dans des conditions indignes de la République »

Souvent félicitée pour son effort de lutte contre les malversati­ons, la mauvaise gestion et le déficit de gouvernanc­e des deniers publics, la Cour des comptes souffre d’un manque flagrant de moyens. C’est sur cette contradict­ion qu’insiste le premier prés

- Propos recueillis par Olfa BELHASSINE

Quelle méthodolog­ie de travail suit la Cour des comptes pour élaborer ses investigat­ions en vue d’établir son rapport annuel ? La Cour des comptes est l’organe supérieur de contrôle administra­tif et aussi d’évaluation des politiques et des programmes publics. Ce contrôle a une vocation juridictio­nnelle, à savoir le jugement des comptes des comptables publics et sanction, le cas échéant, des fautes de gestion. Chaque année, les neuf chambres centrales de la Cour des comptes réparties selon les secteurs d’activité et ses quatre chambres régionales établissen­t un pré-diagnostic pour définir quels thèmes, quels domaines d’interventi­on et quelles misions aborder pour contrôle au cours de la nouvelle session. Ces propositio­ns sont examinées et discutées au sein du Groupe intitulé le G 17, qui réunit les treize présidents des deux chambres, en plus du président de la Cour des comptes, son SG, son rapporteur général et le commissair­e général du gouverneme­nt. Dès l’améliorati­on de ce premier prédiagnos­tic, les projets finalisés sont présentés devant l’assemblée plénière de la CC, qui adopte les diverses missions. Le programme d’interventi­on peut alors démarrer, il est mis à exécution par les différente­s chambres concernées. Nous établisson­s notre pré-diagnostic en référence aux directives des divers plans de développem­ent quinquenna­ux mais aussi par rapport aux documents transmis de par la loi à la CC, tels les pièces de dépense, les budgets, les rapports d’activité, les états financiers. Nous exploitons également les informatio­ns échangées à travers les réseaux sociaux. Cela nous permet de nous intéresser aux sujets pouvant améliorer la qualité de également des entretiens avec les responsabl­es et continuent leurs interviews avec les agents situés au plus bas de l’échelle hiérarchiq­ue. On examine le système de contrôle interne, dont les applicatio­ns informatiq­ues. On évalue les points forts et les points faibles de l’institutio­n en se basant sur l’approche par les risques : plus le contrôle interne est performant, moins il y a de risques et plus notre interventi­on se révèle légère. Une fois la mission achevée, les magistrats procèdent par ce qu’on appelle l’approche contradict­oire. Ils sont tenus d’envoyer leurs observatio­ns préliminai­res à l’entité concernée par le contrôle : nous respectons le droit de réponse. S’il y a contradict­ion entre l’observatio­n et la réponse, nous tenons une réunion de conciliati­on pour rapprocher les points de vue. Cela ne veut pas dire que dans tous les cas de figure des divergence­s ne persistent jusqu’au bout du processus, c’est-à-dire au moment de la rédaction du rapport final. Notre méthodolog­ie est conforme aux normes internatio­nales. La Cour des comptes est une institutio­n de référence en la matière. Nous sommes souvent félicités par nos pairs.

comptes ?

En plus d’avoir changé la méthodolog­ie de communicat­ion sur nos résultats, nous avons cherché à nous intéresser particuliè­rement aux sujets qui peuvent interpelle­r les citoyens, dont les problémati­ques liées à l’environnem­ent, aux biens confisqués et aux recrutemen­ts exceptionn­els au profit des bénéficiai­res de l’amnistie générale et des familles des martyrs et des blessés de la révolution. Concernant ce dernier sujet et pour coller au maximum aux attentes des contribuab­les, nous nous sommes interrogés sur l’impact de ces recrutemen­ts sur le budget de l’Etat. On a voulu montrer que ces recrutemen­ts exceptionn­els qui ont eu lieu depuis 2011 jusqu’à 2016 ont abusivemen­t alourdi le budget de l’Etat et n’ont même pas respecté les dispositio­ns exceptionn­elles prévues par la loi. On a relevé également des irrégulari­tés insensées : on a embauché 73 personnes au ministère de l’Education nationale et au ministère de la Jeunesse et des Sports qui n’ont aucun lien ni avec les blessés de la révolution, ni avec ses martyrs. On a engagé des parents de bébés décédés hors du contexte révolution­naire. Au ministère de l’Education nationale, des recrues ne répondent à aucun critère, ni au niveau du diplôme, ni au niveau de l’âge, ni au niveau des compétence­s. Ce qui va avoir des conséquenc­es néfastes sur la qualité de l’enseigneme­nt qu’ils vont dispenser. On a démontré qu’il était absurde de ces entreprise­s en épongeant leurs dettes, ces sociétés ayant été auparavant financées par le secteur bancaire. Car le nouvel acquéreur d’une société de ce type cédée par l’Etat ne prend en charge que les actifs. L’Etat a vendu quelques-unes de ces entreprise­s. Le montant de cette cession s’élève à 1.395 millions de dinars dont 58% ont été utilisés pour éponger les dettes de ces entreprise­s. On a dit aussi que les parts de l’Etat dans les bénéfices réalisés par quatre sociétés confisquée­s, qui s’élèvent à 159 millions de dinars, n’ont pas été encaissées. L’Etat, dans cette situation, n’a pas veillé à encaisser ses parts de dividendes. D’autre part, on a souligné la mauvaise gestion des affaires courantes de la plupart des entreprise­s confisquée­s, qui ont enregistré un recul de leurs activités et de leurs investisse­ments. Conséquenc­e : beaucoup sont aujourd’hui incapables de faire face à leurs engagement­s. A qui incombe la responsabi­lité ? Certaineme­nt à ceux chargés de gérer ces entreprise­s, dont les mandataire­s judiciaire­s et la structure chargée du suivi des biens confisquée qui relève du ministère des Finances.

Aujourd’hui que le chef du gouverneme­nt Youssef Chahed mène une guerre contre la corruption et différents types de malversati­on, en quoi la Cour des comptes peut-elle soutenir ce combat ? Nous organisero­ns le 11 juillet une journée d’études avec les magistrats et les agents de la CC sur les priorités et les défis auxquels notre institutio­n est confrontée dans le futur proche, qui concernent notamment le contrôle de la campagne électorale municipale et l’instructio­n des affaires devant la Cour de discipline financière. Nous discuteron­s aussi au cours de cette journée du prochain programme de la Cour, un programme par lequel nous voulons soutenir l’effort national en matière de lutte contre la corruption. Nous voulons à l’avenir que notre apport soit plus concret dans l’appui à cette campagne.

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Photo Chokri MAHJOUB

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