A quoi pourrait bien ressembler l’avenir de l’animation ?
Et si le cinéma d’animation s’apprêtait à connaître le bouleversement le plus important de toute son existence ? Et si notre manière de raconter des histoires, de les écouter ou de les vivre était sur le point de changer catégoriquement ?
Il y a tout juste 100 ans sortait le film argentin El Apostol, aujourd’hui considéré comme le tout premier long métrage d’animation de l’histoire du cinéma. En 1995, il y a 22 ans à peine,
Toy Story, premier long métrage exclusivement réalisé en images de synthèse par les studios Pixar, marquait les premiers pas de l’animation par ordinateur sur grand écran et ouvrait un nouveau chapitre dans l’histoire du dessin animé. Depuis, les grands studios d’animation hollywoodiens et l’immense majorité de leurs projets n’ont eu de cesse de perfectionner cette révolution amorcée par John Lasseter et ses collaborateurs au milieu des années 90. A partir des pantins à l’articulation encore approximative animés par Andy dans sa chambre d’enfant ou de la démarche imparfaite d’un ogre vert sur les chemins du Royaume de Fort, Fort Lointain, les artistes de chez Pixar, Dreamworks, Disney, BlueSky ou encore Illumination sont aujourd’hui parvenus à un niveau d’exigence proche du photoréalisme. Difficile, parfois, de déterminer si l’on est face à un univers créé de toutes pièces par les derniers miracles technologiques ou devant de véritables images filmées en prises de vues réelles lorsqu’on contemple les paysages du Voyage d’Arlo ou de Dragons. Mais à l’heure où les images de synthèse se sont hissées à ce degré de réalisme, la question se pose : quelle est donc la prochaine étape ? Comment faire mieux ? Comment offrir un nouveau souffle au story-telling et au cinéma d’animation en général ?
Un retour aux sources
Même si les artistes des plus grands studios d’animation hollywoodiens restent avant tout des dessinateurs et que les personnages qui peuplent aujourd’hui les salles obscures ont d’abord été créés sur papier avant d’être animés sur ordinateur, force est de constater que les longs métrages en animation traditionnelle ont pratiquement tous disparu chez Disney, Pixar, Dreamworks et leurs concurrents. Le dernier en date, La Princesse et la grenouille, remonte déjà à 2009, et n’avait pas convaincu suffisamment de spectateurs malgré ses indéniables qualités. Les films d’animation à gros budgets sont-ils désormais forcément synonymes de CGI ou d’images de synthèse ? Le dessin organique 2D a-t-il encore sa place dans les salles obscures ? Certains récents courts métrages, diffusés avant La Reine des Neiges, Les Nouveaux Héros ou encore Les Mondes de Ralph, sont là pour nous prouver que oui, et pour nous laisser entrevoir ce que certains pourraient tout simplement considérer comme l’avenir de l’animation. Souvent animés grâce au logiciel Meander, qui remet sur le devant de la scène le coup de crayon de l’artiste, imparfait mais authentique, Paperman, Festin ou encore Mickey à cheval apparaissent en effet comme des films hybrides, entre animation traditionnelle et CGI. Après avoir régné en maître sur l’animation en 2D pendant des décennies à l’aube du dessin animé, après avoir traversé une «crise d’adolescence» particulièrement difficile dans les années 2000 alors que s’imposait la 3D, Disney serait-il en train d’atteindre sa pleine et entière maturité ? Celle qui consisterait à unir les deux techniques, désormais parfaitement maîtrisées l’une et l’autre ? De plus en plus, les croisements s’opèrent, les techniques se mélangent, la mutation se produit. Même dans les longs métrages tels que Vaiana, où le person- nage de mini-Maui, animé par le vétéran Eric Goldberg, était un tatouage en 2D vivant sur le corps en 3D de son propriétaire. «Je pense que ce qui est en train de se passer, c’est qu’on a atteint le plafond du réalisme et que l’on revient en arrière, vers des choses plus stylisées et uniques» , expliquait récemment Jorge R. Gutierrez, réalisateur de La Légende de Manolo, au Festival du Film d’Ani
mation d’Annecy. «J’ai toujours pensé que la force de l’animation était qu’elle permettait de faire n’importe quoi. Donc les films d’animation qui ont un look réaliste manquent un peu leur objectif. Aujourd’hui, je pense qu’on arrive dans une ère postmoderne où une histoire d’amour pour le rétro est en train de commencer. Les gens commencent à aimer voir les pixels, les cubes. Ce n’est pas parce qu’on a accès à beaucoup de nouvelles technologies qu’on doit rejeter les choses qui nous charmaient dans les années 90 ou 2000».
On a atteint le plafond du réalisme et on revient en arrière, vers des choses plus stylisées et uniques...
