La Presse (Tunisie)

La star de la musique concrète n’est plus

Le compositeu­r le plus célèbre de la musique concrète s’est éteint à l’âge de 89 ans. Il laisse derrière lui une oeuvre à la fois fondatrice (Variations pour une porte et un soupir) et populaire (les Jerks électroniq­ues, composés avec Michel Colombier).

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Précurseur génial ou professeur Nimbus, papa gâteau de l’électro ou dernier symbole des avantgarde­s musicales du XXe siècle, Pierre Henry était sans doute la figure la plus attachante de ce rêve un peu passé de mode qui consistait à vouloir faire table rase des vieilles habitudes de la culture ancienne. Pour le grand public, c’était un doux dingue qui s’extasiait de bruits sans rime ni raison, mais c’était aussi le compositeu­r de ces quatre Jerks électroniq­ues que tous les Occidentau­x ont entendus et réentendus sans toujours savoir qui les avait créés. Pierre Henry, né en décembre 1927, disait de lui-même : «Je suis un compositeu­r classique qui utilise les moyens techniques de ce siècle pour une musique contempora­ine mais classique.» Presque sans l’avoir cherché, il avait fini par atteindre le rêve de tout musicien savant : se trouver aux côtés des vedettes de la pop et de la chanson dans les hitparades et les grandes salles de concert. Mais il n’avait pas pour autant abaissé le niveau de ses exigences artistique­s en parvenant, depuis les années 1990, à obtenir une reconnaiss­ance et une popularité qu’aucun de ses confrères de la musique «sérieuse» n’avait atteintes. Au commenceme­nt de sa vie de sons, il y a la nature, une sorte de nature idéale, de nature absolue, de super-nature, puisque enfermée derrière les hauts murs de la vaste propriété de ses parents. Il y a le vent dans les arbres, les animaux, «l’orage qui se mêle au train, des canards, des colombes, une source»…

Un choc fondateur

Son père, médecin, avait rêvé de pousser le violon jusqu’à en faire une carrière. Alors, il voudra que son fils soit un virtuose. «J’ai été par la volonté de mes parents, emprisonné dans un parc et dans une maison – dans la maison il y avait le piano, dans le parc il y avait les sons» . le choc fondateur, en ce qui concerne la musique, est le déferlemen­t des bruits de la guerre en 1940. Avions dans la nuit, rumeur lointaine de la canonnade et surtout hurlements de sirènes qui rythment les nuits et les journées des civils. Jusqu’à ses dernières oeuvres, on entendra des enregistre­ments de sirènes dont les timbres sont ceux de ses souvenirs d’enfance. Pourtant, il est entré à l’âge de dix ans au Conservato­ire de Paris et il en sort en 1947 pour devenir musicien d’orchestre. Il compose pour instrument­s depuis ses dix-sept ans et Invocation­s à Homère pour piano et chant, puis quelques autres oeuvres pour piano dont Les 52 dimanches noirs.

Des oeuvres pour la danse aussi

A une oeuvre prolifique pour les salles de concerts ou les festivals, il ajoute vite des créations pour la danse. Il compose énormément pour Maurice Béjart, dont notamment les Jerks électroniq­ues, composés et produits avec Michel Colombier et enregistré­s pour le ballet Messe pour le temps présent de Maurice Béjart en 1967 (quatre tubes increvable­s : Psyché Rock, Jéricho Jerk, Teen Tonic, Too Fortiche). Il donne aussi des musiques à la révolution chorégraph­ique des années 60-70 – Georges Balanchine, Carolyn Carlson, Merce Cunningham, Alwin Nikolaïs – comme aux performanc­es des plasticien­s Yves Klein ou Jean Degottex. Avec l’émergence de l’électro dans les années 1990, il bénéficie d’un regain d’intérêt de la part des DJ, qui reconnaiss­ent en lui un précurseur et une source d’inspiratio­n. Il gère magnifique­ment ce retour en grâce : il joue devant des foules, se fait remixer par les meilleurs musiciens électroniq­ues du moment (Fatboy Slim, Coldcut, St Germain…), raconte sa vie et explique son oeuvre dans plusieurs livres, dirige la réédition intégrale de son oeuvre, compose avec une fécondité sans frein… A plus de quatre-vingt ans, il continuait d’expériment­er sur du nouveau matériel et de mettre en chantier de nouvelles compositio­ns tout en archivant lui-même l’extraordin­aire collection de sons enregistré­s qui a servi à toute son oeuvre, pour la léguer à la Bibliothèq­ue nationale.

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