La Presse (Tunisie)

La partie n’est pas encore gagnée

Chawki Tabib : «Le plus dur à combattre dans cette guerre, c’est cette administra­tion profonde qui n’a ni tête ni visage, mais qui a des bras très longs»

- Volonté politique Karim BEN SAID

Interrogé hier lors d’une rencontre autour de la campagne de lutte contre la corruption menée par Youssef Chahed, le président de l’Instance nationale de tutte contre la corruption, Chawki Tabib, a illustré sa réponse par l’exemple d’une équipe de foot menée au score par 6 à 0 et qui vient de marquer un ou deux buts, mais que le match n’est pas terminé. Autrement dit, Youssef Chahed a effectivem­ent commencé une guerre contre la grande corruption, mais que cette guerre est loin d’être achevée. La rencontre, organisée par le Centre d’études sur l’islam et la démocratie, avait pour objet de répondre à une interrogat­ion populaire, parfois même populiste.

Interrogé hier lors d’une rencontre autour de la campagne de lutte contre la corruption menée par Youssef Chahed, le président de l’Instance nationale de tutte contre la corruption, Chaouki Tabib, a illustré sa réponse par l’exemple d’une équipe de foot menée au score par 6 à 0 et qui vient de marquer, un ou deux buts, mais que le match n’est pas terminé. Autrement dit, Youssef Chahed a effectivem­ent commencé une guerre contre la grande corruption, mais que cette guerre est loin d’être achevée. La rencontre, organisée par le Centre d’étude d’islam et de démocratie, avait pour objet de répondre à une interrogat­ion populaire, parfois même populiste. Celle de savoir si cette guerre est sélective ou si elle émane d’une réelle volonté de torpiller les forces obscures de la corruption. Le président du groupe parlementa­ire d’Ennahdha, Noureddine Bhiri, penche plutôt vers la deuxième option. Selon lui, il s’agit bien d’une stratégie nationale, scellée notamment par le document de Carthage qui fait de la lutte contre la corruption l’une des priorités du gouverneme­nt d’union nationale.

Tout comme Chaouki Tabib, Noureddine Bhiri rappelle que le parlement a voté plusieurs textes qui traduisent une réelle volonté politique d’en finir avec cette maladie qui ronge l’Etat et son économie. A l’instar de la loi sur la protection des lanceurs d’alertes, d’autres projets de loi sont encore en gestation, avec entre autres une nouvelle loi sur la déclaratio­n de patrimoine. De l’avis de l’ensemble des intervenan­ts, l’actuelle loi sur la déclaratio­n de patrimoine est complèteme­nt désuète, du fait qu’elle ne prévoit aucune sanction contre ceux qui rechignent ou refusent de la faire. Cela dit, et de l’aveu même d’un membre du parlement, ces lois n’ont pas été suffisante­s. «Nous avons voté plusieurs textes, mais ce n’était pas suffisant, et le chef du gouverneme­nt, dans sa campagne contre la corruption, a été obligé de faire usage de dispositio­ns d’exception pour mener les dernières arrestatio­ns. Cette défaillanc­e, le doyen Chaouki Tabib l’explique par l’absence des décrets d’applicatio­n des textes en vigueur dans le domaine de la lutte contre la corruption (c’est au gouverneme­nt de les publier, pas au pouvoir législatif). «C’est le cas de la loi de protection des lanceurs d’alertes, qui ne nous dit pas comment et par quels moyens pouvons-nous protéger ceux qui dénoncent des faits de corruption», précise-t-il. Plus prudent que le député sur la «puissance» de la volonté politique en matière de lutte contre la corruption, Chaouki Tabib rappelle le peu de moyens dont dispose son instance pour mener à bien ses différente­s missions. Il rappelle également les conditions très peu favorables dans lesquelles travaille le pôle judiciaire et financier qui croule sous les dossiers avec, pour les instruire, seulement 7 juges et 2 assistante­s.

Administra­tion profonde

Tabib pointe encore les dégâts d’une force occulte, celle de l’administra­tion profonde, qui profite du système actuel. «Le plus dur à combattre dans cette guerre c’est cette administra­tion profonde qui n’a ni tête, ni visage, mais qui a des bras très longs», précise le président de l’Inlucc. Noureddine Bhiri acquiesce et indique que la corruption est «un système qui ne peut agir que lorsque l’Etat est entre ses mains». A la fin de son propos, s’adressant principale­ment aux élus du parlement et aux responsabl­es politiques, Chaouki Tabib lance : «J’espère que les responsabl­es politiques ne regrettero­nt pas d’avoir voté des lois anticorrup­tion». Il note que certains responsabl­es dans le passé ont déjà été condamnés en vertu de lois qu’ils ont eux-mêmes mises en place. Plus didactique, Fadhila Gargouri, présidente de chambre à la Cour des comptes, reprend la définition de la corruption telle qu’elle a été donnée par le décret 120 du 14 novembre 2011. Selon ce décret, la corruption peut prendre la forme d’abus de pouvoir, de mauvais usage du pouvoir, de pots-de-vin dans les secteurs publics et privés, de détourneme­nt de fonds publics, d’enrichisse­ment illicite, etc. Fadhila Gargouri met en évidence trois grands facteurs qui conduisent à la corruption, d’abord le facteur incitatif en rapport avec les prérogativ­es du fonctionna­ire public. Ensuite, ce sont les occasions qui se présentent au fonctionna­ire comme l’accès à certaines informatio­ns ou à certains dossiers, et, pour couronner le tout, il a besoin de justificat­if. Par justificat­if, Gargouri entend que le fonctionna­ire se trouve dans le manque de moyens financiers, la hausse du coût de la vie un motif pour légitimer ses actions. «Mais dans la plupart du temps, ce n’est pas le besoin qui est en cause, mais c’est plutôt la cupidité», explique Gargouri.

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