Nombreux sont les vétérans de l’animation qui font aujourd’hui ce constat : le véritable challenge de l’animation n’est plus de repousser les limites du réalisme, mais de savoir utiliser les bonnes techniques au bon moment pour raconter la bonne histoire. Tom McGrath, réalisateur de la trilogie
Madagascar pour Dreamworks, tenait déjà ce discours l’an dernier en parlant de son nouveau projet, Baby Boss, dans lequel il souhaitait stopper la course folle à la performance graphique pour redonner la place aux personnages et à l’histoire : «Ce n’est vraiment pas facile parce qu’aujourd’hui, les gens sont toujours habitués à procéder comme ça. Il faut dire “stop”. S’arrêter et faire en sorte que chaque chose, les couleurs, les éléments du décor, désignent le personnage, accompagnent l’oeil du spectateur là où on veut l’amener, ou soutiennent l’émotion et la comédie. C’est ce qui se faisait dans les vieux films d’animation». L’avenir des dessins animés serait-il donc à chercher dans son passé? En partie, peut-être, mais pas uniquement. En tout cas pas selon des artistes comme Glen Keane, créateur d’inoubliables personnages tels que la Bête, Ariel, Tarzan ou Aladdin, et qui a récemment quitté l’enceinte du royaume enchanté pour explorer de nouveaux horizons : «Quand j’ai quitté Disney en 2012, je savais que je partais pour quelque chose, mais je ne savais
pas quoi» , a-t-il raconté. Il venait de présenter son nouveau courtmétrage, Dear Basketball, adapté d’un poème du légendaire champion Kobe Bryant adressé au sport qu’il aime, accompagné par une bande originale de John Williams, et entièrement animé à la main. Avant de se lancer sur Dear Bas
ketball, dont la date de diffusion n’est pas encore connue, Glen Keane a notamment eu l’occasion de collaborer avec Benjamin Millepied pour l’Opéra de Paris, avec le studio de développement Riot Games ( League of Legends), ainsi qu’avec l’une des plus grandes entreprises du monde.
Une nouvelle révolution
Et si, après Disney ou Pixar, le prochain révolutionnaire de l’animation s’appelait… Google ? C’est en tout cas au sein de l’une des équipes de recherches du géant technologique que Glen Keane a pu donner libre cours à son génie créatif juste après avoir quitté Disney. L’objectif de ce programme que l’on connaît désormais sous le nom des Google Spotlight Stories : raconter des histoires en animation… et en réalité virtuelle. Réalisés par de célèbres artistes, les petits courts métrages que l’on peut retrouver sur l’application du même nom se dégustent avec un casque VR sur la tête, ou sur son smartphone, que l’on oriente comme une caméra pour suivre l’action du film. C’est ainsi qu’est né Duet de Glen Keane, l’histoire d’un garçon et d’une fille qui grandissent en parallèle, et tout simplement l’un des plus beaux courts métrages animés de ces dernières années. Jorge R. Gutierrez, réalisateur du long métrage La Légende de Manolo produit par Guillermo del Toro en 2014, a lui aussi tenté l’expérience Google pour signer son nouveau court métrage : Son of Jaguar.
C’est dans la Salle de Création du Festival d’Annecy, équipé comme il se doit, que le public a pu avoir un avant-goût de cette toute nouvelle expérience. Debout au milieu d’une salle avec un casque VR, on se retrouve propulsés dans un nouvel univers : celui d’un catcheur mexicain sur le déclin, se préparant à affronter l’adversaire qui lui avait déjà pris une jambe par le passé. Le titre du film avance vers nous et on passe carrément au travers, avant de se retrouver parmi la famille du protagoniste, le suppliant de ne pas partir se battre, puis dans le couloir qui le conduit vers son adversaire, et enfin sur le ring, à ses côtés. A chaque instant, on a la possibilité de tourner la tête pour regarder la scène sous l’angle que l’on veut, de s’intéresser à tel ou tel détail, et en fin de compte, dans une certaine mesure, de mettre nous-mêmes en scène le film avec nos propres yeux. L’expérience Son of Jaguar, qui devrait être disponible sur l’application Google Spotlight Stories dès le mois d’août ou septembre 2017, sera un film d’une durée totale de 8 minutes, et sa confection semble avoir passionné son réalisateur. Ce nouvel outil, cette nouvelle manière de réaliser des films d’animation, semble ainsi doté d’un potentiel encore insoupçonné, que les artistes commencent tout juste à toucher du doigt. C’est ainsi que Glen Keane, doté d’un casque VR et d’un pinceau numérique, fait preuve d’un enthousiasme authentique et d’une joie presque enfantine dans cette vidéo où il esquisse le futur du story-telling.