Les chantres de la diplomatie donnent de la voix
«La capacité d’établir une relation de confiance existe», indique Joseph DeTrani, ancien émissaire du département d’Etat
AFP — Après la spectaculaire démonstration mardi par la Corée du Nord qu’elle est en mesure d’atteindre le sol continental des Etats-Unis avec un missile, des responsables américains affirment que l’objectif reste de parvenir à une solution diplomatique pour éviter un conflit catastrophique. Mais les deux camps peuvent-ils s’asseoir face à face pour tenter de surmonter leurs divergences? Des analystes et des diplomates ayant connu de précédentes crises entre les deux pays reconnaissent que des obstacles d’ampleur se dressent en travers de pourparlers, à commencer par l’absence de relations diplomatiques. Mais ils estiment que de telles discussions sont non seulement possibles mais aussi la seule solution vraiment pérenne, qu’elles soient directes ou via des intermédiaires. «Le seul moyen disponible est la diplomatie», a estimé James Clapper, qui a dirigé plusieurs années les services de renseignement américains en Corée du Sud et qui était directeur du renseignement (DNI) sous Barack Obama. En mai, le président américain Donald Trump a dit qu’il serait «honoré» de rencontrer» Kim Jong-un «si les conditions étaient réunies», demandant en filigrane à la Corée du Nord de mettre un terme au préalable à ses programmes nucléaires et de missiles balistiques. S’il a promis une « réponse sévère» à la suite du tir nordcoréen d’un missile balistique intercontinental ( ICBM), son ministre de la Défense Jim Mattis a assuré que la diplomatie restait la voie privilégiée après cette «provocation». Il a cependant prévenu que toute initiative de la Corée du Nord visant à déclencher un conflit aurait de «graves conséquences». Même Kim Jong-un a semblé entrouvrir la porte en indiquant que les programmes nucléaire et balistique ne seraient jamais négociables, à moins que Washington ne renonce à sa «politique hostile».
Processus avorté
Dans les années 2000, un groupe de plusieurs pays avec l’Agence internationale de l’énergie atomique ( Aiea) semblait avoir convaincu le régime — alors aux mains de Kim Jong-il, père du dirigeant actuel — de la mise en place d’une supervision extérieure du programme nucléaire et même d’une dénucléarisation de la péninsule. Mais le processus a capoté en 2009 et, après avoir pris le pouvoir deux ans plus tard, Kim Jong-un s’est montré déterminé à faire de son pays une puissance nucléaire. Depuis, les contacts se sont faits au travers de forums et séminaires semi-formels avec d’anciens responsables, des universitaires, des humanitaires et, parfois, des responsables en poste agissant de manière semiofficielle. Selon d’anciens participants, il faut beaucoup oeuvrer pour combler les fossés linguistique et culturel. Néanmoins, «la capacité d’établir une relation de confiance existe», a indiqué Joseph DeTrani, ancien émissaire du département d’Etat aux discussions des années 2000. Lorsque les Etats-Unis voulaient obtenir la libération d’Américains détenus en Corée du Nord, Kim Jong-il était disposé à échanger avec des émissaires américains comme les anciens présidents Bill Clinton et Jimmy Carter.
Relations semi-formelles
Mais de telles rencontres sont rarissimes avec son fils. Il a consenti à rencontrer l’ex-basketteur Dennis Rodman, qui s’est rendu au moins quatre fois dans le pays reclus. «Il y a eu des périodes d’accord, c’était sous Kim Jong-il,» a indiqué M. DeTrani, qui considère Kim Jong-un comme un dirigeant plus «inconsidéré». Certains poussent à la mise en place de relations semi-formelles en installant à Pyongyang une Section d’intérêt, avec des diplomates américains, et de permettre aux Nord-Coréens de faire de même à Washington. Mais quel que soit le mode de communication choisi, que se passe-t-il ensuite? Pour Scott Snyder, un expert de la Corée au Conseil sur les relations internationales, le problème fondamental est que Washington ne peut céder à l’exigence de Pyongyang d’alléger son dispositif militaire protégeant Corée du Sud et Japon. Frank Aum, ex-cadre du ministère de la Défense travaillant actuellement à l’US-Korea Institute de l’université Johns Hopkins, appuie l’intensification de l’approche actuelle consistant à faire pression économiquement sur la Corée du Nord par des sanctions et à inciter la Chine à utiliser son influence sur son petit allié. Une tactique, a-t-il rappelé, qui a poussé l’Iran à freiner son programme nucléaire sous Obama, même si l’administration Trump est aujourd’hui vent debout contre cet accord avec Téhéran, estimant que c’est l’un des pires de l’histoire. Et ce qui a fonctionné avec l’Iran, selon M. Snyder, n’agira pas sur Pyongyang qui a déjà une capacité nucléaire et dont le régime est beaucoup moins vulnérable aux pressions extérieures. Pour lui, «le régime profite de son isolement politique».