L’amour au temps des luttes pour l’indépendance
Hanna Mîna dévoile une page saisissante du combat syrien et arabe pour l’émancipation, où des Arméniens héroïques payent avec eux les lourds tributs de la lutte contre l’occupant et où les destinées convergent vers l’amour de la liberté avant de donner na
Jawad a trente ans, Biranik en a vingt-cinq, et ils se sont aimés par hasard dans le tumulte des conditions critiques de la lutte armée. Lui, leader local, est poursuivi par l’occupant français. Elle, déracinée, a l’idée fixe de partir, retourner à ses sources, loin de lui, mais l’amour authentique ne laisse à personne le loisir de réfléchir aux conséquences. Un amour non trivial, méprisant les convenances et culminant dans un voyage à la fois réel et virtuel sur l’onde de la nuit, dans une embarcation d’illusions, les voiles déchirées, les cordes rompues, perdu entre les vagues, sans espoir de balise car les gardes-côtes sont à l’affût tout le long du littoral syrien, mobilisés par des rapports parvenus à la capitainerie de Ladhiqiyya et à la douane parlant de marchandises illicites, sans autres détails.
Amour et géopolitique
Pour leur échapper, l’embarcation de fortune s’enfonce courageusement dans le large et les poursuites cessent. C’est l’apogée de la thèse que le combat rapproche et qu’à sa faveur des sentiments éclosent et se renforcent. Le danger comme soudure et comme braises ardentes. Un danger qui acère aussi les sens alors que les deux compagnons de voyage savent qu’ils ne doivent pas entrer dans les eaux territoriales turques. Biranik, simple patriote, rêve d’une Erevan purement arménienne débarrassée des Turcs et des Soviétiques. Jawad, marxiste et sensible côté Urss, sait pourtant que cette pensée de sa douce moitié est romantique, pas politique. Il tient pourtant à lui exposer les affres du séparatisme s’il s’étend à toutes les républiques soviétiques et ce que cela signifierait pour les grands équilibres de la planète : le monopôle du statut de super-puissance par les Etats-Unis qui auraient alors les mains libres pour généraliser une Pax Americana où les Arabes seraient passés par pertes et profits. Seulement, Biranik ne veut pas comprendre ces enjeux planétaires, elle ne pense qu’à l’Arménie même si elle ne renie pas l’industrie et les technologies que Moscou apporta à Erevan. Elle se passionne pour crier que tout cela ne vaut pas la liberté des Arméniens, leur indépendance et leur souveraineté. Elle lui parle de démocratie, de pluralité, de débat, de créativité, d’avenir...
Le dilemme des deux amours
‘’Je suis à la fois heureux et malheureux. Heureux d’être épris de Birmanik, son courage, sa beauté, sa bouche en cerise... et malheureux de ce chauvinisme qui se refuse à l’évidence de l’image entière’’, pense Jawad avec amertume, comme s’il savait déjà qu’au moment de choisir entre lui et sa patrie adorée, Birmanik lui briserait le coeur, certes à regret, mais courageusement, comme elle l’a toujours fait. Pour l’heure, elle a les idées plus positives que lui : ‘’Je suis heureuse de t’avoir près de moi et aussi heureuse que tu sois notre chef. Tu a des qualités que je n’ai vu chez nul autre et nous allons nous battre ensemble contre l’occupant, les occupants’’, le console-t-elle de ce qui va inéluctablement arriver. Deux années se passent ainsi à tout partager ; le pain, le combat, les victoires, les défaites, les espoirs... Beaucoup de leurs compagnons sont tombés, à commencer par les Arméniens dont le comportement exemplaire sous le feu transcende tous les éloges, toutes les médailles, Damas a été dévastée, le pays est épuisé, mais la France a perdu. C’est alors que vient le moment inéluctable, les patriote arméniens font leurs adieux à leurs frères d’armes syriens et arabes en ce mémorable avril 1946. C’est le moment où éclate, à en briser le coeur, le dilemme des deux amours, l’antithèse du compagnonnage des armes, dont l’issue fait chavirer Jawad : ‘’J’ai décidé de choisir entre mon amour et ma patrie et j’ai choisi ma patrie’’, annonce Biranik en larmes à ses compatriotes qui l’applaudissent. L’ouvrage ‘’La bouche en cerise, 304p., mouture arabe Par Hanna Mîna Editions Dar Aladab, 2004