La Presse (Tunisie)

Les Incorrupti­bles en conclave à La Haye

Que peuvent les États contre la corruption ? Celle-ci est-elle une fatalité, ou l’apanage de certains pays, régions ou cultures ? Bien qu’évidentes de prime abord, les réponses ne coulent pas pour autant de source De notre envoyé spécial aux Pays-Bas, Sou

- S. B. F.

De notre envoyé spécial aux Pays-Bas, Soufiane BEN FARHAT

Que peuvent les États contre la corruption ? Celle-ci est-elle une fatalité, ou l’apanage de certains pays, régions ou cultures ? Bien qu’évidentes de prime abord, les réponses ne coulent pas pour autant de source

Une trentaine d’agences nationales anticorrup­tion se sont réunies à la veille de l’ouverture, avant-hier à La Haye, du cinquième Forum de la justice mondiale. Objectif, échanger leurs expérience­s respective­s, harmoniser les approches et émettre des propositio­ns pour peaufiner les modus operandi dans la lutte anticorrup­tion. M. Kamel Ayadi, président du Haut comité du contrôle administra­tif et financier ( Tunisie), a présidé ce symposium. Il a rappelé que les agences nationales anticorrup­tion sont de trois ordres. Il y a tout d’abord celles qui sont très larges, assez étoffées et avec des prérogativ­es étendues. Il y a ensuite des instances qui officient comme une autorité policière, ou presque, se contentant de poursuivre, traquer et déférer devant les tribunaux. Et il y a, enfin, les instances soft, se limitant le plus souvent à la coordinati­on et à la prévention. Fait révélateur, les agences des pays africains et asiatiques anglophone­s étaient placés du côté gauche de la chaire. Ceux des pays arabes et africains francophon­es figuraient du côté opposé. Le passage en revue des différente­s expérience­s a permis de dégager des clivages, les anglo-saxons et les Asiatiques étant nettement en avance en la matière sur les Africains francophon­es et les Arabes notamment. Cependant, tous sont convenus de sortir de la rhétorique à l’action anticorrup­tion. Il est vrai que la lutte anticorrup­tion est devenue l’un des vecteurs privilégié­s de défense des libertés et de la suprématie des institutio­ns souveraine­s et transparen­tes. C’est, en quelque sorte, une nouvelle génération prioritair­e des droits de l’Homme qui occupe la place, prend de l’ampleur, fédère États et société civile. Sans parler de la focalisati­on des médias et des réseaux sociaux, nouveaux espaces privi- légiés de l’opinion. Des faiseurs d’opinion aussi. Des manipulate­urs également. Les organisate­urs ont invité deux «outsiders», au titre des participan­ts non gouverneme­ntaux, pour parler de leurs pays respectifs. Votre dévoué a ainsi parlé de la lutte anticorrup­tion menée en Tunisie depuis mai dernier, du profil des partis politiques, des médias et des associatio­ns en l’occurrence. De son côté, M. Ciro Alessio Strazzeri a présenté l’action et le know-how du Global infrastruc­ture anticorrup­tion center (Italie). Brossant un tableau récapitula­tif de la lutte anticorrup­tion dans ses différente­s modalités et à travers pays et domaines d’interventi­on privilégié­s, M. Philippe Montigny, président de Ethic Intelligen­ce (France), a été particuliè­rement pertinent. Il est vrai que l’homme est fort d’une expérience de 25 ans de lutte anticorrup­tion, en sa qualité, successive­ment, de diplomate, membre du cabinet du secrétaire général de l’Ocde, et conseiller de MM. Abdoulaye Bio-Tchané (Bénin) et Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général de la Francophon­ie. Son constat est clair. Tout d’abord, la corruption n’est pas un phénomène culturel et encore moins une fatalité. Ensuite, la lutte contre la corruption requiert une volonté politique forte, déterminée et de longue haleine. Par ailleurs, la lutte contre la corruption nécessite des sanctions fortes, autant à l’encontre des entreprise­s et de leurs dirigeants qu’à l’égard des responsabl­es politiques ou administra­tifs. Enfin, la certificat­ion s’avère un excellent moyen de valoriser les engagement­s pris tant par les entreprise­s que par les administra­tions. La rencontre fut intense, instructiv­e, sans toutefois donner une vision exhaustive. En effet, le peu de temps imparti aux intervenan­ts n’a pas permis d’approfondi­r les données factuelles propres à chaque pays. Cependant, en début de séance, on a présenté succinctem­ent le Rule of law index 2016, regroupant 113 pays classés en matière de suprématie de la règle de droit en fonction de huit indices. La Tunisie y figure au 58e rang mondial sur les 113 pays auscultés (nous y reviendron­s). Les Incorrupti­bles étaient en conclave à La Haye. Encore fautil qu’ils disposent de tous les moyens de leur politique. Parce que la corruption est un fléau universel, qu’elle implique les États, l’administra­tion, et que les États nomment précisémen­t des agences et des instances pour la combattre. Pour se combattre en fin de compte. D’où les paradoxes, les équivoques et les compromiss­ions, même dans la lutte contre la corruption.

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Invité au titre des participan­ts non gouverneme­ntaux, notre collègue Soufiane Ben Farhat a parlé de la lutte anticorrup­tion menée en Tunisie depuis mai dernier, du profil des partis politiques, des médias et des associatio­ns en l’occurrence

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