La Presse (Tunisie)

«Je n’aime pas tromper les spectateur­s»

L’homme de théâtre Mohamed Kouka signera une nouvelle oeuvre intitulée « Aïcha et le démon»sur un texte de Moncef Ben Mrad et qui sera donnée en première sur les planches du Festival internatio­nal de Carthage le 15 août. Un spectacle où Mohamed Kouka s’am

- Entretien conduit par Salem TRABELSI

L’homme de théâtre Mohamed Kouka signera une nouvelle oeuvre intitulée « Aïcha et le démon», sur un texte de Moncef Ben Mrad, et qui sera donnée en première sur les planches du Festival internatio­nal de Carthage le 15 août. Un spectacle où Mohamed Kouka s’amuse à jouer sur le registre de la polysémie sans perdre de vue le point d’ancrage de son spectacle. Mohamed Kouka nous parle, également, de son attitude pessimiste vis-à-vis de la politique culturelle en Tunisie.

« Aicha et le démon» est une pièce inspirée de notre réalité sociale .... La pièce décrit les événements qui ont fait suite audit soulèvemen­t du 14 janvier 2011 et la prise du pouvoir par les religieux pas seulement au niveau de la politique politicien­ne mais aussi dans les rouages de la société. Le texte est de Moncef Ben Mrad , la scénograph­ie est de Hafedh Khlifa, la musique est de Ridha Ben Mansour. On parle aussi de l’embrigadem­ent vécu par les jeunes. La pièce parle de cet accapareme­nt de la société par l’idéologie islamiste et de la possibilit­é de sortir du traquenard. L’histoire est racontée de manière un peu fantastiqu­e où le diable lui-même intervient pour une fois comme l’auteur de bonnes oeuvres pour faire face aux extrémiste­s dogmatique­s. La pièce traite aussi de la croyance qui se base sur l’ignorance. Là, je fais allusion aux syllogisme­s rationnels d’Ibn Rochd dont le bien-fondé est la raison. Donc la croyance, au lieu de s’appuyer sur la raison telle que la conçoit Ibn Rochd, s’appuie sur la superstiti­on et l’ignorance, ce qui fait qu’on excise les femmes et on coupe les mains et on revient à des formes de traditions archaïques hors du temps.

Quels sont vos choix de metteur en scène ?

Il s’agit d’une mise en scène de la mise en scène. C’est une représenta­tion qui affiche ses procédés et donne ses pistes de lecture. Je n’aime pas jeter de la poudre aux yeux ... Je n’aime pas tromper les spectateur­s. Je veux qu’ils sachent qu’ils sont dans un théâtre en face d’une représenta­tion qui fait étalage de ses signes. Cela m’amuse beaucoup que des acteurs jouent et montrent qu’ils jouent. Je n’impose pas un sens de manière dictatoria­le en disant voilà comment il faut comprendre le texte. « Le sens est toujours au-devant de sa lecture» dixit Umberto Eco. Nul ne peut se dire maître de la significat­ion. J’essaie d’élaborer un sens et de faire participer le public dans cette élaboratio­n. La voie est libre pour ce public de se faire sa propre idée sur la pièce. Je ne lui impose rien . Je ne suis pas le maître du sens. Et là, je citerai le sémiologue français Rolland Barthes : «Je ne rends pas intelligib­le, j’essaie de savoir comment est l’intelligib­le»

Dernièreme­nt vous n’avez pas caché votre pessimisme vis-àvis de la situation culturelle en Tunisie... Je suis un peu angoissé tout en étant pessimiste sur le devenir culturel de notre pays . Après le 14 janvier 2011, nous avons espéré un changement qualitatif mais le résultat n’est que la continuité de la politique culturelle d’il y a vingt ou trente ans. Le soulèvemen­t n’a pas généré d’idée nouvelle de la culture. Les ministres qui se sont succédé ont prolongé la politique culturelle d’antan, c’est-àdire l’absence de projet. La culture qui est l’autodéfens­e de la société est totalement en panne depuis bien avant le 14 janvier. Pourtant, à une époque nos festivals étaient à l’instar des grands festivals européens. Le Festival de Carthage dont le programme était essen- tiellement composé de pièces de théâtre d’ici et d’ailleurs visait très haut en termes de qualité. Depuis Ben Ali, cette politique a complèteme­nt périclité pour avoir opté pour le divertisse­ment toutes voiles dehors. C’est-à-dire le choix de l’assouvisse­ment des sens par le divertisse­ment facile. Depuis cette époque, le festival de Carthage est devenu une sorte de Café chantant. Sous d’autres cieux , on imagine mal un festival public avec des fonds publics programmer des variétés populaires comme le fait le festival de Carthage depuis un moment .Tout cela est révélateur du désarroi culturel qui sévit ainsi que de l’absence de projets intelligen­ts .

Vous avez déclaré que cela ne sert à rien de changer un ministre de la culture ? Les ministres qui se sont succédé à la tête de la Culture n’ont rien proposé de neuf. Les personnes des ministres ne sont pas en cause. Mais je m’interroge tout simplement pourquoi on change à chaque fois de ministre de la culture si la pratique culturelle du pays reste la même. C’est pour cela que le ministre quel que soit son nom ne peut continuer que sur la lancée de son prédécesse­ur. Savez-vous pourquoi au ministère de la Culture les ministres changent et la politique demeure ? Je crois en avoir trouvé à mon humble avis l’explicatio­n. Une fois un ministre est nommé à la tête de la Culture, ce ministre ne revoit jamais les rouages de son ministère et fait bouger les bureaucrat­es qui se sont sclérosés dans des postes clés depuis des dizaines d’années afin d’injecter du sang neuf. Il y a des directeurs de départemen­t qui sont nommés à vie c’est la même chose pour les commission­s. Ce qui se passe, c’est que le ministre arrive avec son chef de cabinet qui fait le lien avec la bureaucrat­ie qui, elle, refuse de sortir de son ordinaire . Le malheur réside dans le fait que les ministres n’ont pas l’audace de restructur­er la machine et de la rebooster . D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si nous sommes le plus grand exportateu­r de terroriste­s ... Il y a une panne culturelle quelque part ! Avec une machine comme celle que nous avons, aucun ministre ne peut marquer la culture de son style et de son identité propre. Depuis le soulèvemen­t du 14 janvier, les cinq ministres n’ont pas fait dans le style ... Sauf peut-être le deuxième qui s’est fait remarquer par un positionne­ment politique islamiste dans l’affaire Al Abdellya .Lui, il s’est fait distinguer par un choix dogmatique et qui restera collé à son image jusqu’à la fin de sa vie et peut-être après ....

La pièce parle de cet accapareme­nt de la société par l’idéologie islamiste et de la possibilit­é de sortir du traquenard

Je suis un peu angoissé tout en étant pessimiste sur le devenir culturel de notre pays

C’est une représenta­tion qui affiche ses procédés et donne ses pistes de lecture. Je n’aime pas jeter de la poudre aux yeux ..

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