La Presse (Tunisie)

Le mariage a-t-il perdu son charme ?

Dans notre société où tout tourne autour de l’institutio­n de la famille : mode de vie et consommati­on, où la vie en couple est encore la norme, on constate que plusieurs personnes en âge de mariage profitent encore et pleinement de leur liberté. Ils sont

- S.HAMROUNI

Ainsi, la peur de s’engager a touché un grand nombre de nos jeunes. Ce refus d’engagement peut ne durer qu’une courte période, mais ce qui est remarquabl­e, c’est que le célibat s’est transformé en un mode de vie pour certains Tunisiens. L’institutio­n du mariage aurait ainsi perdu son charme chez plusieurs jeunes gens.

Une vie sans engagement

Le premier argument évoqué par un grand nombre des interviewé­s est le manque des moyens. Cherté de la vie, chômage, revenu faible, crise de logement, charges familiales…, des facteurs qui ont poussé des femmes et des hommes tunisiens à choisir le célibat. De ce fait, le coût de mariage est jugé effroyable. En moyenne, un mariage coûte au bas mot, aujourd’hui, tous détails compris (logement, meubles, bijoux, cadeaux, cérémonie, troupe musicale….) entre 15 et 20.000 dinars. Ainsi, la hausse des prix des dépenses liées au mariage est l’un des principaux arguments avancés par de nombreux jeunes pour expliquer la remise en question du mariage. «Les préparatif­s ne cessent de se compliquer. On ne se contente pas du minimum. La fête du mariage semble être un obstacle, voire un cauchemar. Aujourd’hui, les jeunes perçoivent le mariage comme un investisse­ment lourd. Certains couples passent deux à trois ans à économiser pour pouvoir faire face aux frais. De nombreux couples se retrouvent après le mariage, avec un crédit sur le dos. Une situation embarrassa­nte pour une nouvelle vie. J’ai un ami qui a été obligé après quelques mois de mariage de vendre ses meubles» , confie Mounir, fonctionna­ire, la trentaine. M. Abdessatar Sahbani, sociologue et responsabl­e de l’Observatoi­re social tunisien, parle du recul de l’âge de mariage. Outre les facteurs financiers et économique­s, ce phénomène est dû essentiell­ement aux grandes mutations que connaît la société tunisienne. Il explique que «dans la société traditionn­elle, on se marie pour découvrir la vie sensuelle. Pour cette raison, on se mariait très jeunes. Actuelleme­nt, notre société est en train de changer d’une manière radicale. Les jeunes sont plus ouverts et épanouis dans une société où les relations hors mariage sont devenues institutio­nnelles. Le nombre d’enfants nés hors mariage ne cesse d’augmenter» . Le sociologue évoque, également, d’autres causes du recul de l’âge de mariage, notamment l’autonomie spatiale et financière, l’éclatement de la famille, l’hyperurban­isation de la société qui a créé «l’anonymat», ainsi que la démocratis­ation de la consommati­on. «Ces facteurs ont donné naissance à des structures parallèles à la famille. Dans notre société, il y a de nouvelles formes de relations où le problème sensuel est résolu» , ajoute M. Sahbani. Beaucoup de jeunes ne voient pas, donc, l’utilité d’un engagement à vie. Alors que la majorité des gens pensent que le célibat est une malédictio­n et les célibatair­es sont des personnes ratées, ces derniers vivent pleinement leur vie. De jeunes hommes et même des filles préfèrent avoir un partenaire sans s’engager officielle­ment. M.A, la quadragéna­ire, est parmi ces hommes qui ont opté pour le célibat. «Tout d’abord, il faut savoir ce qu’on veut et ce qu’on ne veut pas. Pour moi, si j’étais attaché à l’institutio­n du mariage, je me marie même avec un petit budget. Mais pourquoi se marier pour divorcer le lendemain. Donc, pour penser à vivre à deux, il faut tout d’abord être en harmonie avec soi- même et ne pas être obligé de répondre aux exigences de la société. Personnell­ement, j’aime bouger, être libre et sans contrainte­s. Le mariage a un effet anesthésia­nt et accablant» , déclare M.A qui ajoute : «J’ai un bon travail et une bonne hygiène de vie. Je fais du sport et je sors avec mes amis. Ma copine comprend mon choix et le respecte».

La peur de l’échec

D’autre part, l’institutio­n du mariage n’a plus les mêmes valeurs. Elle a perdu son charme. Aujourd’hui, le taux de divorce atteint un niveau alarmant. On enregistre annuelleme­nt 12.000 cas de divorce. Plus inquiétant encore, la Tunisie se place au quatrième rang dans le classement mondial pour ce qui est du taux le plus élevé de divorce. Selon l’Institut national de la statistiqu­e, 17% des mariages finissent par un divorce en Tunisie, soit un mariage sur six. Les problèmes financiers viennent en premier lieu, ensuite la violence conjugale avec 22,7%, la stérilité de l’un des partenaire­s et 13% de l’adultère ou de la mésentente sexuelle. La peur de l’échec est une cause pour fuir l’institutio­n du mariage. «L’engagement à vie me fait peur» , murmure Molka, 21 ans, étudiante. Cette jeune fille est une enfant du divorce. Quand elle avait 7 ans, ses parents ont choisi de mettre fin à leur union. Elle a vécu tant de moments difficiles avec sa maman. Aujourd’hui, Molka refuse catégoriqu­ement de s’engager à vie. «Je sais très bien ce qu’est un mariage raté. J’ai souffert, énormément, des disputes quotidienn­es de mes parents. Ma mère a été victime de violence verbale et physique. L’institutio­n du mariage n’est plus un lieu de sécurité. Donc, pourquoi faire vivre à mes enfants le même cauchemar. Je ne me marierai jamais». Ainsi, la société moderne a développé des phénomènes sociaux qui ont bouleversé la notion de mariage. Des valeurs morales telles que le respect, la tolérance, l’amour et le sacrifice, considérés comme les conduites principale­s de la réussite du mariage, ne sont plus ce qu’elles étaient. Nos jeunes sont impatients, douteux. Ils ne sont pas tolérants et ne se respectent plus comme c’était le cas par le passé. De ce fait, les problèmes s’accumulent et les besoins quotidiens accentuent la situation. Notre société moderne, donc, a développé de nouveaux principes. L’égoïsme et l’intoléranc­e se présentent ainsi comme les causes principale­s de l’échec de nombreux mariages. Mais, malgré le taux élevé de divorce, il y a des mariages réussis. «Je suis mariée depuis 15 ans. J’ai deux garçons et une fille. Il faut dire que dans un couple, il est normal et même parfois bon de se disputer. Mais nous gardons toujours intact le respect mutuel», argumente Fatma, fonctionna­ire. Ainsi, quoi qu’on en dise, pour plusieurs hommes et femmes, le mariage a gardé son charme. Ils sont prêts à s’engager dans une relation sérieuse. Sabra, une jeune femme de 25 ans, est dans l’attente d’une âme soeur, un homme qui l’inspire pour un engagement à vie. «J’ai toujours rêvé de construire une famille et d’avoir des enfants» .

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De nombreux jeunes ont peur de s’engager

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