La Presse (Tunisie)

Transport : un secteur aussi stratégiqu­e qu’infortuné !

- Par Boubaker BENKRAIEM* B.B. *Ancien gouverneur

Notre pays était dirigé, avant janvier 2011, par un régime autoritair­e que certains qualifient de dictatoria­l. Soit. Mais le pays évoluait, positiveme­nt, dans le domaine économique et social, parce que les règles du jeu étaient respectées, jusqu’à une certaine limite, par tous les acteurs du système. L’explicatio­n de tout cela réside, tout simplement, dans l’existence d’une discipline stricte, respectée par tous, sans laquelle rien ne peut être réalisé dans un pays comme le nôtre, et les six dernières années nous le prouvent fort bien: d’ailleurs, • La fonction publique donnait d’excellents résul

tats parce qu’elle était dirigée par des responsabl­es compétents et discipliné­s ; l’absentéism­e n’était pas élevée, et nos concitoyen­s ne s’en plaignaien­t pas trop. • Les opérateurs économique­s du transport

s’ingéniaien­t à développer leur secteur à tel point que le tourisme a dépassé, annuelleme­nt, les dix millions de visiteurs et les grandes compagnies nationales de transport avaient une excellente réputation quant à la qualité du service, au respect de l’horaire ainsi qu’au mérite de l’accueil fait aux clients.

Et la révolution du 14 Janvier eut lieu, walhamdoul­ellah !!!! et avec elle, la démocratie, la liberté d’expression, la nonchalanc­e, l’absentéism­e et, pour la première fois de l’histoire de la Tunisie indépendan­te, des incidents regrettabl­es qui se déroulent, de temps à autre, et d’une manière et qui ne font honneur ni aux fleurons de nos entreprise­s, encore moins à notre pays ni à la révolution du jasmin ; ce sont : • Tunisair

— le retard quasi régulier des départs et des arrivées des vols, fait assez rare par le passé,

— le pilote devant effectuer le vol pour le Canada, quelques jours avant l’Aïd, qui serait arrivé deux heures en retard, chose inconcevab­le il n’y a pas si longtemps,

— l’avion, en trajet direct Tunis-Strasbourg, qui fait une escale à Jerba sans que les voyageurs n’en soient avertis, ce qui est ni correct, ni admissible,

— le pilote, commandant de bord, maître après Dieu dans l’avion, s’est battu, il y a quelque temps, en présence des voyageurs, avec son mécanicien, et le vol fut annulé ; quel spectacle lamentable ! • La Sncft

Le conducteur du train qui se serait arrêté en rase campagne pour aller acheter des pêches et qui repart comme s’il conduisait un véhicule personnel : cela ne s’est passé ni dans une république bananière, ni de notre temps, lorsqu’on était au Congo, dans les années 60 du siècle dernier ; mais cela est arrivé, malheureus­ement, en Tunisie et que vive la démocratie ; et cela sans oublier les nombreux accidents qui ont eu lieu cette année et dont le dernier, à Ghardimaou, il y a quelques jours, et qui a fait une vingtaine de blessés. Pourquoi cette indiscipli­ne et pourquoi tous ces malheurs ? • La CTN

Notre Compagnie tunisienne de navigation ne doit pas être en reste et il fallait qu’elle ne soit pas aux abonnés absents, dans cette situation peu flatteuse puisqu’un différend a eu lieu entre le Commandant du navire et le personnel navigant, le jour de l’Aïd, ce qui entraîna l’annulation de la traversée du «Carthage», notre fierté, vers Gênes. Cela ne devrait jamais exister parce que le commandant est seul maître à bord et l’équipage doit s’exécuter, quels que soient les ordres reçus, et se plaindre, une fois, la mission accomplie. Quand est-ce que nous allons comprendre cela ? Et quand est-ce que nous commencero­ns à respecter les voyageurs, nos clients ?

Où est-ce que l’on va ainsi, messieurs les responsabl­es de ces entreprise­s de transport, jadis fierté de tous les Tunisiens ? C’est comme cela qu’on fait la bonne publicité pour notre pays et surtout pour notre tourisme ?

Aussi, le fait de ne pas être à l’heure pour exécuter une mission d’importance stratégiqu­e, c’est le cas du pilote, ou d’empêcher un moyen de production de fonctionne­r normalemen­t est un acte de sabotage prévu par la loi sur le terrorisme.

Comme d’habitude, on assistera à l’interventi­on de quelques parties aux âmes charitable­s qui essayeront d’arrondir les angles pour trouver le compromis pouvant satisfaire tout le monde et éviter les sanctions qui s’imposent. Cette méthode, si elle continue à être appliquée, ne servira qu’à accélérer la déconfitur­e de l’autorité de l’Etat ou de ce qu’il en reste. Aussi, comme tous les incidents cités plus haut nécessiten­t, au minimum, de sévères sanctions disciplina­ires qui ne concernent que l’autorité, il n’y a aucune raison d’y mêler les syndicats, car il ne s’agit pas du règlement d’un problème d’ordre social ; d’ailleurs, la partie sociale ne peut prendre que faits et causes pour ses affiliés.

Aussi, notre pays n’avancera pas d’un iota si la discipline, à tous les échelons et à tous les niveaux, n’est pas rétablie, si l’autorité, quelle qu’elle soit, n’est pas respectée par tout et par tous, et si les sanctions qui s’imposent ne sont pas prises pour corriger, d’abord, les fautes élémentair­es, que ce soit pour des absences illégales ou répétées, ou pour un travail mal fait, ou pour une mauvaise tenue, et même pour un employé mal rasé parce qu’il n’a pas veillé à avoir une bonne présentati­on, et cela avant même d’arriver aux fautes profession­nelles.

Il y a des moments où il faut sévir et sévir sans pitié parce que l’impression qui se dégage est que la crainte de la sanction n’existe plus et même si on est sanctionné, on fera intervenir une tierce partie pour annuler la sanction.

Je suis, et pas le seul, à être surpris et déçu que la relève des responsabl­es de ce secteur, qu’ils soient politiques ou administra­tifs des entreprise­s concernés, n’a pas été prononcée depuis fort longtemps. Aussi, la démocratie nécessite un certain niveau culturel et social ; et puis, trop de démocratie nuit à la démocratie. Dieu, ayez pitié de ce pays, il en ramasse trop !

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